Michel Tarrier et le cadavre de l’humanité

L’humaniquée de Michel Tarrier

La planète repose dans un état critique. Son bilan de santé s’aggrave de jour en jour. Anémie des flux marins. Chlorose des sous-sols. Eczéma sévère des terres. Insuffisance pulmonaire de l’Amazonie. Et surpoids par-dessus le pompon. Depuis le temps qu’on lui monte des dossiers médicaux, que l’on redouble de consultations, de diagnostics, de prescriptions, de rapports de Club de Rome et de Meadows… Gesticulations dans le vide. Dossiers classés sans suite. Du vent. On lui a endoscopié les fonds, biopsié les sols, échographié les voies respiratoires. On lui a ordonné d’arrêter de fumer du CO2, de passer à un régime minceur, d’engloutir moins de viande, de changer de mode de vie, plus sobre, plus équilibré : rien n’y a fait ! Résultat des courses à l’abîme : le pronostic vital de l’humaniquée est engagé. Et nous regardons ailleurs…

Livre après livre, pamphlet énervé après charge furibarde contre notre espèce butée, Michel Tarrier tâte le pouls d’une nature exhalant une haleine de mort, enregistre les soupirs et les râles d’agonie, mesure la fièvre qui monte, alerte sur les symptômes affolants de l’imminente crise d’apoplexie finale, passe et repasse des radiographies criblées de points rouges jusqu’à saturation, sonne les cloches aux assassins de la planète, sonne le tocsin, les trompettes de l’Apocalypse, le « glas eschatologique ». Et tout cela, en vain. Coups d’épée dans l’eau. Coups de pelle dans le vide contre « les z’enculés de l’apocalypse ». Et demain, business as usual comme d’habe…

Le Docteur Tarrier, écosophe et naturaliste de son état, veille au chevet de Gaïa depuis des lunes. Il n’a cessé de délivrer des ordonnances contre l’infection pullulante d’Homo coronavirus : ce fléau à couronne, roi auto-proclamé de la Création. De réclamer d’urgence la camisole de force contre les agissements du plus gros psychopathe du globe, massacrant à froid et sans états d’âme les autres espèces, sa mère Nature, et bientôt toute la Voie lactée si on ne l’arrête pas. De multiplier les « S.O.S Terre en détresse ! », les cris éraillés dans le désert aux têtes de linotte enfouies dans le sable. De pousser des hurlements rauques à des oreilles sourdes comme des pots d’échappement. De gueuler à s’enrouer la gorge des « Attention ! Organes vitaux de la Terre en danger ! ». De rugir comme un damné sur tous les toits des « Ça va comme ça ! », « Parce que c’en est assez ! », « Finie la récré sur le dos de la biosphère ! ».

Aujourd’hui encore, le Dr Tarrier ausculte pour une énième fois, dans ces Cahiers d’écorésistance, le cœur d’une boule bleue en phase terminale, dont les fonctions vitales capotent, s’emballent et basculent à plus brève échéance que prévu. À coups de diagnostics accablants, de soupirs amers et de bras qui en tombent, l’auteur de 2050, Sauve qui peut la Terre (2007), de Dictature verte (2010), des Orphelins de Gaïa (2012), et du Malheur de naître (2020) et de biens d’autres opus gorgés de verve, de mordant et de hargne souveraine, murmure dans ces Cahiers d’ultimes « écogitations » funèbres à l’adresse d’une humanité qu’il sait coincée, cul-de-sacquée dans le couloir de la mort. Une humaniquée qui après avoir scié toutes les branches du Vivant dont dépendait sa survie, assiste, impuissante et désemparée, à sa lente noyade dans ses propres toxines et immondices, voit l’ultime branche sur laquelle elle est assise s’effondrer brutalement sous la surcharge pondérale de son fessier obèse.


À quoi bon donc, vu notre démence suicidaire, actionner des sirènes tonitruantes, si c’est pour qu’elles soient aussitôt étouffées par le déni de réalité ambiant, par les vœux pieux technosolutionnistes, par le tout-va-s’arrangisme et la myopie des hommes ? À quoi bon ces Cahiers, sinon le plaisir d’avoir affaire à autre chose qu’au tout-venant de l’habituel bullshit des écolos mainstream, enrobé d’idéalisme naïf, sucré de niaises utopies permacucul, édulcoré de lendemains qui mentent ; bref, les boniments et salades servis et resservis as usual à mesure que tout empire, par les bons soins des indécrottables confiants-malgré-tout-dans-l’avenir et des écoptimistes-envers-et-contre-tout-car-il-n’est-jamais-trop-tard ?

À quoi bon, enfin, ces Cahiers d’écorésistance – si ce n’est la joie amère de côtoyer une pensée dénuée de faux espoir sécurisant, de tenir entre ses doigts un pavé étincelant de lucidité crépusculaire, une somme de sainte colère et de vérité irrespirable pour le commun des mortels – si c’est pour qu’une fois de plus se dresse face à lui une Grande Muraille de dos ronds amorphes, de pipeauliticiens aux mains sales et « impuissantes », d’invétérés statu-quo-istes jusqu’au-boutistes, de têtes d’autruche engluées dans le sable des écrans ? Car Tarrier ne sait que trop bien l’inanité de ses objurgations et de ses supplications désespérées. Il connaît le fieffé bipède comme les lignes parcheminées de sa main – en fin entomologiste qu’il est – cette main avec laquelle il flanque des baffes méritées que le sinistre ravageur dit « Sage » n’a pas volées. C’est que le bon Tarrier se fait zéro illusion sur notre foutue espèce, « qui n’a pour seul horizon que ses restes dans un désert en partage », et que seule une écocratie en bonne et due forme saurait remettre au pas, tant il est vrai que « Les enfants de Caïn méritent un bon coup de pied au cul ! » Il sait de quoi l’animal « doué de déraison » est le non : non au respect et au bien-vivre de nos « mammi-frères », non à la survie des pollinisateurs, non à un pacte sensible et raisonné avec les autres loca-Terres, non à une empreinte écologique qui vit et laisse vivre, compatible avec les limites de la biosphère. Il sait le satané Sapiens incorrigible, il le sait incurable, et dans la connerie, et dans le nombre, et dans la prédation. Il le sait multirécidiviste dans la nuisance, impénitent dans les forfaits contre la vie, dans le dépiautage de Gaïa, dans le racisme, dans le sexisme, dans le spécisme, dans le tir de fusil dans le pied : dans la « cruauté brute de décoffrage et en toute impunité ».

Michel Tarrier est un des rares écologistes aujourd’hui – sinon le seul ! – à administrer un électrochoc cinglant contre nos consciences comateuses sans s’excuser aussitôt de les avoir tétanisées ou bousculées, les pauvres petits choux, contrairement à la plupart des écolos dans le vent et sur les ondes des plateaux télé, craignant de briser le moral de leurs lecteurs, toujours prompts à leur ménager les sentiments par des propos tranquillisants, comme si leur était dénié la maturité intellectuelle et émotionnelle nécessaire pour regarder sans ciller la réalité amère de l’avenir. Sans doute le seul, l’auteur de Nous, peuple dernier (2009), à ne pas faire dans la dentelle bienséante, à pester contre la peste humaine écologiquement nuisible, à hausser un ton rageur et franc du collier, à dire la vérité glaçante comme la mort à la patiente en soins intensifs nommée « Humanité » : sur la phase terminale où elle va bientôt se retrouver gisante tant elle s’entête à persévérer dans le mal-être qu’elle fiche à la Terre-mère. Le seul, ce bon Michel, à vous tirer par le lobule de l’oreille afin de vous pointer le long de notre route pavée d’enfer tous les tonneaux que l’on va se prendre plein les gencives dans les années à venir, tous les pétrins qui nous pendent au museau de grands singes borgnes et court-termistes.

Le seul, cet écosophe de Tarrier, à vous enfiler à sec, sans gelée de pétrole ni complaisance, l’incommodant suppositoire de ce qui nous attend au bout de l’autoroute du malheur, vers quoi nous fonçons comme des lemmings décérébrés – nous, les « doués de cortex »… –, le nez dans le guidon drogués au toujours plus, les narines grisées d’effluves de mazout. Le seul pamphlétaire, ami de la Terre, des animaux, de la nature vivante dans toute sa désormais défunte splendeur, au verbe véhément, acéré comme le sera le couperet de l’an 2050 ; le seul qui n’y va pas par les quatre chemins qui nous mènent inexorablement au diable « des étés à 50 degrés à l’ombre ». Chez le brave Tarrier, point de pilule dorée. Point de « C’est grave, très grave mes loupiots, mais l’on va se tirer d’affaire : y’a qu’à, faut qu’on, une dose de « transition énergétique » par-ci, des rustines écoresponsables par-là, et à nous les douces utopies qui bâillent à l’horizon ! ». Nenni. Pas de « Je te brosse un horizon apocalyptique, mais reste attentif, frère humain, aux lueurs d’espoir qui scintillent, là-bas, au loin… ». Pas d’extrême-onction lénifiante faite au squelette calciné en sursis de l’engeance humaine. Pas de baratin rassuriste pour éviter d’affoler le cheptel de bipèdes sapiens. Pas de cachets d’espérine. Pas de morphine palliative au moment d’injecter les quatre vérités en intraveineuse à notre siècle moribond. Et encore moins d’anesthésiques rhétoriques avant d’assener des coups de scalpel du genre : « Et ce troisième millénaire n’eut qu’un siècle », ou de sédatifs avant de dépeindre l’antimonde mal barré à la Mad Max qui vient. Puisque « l’effondrement est là, devant nous, il est au présent et n’appartient plus à la déclinologie. Encore un pas et nous sommes dans le gouffre. Un second pas et c’est le maelstrom, qui nous emportera, comme il a emporté, sous nos yeux, l’essentiel du Vivant. Nous étions faits pour disparaître comme nous étions faits pour respirer, nous avons curieusement choisi la première option, tranquillement, en prenant le temps graduel à l’échelle d’un siècle ou deux. Cet effondrement civilisationnel est parfaitement caractérisé par la perte de la capacité des sociétés humaines à maintenir les fonctions essentielles de gouvernance, y compris la fourniture de produits de première nécessité comme la nourriture et l’eau. Avec, à la clé, de potentiels conflits guerriers. »

Les Cahiers d’écorésistance de Michel Tarrier sont l’autopsie minutieuse, pratiquée pré-mortem, du cadavre en devenir de l’humanité ; la décapante notice nécrologique d’une espèce fossoyeuse de sa propre tombe ; un faire-part de décès d’un monde où il pouvait encore faire bon vivre (encore que…), une pierre tombale de 500 pages dressée dans l’azur du néant de demain, que n’effraie ni le soleil ni la mort, où sont gravées en lettres de feu et de cendre un verbe apocalyptique revenu de tout pour aller au diable ; un Ci-gît damné comme l’enfer annonçant le grand Collapse du triste foutur…

par Christian Adam, le 18 février 2023… À propos de

« Les Cahiers d’écorésistance de Michel Tarrier…

pour comprendre l’antimonde d’après »,

504 pages, 26 €, chez Édilivre

9 réflexions sur “Michel Tarrier et le cadavre de l’humanité”

  1. Cet article soulève une préoccupation très importante et urgente. Malgré les efforts à tous les niveaux, le bilan de la planète s’aggrave de plus en plus. Il faut trouver des solutions durables et efficaces pour sauver notre planète avant qu’il ne soit trop tard!

  2. Eh ben ce coup-ci le BGA a fait fort. Six coups de suite, j’avoue que c’est pas mal.
    C’est sûr que c’est pas moi qui pourrait me le permettre. Misère misère !
    N’empêche que 6 cartouches pour dézinguer ce triste sire, devait avoir la couenne dure le Tarrier. Je suis con vaincu que la Modération va adorer cette rafale. D’autant plus que pour une fois je vais dans le même sens que le BGA. Ben quoi… c’est mon choix !
    Et puis c’est vrai qu’en guise d’applaudissements ce pauvre pleurnichard moribond ne mérite rien d’autre qu’une bonne salve du Parti d’en Rire. Et pareil pour tous les Tristus.
    Foutons-nous joyeusement de leur pauvre gueule, tous ensemble tous ensemble, ouai ouai ! Sale race va !

    1. Je mettrais juste un petit bémol, de rien du tout. Non, ça c’est pas vrai, TOUS les Michel ne sont pas de cette race. Faut pas généraliser comme ça !
      Jean connait des Michel, qui, quand le vin est tiré, aiment bien picoler.
      Et rigoler, chanter et en même temps ! L’est-y pas belle la Vie ? Allez va, à la tienne Etienne, à la tienne mon vieux, sans ces gueuses de femmes, nous serions tous des frères. A la tienne Marcel, à la tienne Michel, Tralala Lala, Tralala Lalère !
      Mon dieu toutes ces conneries con peut pas lire sur Biosphère ! J’en pète de rire.
      Et au diable la modération ! Toute façon, quand ont a chié dans sa couche, plus besoin de serrer les fesses ! 🙂 🙂 🙂

    2. Plus sérieusement, quoique, comme il me reste deux cartouches j’en profite.
      Cette logorrhée de Christian Adam s’accorde finalement très bien au Théâtre de l’Absurde. Certes il y a du style, seulement ça reste du blabla.
      Du blabla pour faire la promo d’un bouquin, un énième bouquin, écrit par un type qui aura finalement passé sa vie à blablater et à vendre des bouquins.
      Et encore s’ils avaient servis à quelque chose, ses bouquins… Même pas !
      Et en plus il le sait, il le dit, il l’écrit, le Tarrier. Misère misère ! Ses bouquins ne sont finalement que des défouloirs, et probablement sa thérapie. Sa came, quoi.
      Bref, du théâtre, du cirque, du cinéma !

      1. En attendant chacun fera ce qu’il voudra, mais ce n’est certainement pas moi qui vais filer 26 € pour lire ce genre de conneries.

        – « Michel Tarrier est un des rares écologistes aujourd’hui – sinon le seul ! – à administrer un électrochoc cinglant contre nos consciences comateuses sans s’excuser aussitôt de les avoir tétanisées ou bousculées, les pauvres petits choux [et blablabla.]
        Le seul, cet écosophe de Tarrier, à vous enfiler à sec [et patati et patata] »

        Le seul… vraiment ? Pour ce qui est de nous enfiler à sec, pas moi en tous cas, ça par contre je veux bien le croire.

  3. Ah là là que de pleurnicheries dans ce texte de Michel Tarrier ! A croire que pleurnicher est la une caractéristique commune de tous les Michel ? Pourquoi s’en faire pour Gaïa la Terre Mère ? Elle se régénère toujours pour retrouver une santé de fer ! La preuve il y a déjà eu au minimum 5 extinctions de masse des espèces ! Quand les espèces qui arpentent Gaïa notre très chère Mère se comportent comme des parasites, alors Mère devient méchante et châtie ses enfants bien comme il faut ! Mère devient malthusienne face aux parasites ! Gaïa contrairement aux Michels adore Malthus, je pense même qu’elle ira encore plus loin que lui dans les théories malthusiennes dont elle n’hésitera pas à mette en pratique ! Ensuite pourquoi pleurnicher face aux guerres ?

    1. Si guerres il y aura c’est aussi parce que les humains l’auront voulu ! La preuve, ce sont les humains qui tiennent les fusils revolvers et mitrailleuses, encore les humains qui pilotent les drones et avions de combat et encore les humains qui conduisent les chars, ainsi que les humains qui dirigent les portes avions ou autres navires de guerre ! Riches et pauvres sont prêts à tuer pour gagner plus de pouvoir d’achat ! Ils en ont jamais assez quelque que soit leur niveau de richesses ! Je suis certain que les milliardaires rêvent tous de devenir le premier trillardaire de l’humanité ! Je suis même certain que 95% des humains rêvent même d’avoir une planche à billets individuel ! Alors oui, Gaïa va souffrir encore quelques temps, elle sera balafrée sur tous les continents, mais elle ne va pas se laisser faire indéfiniment, elle va régler leurs comptes à ces parasites !

    2. Gaïa va faire une bonne purge, et une fois la purge accomplie, elle se régénérera comme elle l’a fait tant de fois par le passé ! Ne pleurnichez pas, Gaïa est plus forte que vous ne le pensez ! Ses élus qui survivront seront choisis par la sélection naturelle, ainsi soit il ! Une fois la sélection naturelle accomplie, ce sera la grande disgrâce des techno-scientistes, astrophysiciens, biologistes, physiciens, sociologues et autres zinzins qui mettent de la science à toutes les sauces pour nous faire croire au solutionnisme du progrès ! Quand il n’y a plus assez de ressources naturelles pour tous, et ben nos politiciens et économistes ne pourront rien faire, ils seront démunis et désarmés, ils ne pourront pas imprimer du pétrole et de l’uranium comme ils le font avec leurs billets de monopoly dollaresque et européiste !

    3. D’ailleurs ces politiciens et économistes sont incapables de se défendre, des hommelettes qui se feront becqueter par les sauvages des cités qu’ils ont tant protégés, hormis que ces derniers seront bien ingrats et feront leurs peaux face aux pénuries ! Ils vont perdre le contrôle de leurs créatures qu’ils ont générés ou importés !
      Et oui, un monde avec des frontières, avec un peuple vivant dans la sobriété dans l’autarcie car attaché à sa terre pour en prendre soin est beaucoup plus raisonnables qu’un monde sans frontière cosmopolite qui intensifie le commerce et dégrade notre planète par de multiples pollutions ! Qui dit monde sans frontière dit monde avec des moyens de transports intensifs !

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