Moi, taureau de corrida, exige la réciprocité

J’ai fait un rêve, merveilleux rêve, qu’un homme beau et costaud se retrouve dans l’arène, tout nu. Il entre sur le sable, aveuglé par les projecteurs, court à droite ou à gauche, ne sait où aller, ce qu’on attend de lui. Une clameur gonfle, un taureau entre à son tour, majestueux dans sa robe noire, il salue la foule en délire. L’homme comprend brusquement, ce sera une lutte à mort, il cherche comment se défendre, on lui lance un petit couteau. Le spectacle commence. Le taureau, mon frère, va sortir vainqueur, presque toujours. Mais mon cœur pendant le combat a comme d’habitude défailli pour les risques  qu’il fallait prendre face à ce monstre sanguinaire armé d’une lame d’acier.

Nous avons sélectionné cet homme pour sa force et son intelligence, nous l’avons élevé avec d’autres dans l’ignorance de son sort funeste, nous l’avons choisi pour mourir aujourd’hui en public. Ainsi va la vie. Il faut dire que dans notre petit patelin, ça nous amuse beaucoup, la mise à mort d’un homme. C’est notre culture ancestrale, et ce n’est pas quelques opposants à l’humanomachie qui vont nous empêcher d’organiser cette cérémonie, cette façon d’être ensemble de façon effusive, scandée par nos encouragements au taureau. Je me souviens encore avec effroi, j’étais jeune, de ce taureau illustre qui était mort d’un coup de couteau que le hasard avait trop bien placé. Ce que nous aimons, c’est la mort de l’homme. Car l’arène est un lieu d’exaltation, de socialité, un croisement des classes sociales et des âges comme l’avait affirmé notre grand penseur Francis Marmande dans le MONDE* (lu par les taureaux).

Un jugement vient de conforter nos traditions. Organiser des corridas humaines dans certaines régions est conforme à la Constitution, vient de juger le Conseil constitutionnel, rejetant le recours d’associations qui militent contre l’humanomachie**. Les sanctions infligées pour cruauté envers les animaux humains ne peuvent s’appliquer partout. Le critère de « tradition locale ininterrompue », inscrit dans le code pénal pour les exceptions à ces sanctions, est « précis, objectif et rationnel ». Nous l’avions bien compris ainsi, le fait de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est bien puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Sauf s’il s’agit de la mise à mort d’un humain dans notre patelin…

* LE MONDE du 21 septembre 2012, « Pourquoi la corrida ? J’ai à faire avec la vie, l’amour, la mort »

** Le Monde.fr avec AFP | 21.09.2012, La corrida jugée conforme à la Constitution

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