Une espèce appartenant au règne animal s’est lancée dans une activité totalement inédite : l’extraction de minerais sans passer par les végétaux, qui jouaient jusqu’alors le rôle de fournisseurs intermédiaires. Cette espèce creuse, perce, concasse le sol, cette espèce c’est la nôtre. Or Nauru est un miroir de la fragilité des civilisations fondées sur le pillage des ressources de la Terre. Nauru, perdu dans l’étendue du Pacifique, ses 10 000 habitants, ses gisements de phosphate… les millions ne tardent pas à pleuvoir sur le petit État. Si bien que dans les années 1970, Nauru est le pays le plus riche du monde, ayant annuellement entre 90 et 120 millions de dollars à sa disposition. L’Etat pourvoit à tout, de la modernisation des infrastructures aux services publics gratuits, en passant par le financement des études à l’étranger… Les extravagances ne connaissent aucune limite et les habitants de l’île vivent essentiellement de loisirs, sans souci du lendemain. Le pays connaît d’énormes problèmes sociaux, dont une obésité endémique, affichant le plus haut taux au monde.
Le premier coup de semonce survient à la fin des années 1970 avec la chute du cours du phosphate. Les années 1990 sonnent comme le réveil brutal pour tout le pays : 80 % de la surface de l’île a déjà été creusé. Comme pour toute ressource naturelle non renouvelable, impossible de maintenir une production régulière et durable. Mais comme la population de l’île s’est habituée à jouer les rentiers oisifs et se refuse à diminuer son train de vie, on emprunte. Les dirigeants de l’île témoignent de cet aveuglement consumériste. Pour masquer le réel, les années 2000 voient Nauru enchaîner les entreprises désespérées. Plutôt que de renouer avec un équilibre perdu, Nauru s’est trouvé un nouvel improbable avenir… le secundary mining ! A savoir creuser la seconde couche de phosphate. Un régime dont on prévoit qu’il ne pourra durer que 30 à 40 ans, la ressource étant naturellement toujours épuisable.
C’est une illustration du caractère suicidaire d’une économie édifiée sur une activité minière effrénée. On peut alors entrevoir le sort qui attend plusieurs pays dont la richesse n’est qu’un mirage, Dubaï et les Etats pétroliers nous venant naturellement en tête. Ce phénomène est le même avec le cuivre, le nickel, le lithium ou même le sable et le gravier dont on extrait quelque 15 milliards de tonnes par an. Mais ce qui est emblématique avec Nauru, c’est qu’il témoigne de l’aveuglement dont nous pouvons faire preuve et de la façon avec laquelle on persiste à vouloir emprunter les chemins qui nous amènent vers l’abîme. Que ce soit sous la Rome antique ou dans l’Empire britannique, la réponse la plus courante afin de composer avec la raréfaction des ressources a été de continuer aveuglément dans l’extraction et la fuite en avant. Quitte à précipiter l’inévitable. Construire une civilisation de la fragilité : n’est-ce pas là ce que nous faisons en conditionnant notre développement à la logique extractiviste ?
(extraits d’un article de David Murray, Le long chemin de l’extractivisme dans le livre
Creuser jusqu’où ? Extractivisme et limites à la croissance)
écosociété, 386 pages pour 20 euros