morceaux choisis

Nicolas Hulot (Le Monde du 5 mai 2007) : Pour moi, l’enjeu écologique, c’est-à-dire le choix d’avenir que l’humanité doit faire si elle veut encore s’épanouir dans un monde vivable, se situe politiquement au-delà du champ traditionnel de l’affrontement droite-gauche. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy présentent deux projets de société, mais ils présentent le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et de ses déplacements sans s’interroger sur leur contenu. Or la mutation écologique est incompatible avec cette approche quantitative. L’ardente nécessité de préserver les équilibres et les ressources naturelles nous contraint à imaginer d’autres façons de produire, de consommer, de se nourrir, de se déplacer, de se loger, de travailler, de commercer, d’innover technologiquement, de comptabiliser la richesse.

Bruno Latour (Le Monde du 5 mai 2007) : Jusqu’ici la radicalité en politique voulait dire qu’on allait révolutionner, renverser le système économique. Or la crise écologique nous oblige à une transformation si profonde qu’elle fait pâlir par comparaison tous les rêves de « changer de société ». La prise du pouvoir est une fioriture à côté de la modification radicale de notre « train de vie ». Ceux que j’appelle les ayatollahs du Wall Street Journal sont aussi démunis que les marxistes de gauche devant l’ampleur des transformations qu’il va falloir faire subir à la totalité des commensaux de la planète. Il s’agit de transformer minutieusement chaque mode de vie, chaque rivière, chaque maison, chaque moyen de transport, chaque produit, chaque entreprise, chaque marché, chaque geste.. J’ai l’impression que l’époque demande des modifications de l’intellect qui dépassent de très loin les pâles utopies de nos éminents prédécesseurs.

Edgar Morin (Le Monde2, 5 mai 2007) : Aujourd’hui on progresse tous les jours. Nos portables progressent, nos voitures progressent…mais ils le font hors de tout projet. Ils progressent parce que ceux qui les fabriquent sont condamnés à progresser ou à disparaître : dans l’univers mondialisé et concurrentiel, la question de la finalité s’est complètement obscurcie. Les adultes s’intéressent à leurs enfants, mais de manière individualisée. Le souci du futur existe pour les siens, mais il se volatilise lorsqu’il s’agit de la collectivité, des générations futures. Les politiques ne font rien pour nous inciter à penser au futur, à penser le futur. Dénoncer comme le fait l’extrême gauche (nos vies valent mieux que leurs profits) est stérile si on est incapable d’énoncer. J’ai rencontré des altermondialistes au forum social de Porto Alegre en 2004. Leurs analyses étaient souvent délirantes, sauf sur le constat général : le monde nous échappe. L’altermondialisme n’accède pas à l’idée de Terre-patrie.

Luc Ferry (en écho à E.Morin, même numéro) : le seul ressort sur lequel on peut s’appuyer, c’est le rapport aux générations futures. C’est le seul qui puisse aider à faire comprendre qu’il y a du sens à entreprendre des sacrifices.

 Du point de vue de la Biosphère, nous avons là l’essentiel, l’idée de Terre-patrie : une seule patrie, plus de nationalismes, une pensée tournée vers la Terre-mère dans laquelle nous devons reconnaître que nous avons fait un peu n’importe quoi… Donc nous allons nous tourner vers le sacrifice, voulu ou subi !