Parmi les commentaires anti-malthusiens, il est une réaction récurrente qui étonne toujours par sa violence. Elle se présente sous deux formes. La première directe et épidermique « Vous voulez réduire la population mondiale? Commencez donc par vous suicider ! » se rencontre très souvent dans les salons, sur les forums… La seconde plus subtilement agressive : « Surpopulation ? Alors on commence par (éliminer) qui ? » a été celle de politiques ou de scientifiques comme Y. Jadot ou JL. Etienne par exemple… L’idée de réduction de notre natalité est donc ici, associée à un fantasme de mort violente, de meurtre (comme aux plus beaux jours de la lutte contre la contraception et l’avortement), et ce n’est pas étonnant qu’il soit concomitant de celui d’un complot des élites pour une élimination massive des terriens, complot attribué à Bill Gates ou à un quelconque Nouvel Ordre Mondial .
Pourquoi ce thème réveille-t-il de telles terreurs, pourquoi semble-t-il attaquer à ce point la légitimité de l’existence de nos interlocuteurs, pour qu’ils nous agressent aussi violemment ? Il est vrai que la seconde forme emprunte à la facile tactique de la condamnation a priori des questionneurs, comme D. Barthès l’a indiqué très justement dans un article, et que le sujet de la natalité est sensible, intime… Cependant tout cela me semble s’apparenter aussi à une réaction désespérée de déni. On peut en effet, penser que l’humain a perdu au fil des siècles beaucoup d’illusions sur sa toute puissance : Dieu (quoique depuis deux décennies…) et les espérances du Grand Soir l’ont quitté, la «découverte» de l’Inconscient lui a ôté la certitude de maîtriser son destin et enfin sa planète ne s’avère plus infinie ni sa corne d’abondance éternelle. Pour refuser la régulation de sa descendance, dernier espace de liberté, de toute puissance imaginaire – et dernier espoir de se multiplier à l’infini pour éviter de se confronter individuellement à sa misérable finitude – il cherche farouchement des échappatoires : retournement des jumelles pour ne voir que les initiatives locales, transhumanisme, colonisation de Mars… voire certitude que la catastrophe qui arrivera à coup sûr l’épargnera lui et les siens, lui permettant ainsi de retrouver l’infini de la planète, de ses ressources et la possibilité de se reproduire à nouveau sans frein (cf. les mouvements survivalistes et collapsologues). Notre Ubris (ou hybris) semble avoir trouvé un dernier refuge dans ce déni de la surpopulation. D’où peut-être ces réactions agressives et irrationnelles face à une réalité effrayante…
Avec cette ultime illusion perdue, le roi est vraiment nu et l’homme bien seul face à la mort. La sienne et celle, toujours possible, de son espèce.
Anne-Marie Teysseire
Une idée, agir avec l’association « Démographie Responsable »
Bonjour A-Marie Teysseire
C’est donc avec plaisir que je vois que nous sommes d’accord sur pas mal de points, j’oserais dire sur l’essentiel, et c’est encore avec plaisir que je vois que les échanges peuvent être positifs. Sur ce problème, vous et moi tenons compte des prévisions des spécialistes, les démographes, et comme eux nous savons ce que valent les prévisions au-delà de 50 ans, c’est à dire finalement pas grand chose, « ce ne sont que des projections », jusque là nous sommes donc d’accord.
En effet ces projections pour 2100 vont de 7,275 à 16,5 milliards. Mais cet écart (incertitude) de l’ordre de 8 à 9 milliards ne signifie pas le résultat de la prise en compte de ce problème, sinon en effet votre combat serait réellement prioritaire. D’autre part, même si je ne suis pas démographe, je n’arrive pas à imaginer comment nous pourrions arriver à ces 16 milliards, j’ai donc tendance à juger cette variante haute… irréaliste, et la variante basse … plutôt optimiste. Quoi qu’il en soit aucun de nous n’ayant de boule de cristal il serait idiot de nous quereller au sujet des prévisions de Madame Irma, il y a bien assez de violence et de bêtise en ce bas monde. Votre combat vise donc à limiter le problème démographique et ceci principalement par l’éducation, moi-même je place l’éducation au premier plan des priorités, non pas seulement dans le but d’influer sur les sexualités et la natalité, mais plus généralement sur l’ensemble de nos façons de vivre et de penser.
Vous avez raison pour 2050 : les jeux sont faits. Il nous reste une petite latitude pour la fin du siècle puisque selon les démographes, il suffirait de 0,5 enfant de moins par femme pour que nous nous rapprochions plus des projections basses que des hautes. Et la différence est je crois de l’ordre de 7 à 8 milliards. Ce qui n’est tout de même pas négligeable…mais bien sûr, ce ne sont que des projections.
Oui, l’avenir de toutes façons , ne sera pas joyeux.
Bien entendu l’injonction « suicidez-vous » dénote soit un manque d’argumentation soit une certaine lassitude, en ce qui me concerne j’essaie de trouver autre chose. Quant à la seconde réaction, sous forme de question, je maintiens qu’elle ne peux pas être considérée comme un refus de tenir compte du problème démographique. La moindre des lucidités ne peut ignorer ce problème et refuser d’en tenir compte reviendrait au même que de refuser de tenir compte de tout le reste. Mais je maintiens qu’à partir du moment où l’on place ce problème en numéro 1 et qu’on pense que tous les autres ne pourront être réglés qu’après avoir réglé celui-ci, alors la question » qui et comment ? » tombe automatiquement. Et chacun peut alors interpréter à sa guise ce refus d’y répondre, ou la réaction qu’elle suscite.
Je sais bien que Démographie Responsable ne prône pas le meurtre de masse, mais j’ai déjà dit ce que nous pouvions raisonnablement attendre en matière de lutte (moralement acceptable) contre ce problème. Même si demain par miracle était prise au niveau mondial la décision de consacrer un effort considérable sur l’éducation, ainsi que la « bonne contraception » accessible et gratuite pour tous, nous ne pourrions pas espérer de résultats avant plusieurs décennies. Quoi que nous fassions nous serons aux alentours de 9,8 milliards en 2050 , et personne ne peut dire combien nous serons en 2100. Et c’est exactement la même chose en ce qui concerne la décroissance économique. La décroissance, qu’elle soit démographique ou économique, ne sera pas choisie mais subie, et bien sûr elle ne sera pas joyeuse.
Le natalisme repose sur une certaine lâcheté.
Refuser de poser la question du nombre est une manière facile de se donner le bon rôle. On peut ainsi, à bon compte laisser entendre qu’on est humaniste, qu’on aime les enfants, on peut se contenter de faire porter la responsabilité du problème sur quelques boucs émissaires dont on sait bien que la dénonciation sera quasi-unanimement approuvée et vous fera bien voir de la majorité.
Alors évidemment quand certains (les antinatalistes) ne cèdent pas à cette facilité, on se sent menacé. Cette franchise de la réflexion est déstabilisante et la mauvaise foi ou l’attaque à la limite de l’insulte (parfois largement de l’autre côté de la limite) reste la seule riposte.
C’est, je crois, ce qui motive parfois ces ridicules et infâmes « suicidez-vous », les natalistes n’ont tout simplement pas d’autre argumentation.
« Personnellement je me reconnais, non pas dans la première, mais dans cette seconde réaction que vous qualifiez de « plus subtilement agressive ». Vous percevez la question « Surpopulation ? Alors on commence par (éliminer) qui ? » comme une agression, comme une violence. Et là du coup, c’est moi qui suis étonné » ….si vous êtes étonné, pardon, c’est entièrement de ma faute. En effet, j’ai omis de vous préciser que les dénatalistes ne prônent pas le meurtre de masse de nos concitoyens mais le planning et la contraception.
Après si vous considérez que traiter son interlocuteur même ironiquement, d’assassin est un argument dans une discussion…
Bonjour A-Marie Teysseire
Je viens de relire votre texte, et comme d’habitude je l’ai lu en essayant de lire entre les lignes. Vous parlez d’une violence qui vous étonne. Alors essayons de voir ça de plus près.
Personnellement je me reconnais, non pas dans la première, mais dans cette seconde réaction que vous qualifiez de « plus subtilement agressive ». Vous percevez la question « Surpopulation ? Alors on commence par (éliminer) qui ? » comme une agression, comme une violence. Et là du coup, c’est moi qui suis étonné… étonné mais pas quand même agressé. Déjà ce que nous pouvons dire sans risque de nous tromper, c’est que si cette question vous met dans cet état, c’est qu’il s’agit d’une question qui fâche. Mais pourquoi donc ? Vous dites voir dans cette question de la subtilité, de la tactique, pour ne pas dire un stratagème, ce qui renvoie à mon précédent commentaire. Admettons, et nous dirons alors que c’est le jeu. Mais de mon côté je préfère comprendre la véritable raison de votre réaction face à cette question. Serait-ce tout simplement parce qu’il n’est pas facile de répondre à cette question, finalement toute simple, ou trop simple ? Et de ce fait, dans un débat qui se veut constructif, celui qui la pose est alors perçu comme un emm… un empêcheur d’avancer, autrement dit un affreux réactionnaire complice et/ou acteur du massacre de la biosphère ? Ou alors serait-ce parce que cette question est aussi un peu trop ironique, et que l’ironie ça pique ? Mais enfin, lorsqu’on aborde le problème démographique, lorsqu’on en vient à prononcer certains mots, « surpopulation », « surnombre », « trop nombreux », cette question ne peut quand même pas être ignorée ou repoussée comme si elle n’avait aucun sens, on ne peut pas la planquer sous le tapis comme on fait avec les déchets nucléaires. Je ne vois donc pas d’agression ou de violence à poser cette question, pas plus que je ne vois en quoi cette question trahirait une quelconque terreur chez celui qui la pose … et j’ose dire qu’en continuant sur cette pseudo analyse nous allons vite nous enfoncer dans le grand n’importe quoi. En fait, il me semble que la seule réaction à votre discours que vous pouvez accepter, c’est qu’on vous dise amen.
Même si vous n’ avez lu mon texte qu’ en diagonale, je ne comprends pas comment vous pouvez croire que je présente là les deux seuls arguments anti-malthusiens…
Ces réactions sont étonnantes( ce n’est quand même pas dans tous les débats qu’on propose un suicide ou un meurtre à son interlocuteur, non?) et j’essaie seulement de réfléchir à ce qui peut conduire à des propos aussi extrêmes.
Croyez bien que je sais aussi où se logent toutes nos démesures. Je regrette, mais croire qu’on peut solutionner les problèmes de la planète sans agir AUSSI sur le nombre des hommes en même temps que sur leur sacro-saint besoin de confort, c’est du déni de réalité. Quoiqu’en pense P. Rahbi…
Bonsoir Didier Barthès
En effet je ne suis pas militant de quoi que ce soit, mais je connais pas mal de militants de ceci ou cela. Pas besoin d’être militant pour entendre des torrents de bêtises et se ramasser des torrents d’insultes. Je l’ai toujours dit, des c..s il y en a partout.
Par rapport à ce que vous ne comprenez pas dans mon commentaire précédent, vous trouverez peut-être de quoi vous éclairer dans mon commentaire sur « la pensée de Nicolas Hulot en 1995 » (Michel C | le 02 mars 2018 à 17:24)
Bonjour Michel C,
Votre remarque s’explique sans doute par le fait que vous n’êtes pas militant anti-nataliste et que donc vous ignorez le torrent de bêtises et d’insultes que ce militantisme suppose de recevoir même quand il est présenté de façon argumenté et sans agressivité aucune.
Je ne comprends pas votre dernière phrase non plus, vous savez bien que cette caricature est à mille lieues de ce que dit l’association Démographie Responsable et ceux qui y sont engagés. On pourrait hélas à sa lecture penser qu’il y a un rapport quelconque et vous savez bien que c’est faux. En aucun cas militer pour la modestie démographique n’est une façon de promouvoir le gaspillage ou l’arrogance.
Depuis au moins l’époque des sophistes il y a 2500 ans, la plupart du temps les débats d’idées en politique se résument à « l’art d’avoir toujours raison ». C’est d’ailleurs là-dessus que ce sont construites nos démocraties ainsi que tout un tas de métiers, illusionniste, marchand de salades, politicien, publicitaire, etc. Les deux camps, voire davantage, passent leur temps et dépensent leur énergie à user et abuser de stratagèmes visant, soit à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, soit à démolir les arguments des adversaires.
Ainsi résumer l’argumentation des « anti-malthusiens » à ces deux réactions soit-disant récurrentes, me paraît vraiment osé. Et tout aussi osé, de ressasser cette histoire de tabou (comme s’il n’y en avait pas d’autres) qui laisse entendre que les « anti-malthusiens » seraient à genoux devant l’injonction divine « Croissez et peuplez la Terre ! », et du coup seraient d’affreux natalistes. Quant à présenter les « anti-malthusiens » comme de simples victimes du déni de réalité, là c’est le pompon.
Mais déjà, c’est quoi cette façon de voir le monde, avec d’un côté des « pro » et de l’autre des « anti », et ce quel que soit le sujet ou le problème ?
Oui, le sujet de la natalité est effectivement sensible et intime. Et alors ? N’y a t-il que celui-là qui soit sensible ? Pour reprendre un mot employé par Pierre Rabhi, je dis que c’est une véritable imposture que d’essayer de confondre notre grave problème de démesure (hubris-hybris) avec notre surpopulation.
La démesure est aussi dans notre indécence, ne serait-ce qu’en nous autorisant à « consommer » 2,5 planètes pour satisfaire ce sacro-saint « besoin » d’un certain confort…
Mais la pire de l’indécence est pour moi atteinte par ce type en train de bouffer la Terre tout en déclarant : « vous êtes vraiment trop nombreux ! » (caricature de Red)