Les dispositions sur le secret des affaires avaient été insérées dans la loi Macron sous forme d’une série d’amendements. Elles visaient à permettre aux entreprises d’aller plus facilement en justice en cas de tentative de s’emparer d’informations confidentielles ayant une valeur économique. La peine pouvait même monter à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende en cas d’atteinte « à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France »*. Sous la pression des journalistes, les pouvoirs publics ont renoncé à légiférer dans l’immédiat. La France est en retard quant à la protection des lanceurs d’alerte. En France, un texte adopté le 3 avril 2013 définissait que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publics ou de diffuser un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou pour l’environnement ». Le secret des affaires économiques restait la règle. Il en était de même des affaires politiques !
Philippe Pichon dénonce les dérives du Système de traitement des infractions : procès**. Julien Assange crée le site Wikileaks pour la transparence : procès. Bradley Manning dénonce les dérives des guerres américaines : procès. Edward Snowden révèle la dimension démesurée des écoutes américaines sur Internet : procès. Il en est de même des concussions des pouvoirs publics comme des malversations des entreprises : les dénonciations par des lanceurs d’alerte sont très mal perçues par le pouvoir en place qui pratique les sanctions immédiates et vote des lois liberticides.
La Cour européenne de Strasbourg a posé six conditions pour définir la légitimité d’une divulgation de ce qui est caché. Beaucoup de problèmes restent en suspens, la protection est sous condition. Le lanceur d’alerte doit d’abord avoir dénoncé le dysfonctionnement auprès de son supérieur ou d’une autre autorité compétente. Mais la plupart du temps la hiérarchie est complice ou voudra étouffer une affaire gênante. Deuxième condition, la protection du donneur d’alerte est fonction « de l’intérêt public » des informations divulguées. Mais c’est au public d’estimer l’intérêt de l’information, pas aux juges. Troisième condition, « l’authenticité » de l’information. D’accord, mais il faut conserver la confidentialité des sources comme le font les journalistes. Quatrième critère : il faut apprécier le dommage que la divulgation litigieuse risque de causer à l’autorité publique. Mais la démocratie dans un système complexe comme le nôtre repose sur la transparence totale de ceux qui font de la politique ou des affaires. Cinquième condition, ne pas vouloir retirer avantage de l’information et avoir agi « de bonne foi » : cela va de soi. Enfin, la CEDH entend évaluer « la proportionnalité » de la peine infligée. Mais aucune circulation d’information ne mérite procès ! Il n’y a ni secret des affaires, ni secret défense ou même secret d’Etat qui soit légitime. Il y a un intérêt public à savoir comment agit le pouvoir et ce que l’on y fait en notre nom ou avec notre argent.
Les journalistes l’ont emporté face à la loi Macron. Les pouvoirs publics ont renoncé à légiférer dans l’immédiat sur le « secret des affaires ». Cet outil juridique devait permettre aux entreprises tricolores de mieux faire face à l’espionnage industriel, mais risquait de restreindre la liberté de la presse et celle des « lanceurs d’alerte ».**
* LE MONDE éco&entreprise du 31 janvier 2015, le « secret des affaires » retiré de la loi Macron
** LE MONDE du 27 janvier 2015, Vers un véritable statut de lanceur d’alerte ?