Jamais les métaux n’ont été aussi présents dans nos vies : voitures et maisons bien sûr, mais aussi, téléphones portables, écrans plats… Quant aux voitures électriques, elles ne consomment certes pas d’essence, mais nécessitent des batteries ion-lithium. La consommation de cuivre a crû de 2,87 % par an en moyenne depuis un demi-siècle, soit une multiplication par plus de quatre ; celle d’acier de 3,62 % par an en moyenne depuis 1900. Pour loger, équiper, transporter les 9,7 milliards d’habitants que la planète devrait porter en 2050 , il faudra extraire du sous-sol plus de matériaux que l’humanité n’en a extrait depuis son origine. Va-t-on réussir à faire face à la demande future ?
La réponse de l’article du MONDE est positive : « Bien sûr, les industriels conscients de ces enjeux tentent de réduire leur dépendance. C’est là que l’innovation et la technologie entrent en scène. 80 % du cuivre utilisé dans les câblages pouvait être remplacé par de l’aluminium. L’industrie aéronautique travaille aussi à l’allégement des avions et à l’optimisation de l’utilisation des matériaux. L’Internet des objets est prometteur : grâce à des capteurs connectés, il sera possible d’évaluer précisément le degré d’usure d’un équipement… S’il est impératif de généraliser le recyclage, il faut admettre que la production minière reste indispensable, y compris en France.»* Cet article est trompeur. D’abord il fait une confiance aveugle dans les possibilités futures de l’innovation technologique. C’est une croyance, pas un fait. De plus, quand on voit l’impasse dans laquelle nous ont mené les prouesses des processus actuel d’extraction et de fabrication, on peut douter qu’il en soit différemment dans le futur. Enfin la situation géophysique et économique en matière d’extraction est complexe.
Nous conseillons à l’auteure de l’article, Béatrice Madeline, de (re)lire le rapport** de 1972 à propos des ressources minières : « En dépit de découvertes spectaculaires récentes, il n’y a qu’un nombre restreint de nouveaux gisements minéraux potentiellement exploitables. Les géologues démentent formellement les hypothèses optimistes et jugent très aléatoires la découverte de nouveaux gisements vastes et riches. Se fier à des telles possibilités serait une utopie dangereuse… Par exemple les réserves connues du chrome sont actuellement évaluées à 775 millions de tonnes. Le taux d’extraction actuel est de 1,85 millions de tonnes par an. Si ce taux est maintenu, les réserves seraient épuisées en 420 ans. Mais la consommation de chrome augmente en moyenne de 2,6 % par an, les réserves seraient alors épuisées en 95 ans… On peut cependant supposer que les réserves ont été sous-estimées et envisager de nouvelles découvertes qui nous permettraient de quintupler le stock actuellement connu. Il serait alors épuisé théoriquement en 154 ans. Or l’un des facteurs déterminants de la demande est le coût d’un produit. Ce coût est lié aux impératifs de la loi de l’offre et de la demande, mais également aux techniques de production. Pendant un certain temps, le prix du chrome reste stable parce que les progrès de la technologie permettent de tirer le meilleur parti de minerais moins riches. Toutefois, la demande continuant à croître, les progrès techniques ne sont pas assez rapides pour compenser les coûts croissants qu’imposent la localisation des gisements moins accessibles, l’extraction du minerai, son traitement et son transport. Les prix montent, progressivement, puis en flèche. Au bout de 125 ans, les réserves résiduelles ne peuvent fournir le métal qu’à un prix prohibitif et l’exploitation des derniers gisements est pratiquement abandonné. L’influence des paramètre économiques permettrait de reculer de 30 ans (125 ou lieu de 95 ans) la durée effective des stocks. » Le rapport concluait : « Etant donné le taux actuel de consommation des ressources et l’augmentation probable de ce taux, la grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront atteint des prix prohibitifs avant qu’un siècle soit écoulé ». Vérifions cette conclusion de 1972 avec les données de 2014 : les gisements métalliques et énergétiques, à la base de notre économie moderne auront pour l’essentiel été consommés d’ici 2025 (date de la fin de l’or, de l’indium et du zinc) et 2158 (date de la fin du charbon). La fin du chrome, dont la production mondiale varie de 17 à 21 M t par an, est estimée à l’an 2024.
* LE MONDE économie du 13 septembre 2016, La ruée vers les métaux
** rapport 1972 du Massuchussets Institute of Technology au club de Rome, The Limits to Growth, traduit en français dans Halte à la croissance ? (Fayard 1972)
La fascination pour le « cradle to cradle » (du berceau au berceau) constitue sans doute l’une des naïvetés les plus courantes de la gente écologiste.
Certes au premier abord, l’idée est séduisante et loin de moi l’intention de décourager le recyclage chaque fois qu’il se peut. Pourtant cela ne solutionnera pas tous nos problèmes en matière de métaux.
D’une part l’usage de ceux-ci entraine une inévitable dispersion. Les petites pièces et toutes les poussières (il y a beaucoup de métaux utilisés pour le frottement, notamment en matière de freinage) sont concrètement tout à fait irrécupérables.
D’autre part, le recyclage est lui-même gourmand en énergie et nous allons en manquer au cours de ce siècle (ce manque d’ailleurs affectera tout autant, sinon plus, l’exploitation minière, d’autant plus que les gisements les plus faciles à exploiter et aux teneurs les plus riches se feront de plus en plus rares).
Bref, encore une fois, derrière cette idée séduisante se cachent bien des difficultés et là encore, la solution viendra plus d’une démarche quantitative que d’une démarche qualitative, quelle que soit la séduction intellectuelle de cette dernière.
En d’autres mots, il nous faudra décroître, décroître économiquement, décroître démographiquement. Le reste conduira à une impasse. Il est désolant de voir encore tant d’économistes et de techniciens tomber dans le piège de la fuite en avant, désolant aussi de voir beaucoup d’écologistes bien intentionnés y succomber.