Mettre le marché du rasoir en capilotade, le pied

Dans une société imbécile, tu es obligé de porter la barbe pour montrer ta soumission à dieu et à ses interprètes. Dans d’autres sociétés imbéciles, il faut être glabre, rasé de près, avec le dernier modèle jetable ou à trois lames. LE MONDE s’intéresse à la mode récente de « la barbe qui bouscule le marché du rasoir »*. Dans les sociétés dites modernes, il était en effet très idiot de céder aux sirènes publicitaires du rasoir jetable à petits prix, l’« innovation » faite en 1975 par le baron Marcel Bich. Aujourd’hui la marque Bic devient un peu moins amoureuse des déchets, elle lance deux nouveaux modèles de rasoirs  « rechargeables ». Mais il ne faudrait pas se raser quand on est écolo. Comme l’exprime Georgescu-Roegen** : « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. »  Autour de nous, toute chose s’oxyde, se casse se disperse, etc. N’en rajoutons pas inutilement avec des lames jetables ou rechargeables. Laissons la barbe pousser…

Malheureusement LE MONDE ne s’intéresse pas à l’écologie du quotidien. L’article fait d’abord un long panégyrique des différents modes de commercialisation… des rasoirs. Pour aborder seulement en deuxième partie l’effet de mode, le nouveau look, la barbe (naissante) qui s’impose pour « Jeunes ou vieux, de droite comme de gauche ». « Même George Clooney », constate une responsable marketing de Remington. Affolement du marché, la clientèle de Gillette, Wilkinson et autres Bic se rétracte. En France, le rasoir jetable plonge de 5,5 %. Mais rien dans LE MONDE sur le refus des écologistes de tout jetable et de l’obsolescence programmée. C’est la baisse du chiffre d’affaires des marchands de lames qui importe et les moyens de réagir : «  Procter & Gamble, propriétaire de la marque Gillette depuis  2005, a vu ses ventes de produits dits de grooming (toilettage, en anglais) tomber à 6,8 milliards de dollars en 2016, après une chute de 8 %. Son PDG vient d’annoncer qu’il taillera de 20 % dans les prix des rasoirs… »… « La marque américaine Remington a inventé un réservoir qui aspire les poils coupés, puis un modèle à écran tactile… » « Le néerlandais Philips a investi le Net pour vendre aux jeunes geeks… » L’explication du choix de la barbe est succincte ; il paraîtrait que cette évolution serait une sorte de contre-tendance virile au « féminisme dominant » ou une « éloge de la paresse » chez les « urbains qui renouent avec leur côté sauvage ». Pourtant le fait de se raser n’indiquait pas une convergence des sexes ou l’éloignement de l’homme de son origine animale. Il s’agissait uniquement d’une instrumentalisation des hommes, le poil était devenu le cœur d’une nouvelle cible à des fins mercantiles. Au XIXe siècle, c’est la barbe qui était à la mode.

Personnellement je suis barbu, comme tout écolo qui se respecte. C’est le témoignage d’un retour à la nature contre la civilisation du rasoir jetable, contre le consumérisme qui envahit tous les domaines. Mon apparence pileuse n’est signe ni d’une symbolique du pouvoir (les pharaons portaient des barbes postiches), ni d’un caractère masculin patriarcal et dominant. Elle correspond à la mentalité hippie des années 1960, réaction contre l’ordre établi et l’impérialisme du rasoir électrique. Mais attention, ma barbe n’a pas de connotation religieuse, il y a barbu et barbu. D’aillerus ceux qui se tournent vers l’islam radical ne comprennent rien à l’écologie…

* LE MONDE du 6 avril 2017, La mode de la barbe bouscule le marché du rasoir

** La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas Georgescu-Roegen (1979, Sang de la terre 1995)