Nous ne pleurons pas les 43 morts* dans une tempête sur le circuit de trek de l’Annapurna. Ces conquérants de l’inutile savaient en toute (in)conscience ce qu’ils risquaient. Un autre article du MONDE** s’interrogeait (un peu) sur l’himalayisme et la course aux sommets* : « On a questionné la légitimité de la présence humaine à ces altitudes où l’hypoxie altère le discernement et où la mort guette… Dans Parenthèse à 8 000, la caméra dissèque les raisons qui poussent des hommes à endurer températures polaires, diarrhées d’altitude ou mal aigu des montagnes. Orgueil, performance, introspection…Des pré-Alpes aux géants de l’Himalaya, rien ne justifie le recours aux artifices que sont les sherpas, l’oxygène et les cordes fixes. L’alpinisme consiste à gravir une montagne à la force de son corps, en faisant appel à son propre jugement pour minimiser les risques… »
Nous allons beaucoup plus loin, il faudrait laisser à la montagne son silence et sa solitude. L’alpinisme de haute montagne n’est que la prolongation de la psychologie occidentale à se définir comme maître de la terre, de l’eau… et des montagnes. Dans un monde de raréfactions des ressources naturelles, nous devons retrouver le sens de l’humilité et condamner toutes les conquêtes de l’inutile. Autrefois nul ne prétendait vouloir aller là où on ne pouvait vivre durablement. Demain il en sera de même. Pour conclure, ce texte que nous avions écrit il y a quelques années :
C’est en toute connaissance de cause que Jean-Christophe Lafaille avait pris le risque en janvier 2005 de tenter d’atteindre en solitaire le sommet du Makalu (8473 mètres), lui qui y avait connu lors d’une précédente tentative un vent de 140 km/h avec lequel, plaqué au sol, il n’avait résisté qu’en ancrant ses piolets dans la glace. Sur un sommet de l’Himalaya, une température de – 35° procure, avec un vent de 50 km/h, la même sensation qu’un froid de – 60°. Sa tentative de fin janvier 2006 a été la dernière, il est porté disparu car quand on s’assoit l’hiver sur l’Himalaya, c’est pour mourir. Il serait trop facile de condamner ce suicide assistée par téléphone satellite si Jean-Christophe n’avait confié comment, en haut, il se sentait le maître du monde : « Tu es tout petit ; grâce à tes ressources mentales, tu maîtrises le truc sur une énormité géologique ; c’est jouissif ». Tout est dit dans ces quelques mots, l’humilité humaine non reconnue comme une vertu, la soif de devenir possesseur de tous les domaines de la Biosphère et le plaisir de se dépasser artificiellement contre les forces de la Nature.
* lemonde.fr du 18/10/2014
** M le magazine du Monde | 23.11.2012, Pics de fréquentation