Nous savons déjà que le projet de loi « Avenir de l’Agriculture et de l’agroécologie » va se terminer par des décrets d’application qui ne laisseront passer qu’une goutte d’eau ! En effet l’agroécologie a été définie comme un « système de production privilégiant l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires ». Or il est impossible de concilier la compétitivité (internationale) des filières agricoles et le passage à une agriculture non productiviste et autonome. Il s’agit encore une fois d’un oxymore, l’union impossible des contraires comme « développement durable » ou « croissance verte » ! Le texte a aussi pour ambition de « préserver le caractère familial de l’agriculture » alors que depuis 60 ans on a éliminé la plus grande partie des agriculteurs et de leur famille au profit de l’agrandissement excessif des exploitations et de l’érosion continue des surfaces agricoles. Pourtant l’intention législative est bonne. La preuve ? La levée des boucliers syndicaux et politiques.
Le syndicat majoritaire et productiviste FNSEA dénonce les contraintes environnementales. Il veut faire pression sur le gouvernement en présentant une liste de propositions pour renforcer la compétitivité des exploitations agricoles*. La réaction de la droite parlementaire est aussi particulièrement significative. Contre un amendement écologique introduisant « la conversion à une agriculture biologique » comme l’une des finalités de la politique agricole, le député UMP Nicolas Dhuicq n’a pas hésité à parler d’un « amendement profondément réactionnaire » qui veut « retourner à un système d’exploitation post-néolithique » et à « l’âge d’or idéal d’avant l’apparition de la chimie ». Le chef de file des députés UMP Christian Jacob a même souhaité « qu’on puisse reprendre la recherche sur les OGM en plein champ car le blocage de la recherche a permis à Monsanto d’avoir une situation de monopole »**.
Pourtant le passage d’un modèle agricole productiviste vers une « agroécologie » est inéluctable. L’agriculture mécanisée, irriguée et dopée par les engrais artificiels n’est rentable que parce que le pétrole est encore à bas prix. Peut-on expliquer à des agro-industriels baignés dans les illusions de la croissance perpétuelle des quintaux à l’hectare que la loi des rendements décroissants en agriculture est incontournable ? Peut-on expliquer que si on met en relation le nombre de calories nécessaires pour produire une denrée alimentaire et le nombre de calories dégagées par cette denrée, le bilan est globalement négatif ? Peut-on expliquer sereinement à des paysans qu’on a transformé en « exploitants » agricoles la validité durable des méthodes de production ancestrale ? peut-on expliquer que la sécurité alimentaire passe par la souveraineté alimentaire et les circuits courts ? Ce serait le rôle de l’écologie politique que de mettre tout cela sur la table… à manger.
* LE MONDE du 8 janvier 2014, Les syndicats se mobilisent alors que la loi d’avenir agricole arrive à l’Assemblée
** Le Monde.fr avec AFP | 09.01.2014, Vifs débats à l’Assemblée autour de l’agroécologie
Tout à fait d’accord avec cette analyse, cette levée de boucliers contre les tentatives en faveur d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement est vraiment déplorable et nous le paierons cher.
Toutefois, il faut ajouter une chose, les partisans de l’agrobiologie ont aussi leur part de responsabilité. Car bien souvent ils se font eux-mêmes les défenseurs de ces oxymores que sont le développement durable, la croissance verte ou l’agrobiologie productiviste. Pour vendre leur concept, au lieu d’insister sur les bienfaits environnementaux et sur les bienfaits pour la santé d’une telle agriculture, ils tiennent à insister sur le fait qu’une telle agriculture aurait une plus grande productivité et pourrait nourrir 10, 12 … 20 milliards de personnes. Outre le mensonge (car quand même une bonne partie de cette agrobiologie relève de ce qu’on faisait avant les engrais et la mécanisation quand justement on pouvait à peine nourrir un milliards d’humains), ils semblent se moquer éperdument de ce que l’existence de tels effectifs conduirait à l’élimination de l’essentiel du monde sauvage et nous enferment dans une volonté de « toujours plus », volonté qui est au cœur de notre problème. Si l’agrobiologie devient l’outil pour poursuivre notre folle fuite en avant…. je ne souscris pas, cela détruira aussi le monde.