La campagne présidentielle célèbre le made in France. Mais LE MONDE* s’interroge : peut-on vraiment consommer 100 % français ? Les journalistes pointent la difficulté d’acheter local quand la France a perdu plus d’un quart de ses emplois industriels depuis 1991 : « Vous ne pouvez être sûr d’acheter français que pour des fromages ou du vin AOC. » Le label « origine France garantie » est accordé aux produits fabriqués en France et dont la moitié de la valeur ajoutée est tricolore : à moitié français donc. Comble du paradoxe, ce n’est pas parce qu’un produit est assemblé à l’étranger qu’il n’est pas français par ses composantes ! Croire actuellement au protectionnisme et à la démondialisation serait donc un leurre. Mais la délocalisation a entraîné le chômage. C’est pourquoi LE MONDE économie** ménage la chèvre et le chou : « Passer du free trade au fair trade est à explorer, plutôt qu’une guerre commerciale généralisée ou un effondrement économique et social. »
Avant le XIXe siècle, les échanges internationaux étaient limités par le coût et la difficulté des transports. Le véritable début du libre-échange moderne remonte à 1846 en Angleterre : l’abolition des corn laws (lois sur le blé) qui protégeaient le marché interne de l’importation des céréales. L’ouverture des échanges grâce aux nouvelles technique de déplacement est une victoire, préparée par la théorie de Ricardo, des milieux industriels sur les intérêts agricoles. Fini la souveraineté alimentaire, place au productivisme. Cette approche dogmatique du libre-échange a conduit à considérer l’intégration dans l’économie mondiale comme une fin en soi et non plus comme un moyen d’ouverture intellectuelle. Historiquement, l’idéologie libre-échangiste provient des sociétés dominées par une aristocratie : l’Angleterre victorienne, le sud esclavagiste des USA, la Prusse et la Russie de l’époque du servage. Toutes ces sociétés étaient centrées sur l’exportation plutôt que sur la consommation. Dans l’expression libre-échange, l’adjectif « libre » est bien sympathique, mais d’autant plus trompeur ! Le développement du libre-échange est argumenté en termes d’intérêt général, alors qu’il ne sert en définitive que les intérêts des plus forts, centrés sur le profit. Demain le coût et la difficulté des transports pousseront à la démondialisation. Le journaliste Adrien de Tricornot parle d’« effondrement » et n’en dit pas plus, complétons. Effondrement parce que notre extrême dépendance aux productions lointaines témoigne de la fragilité incommensurable de notre niveau de vie. Effondrement parce que c’est l’énergie fossile qui a autorisé l’expansion du libre-échange et que la descente énergétique va pousser au chacun pour soi. Que faire ?
Si nous le voulons, une certaine forme du passé sera notre avenir : vivre à la fois au Moyen Age et dans le monde moderne. Au Moyen Age, 90 % des biens que consomme un paysan sont produits dans un cercle de cinq kilomètres autour de son habitation ; dans des sociétés de résilience, il en serait presque de même, l’électricité en plus. Si nous limitons nos besoins à l’essentiel, les forces de production locales et la coopération mondiale suffiraient à couvrir tous les besoins matériels de l’humanité. On pourrait avoir en même temps une auto-production poussée et des échanges mondiaux spécifiques, une monnaie transnationale et des monnaies locales, l’universalité de l’espéranto et des patois locaux, une pensée globalisée et un enracinement culturel de proximité. Mais ce n’est pas ce que disent les présidentiables en France aujourd’hui !
* LE MONDE du 27 mars 2012, Le parcours du combattant pour acheter local
** LE MONDE économie du 27 mars 2012, Du libre-échange au commerce loyal