Où va le monde ? Il court trop vite à la catastrophe

Tous les discours médiatisés ont un point commun : la croissance va revenir, on va s’en tirer, le cours ordinaire des choses reprendra à terme. C’est là l’illusion qui expose au danger. Car si rien ne change, nous savons que nous allons à la catastrophe.

1/4) Yves Cochet, devant la catastrophe

Il y a des domaines qui dépendent d’un accord entre humains, d’autres des ressources naturelles. Or la nature ne négocie pas avec les humains. A cet égard, le projet de loi sur les retraites, adopté en octobre 2010, est non seulement injuste lorsqu’on examine ses fondements socioéconomiques, mais il est surtout irréaliste dans sa conception même, fondé sur un rapport du Conseil d’orientation des retraites publié en avril 2010. Celui-ci fondait ses calculs les plus pessimistes sur une croissance annuelle moyenne de 1,5 % jusqu’en 2050, soit une augmentation du PIB de 100 % à cet horizon. Comment peut-on sérieusement supputer cela aujourd’hui ? Aucun de ces auteurs ne partage le point de vue écologiste de la singularité absolue de la situation actuelle. Je suis du côté des objecteurs de croissance. J’estime que la récession probable – voire la dépression – sera un passage fatal vers toute société de décroissance.

En effet, à la manière de Marx, je crois que ce sont les circonstances matérielles qui déterminent les consciences et non l’inverse. Notre existence  sociale n’est pas déterminée par notre conscience, mais dépend plutôt d’une réalité qui nous dépasse : les rapports de production chez Marx, la géologie chez moi.

Ce sont ceux qui nient la proximité de la catastrophe, ceux qui croient à la continuité, ceux qui s’enivrent de l’illusion de la croissance, qui sont catastrophistes sans le savoir, par aveuglement.

2/4) Jean-Pierre Dupuy, faire comme si le pire était inévitable

En conclusion de son film Une vérité qui dérange (2006), Al Gore pose un problème philosophique considérable : « Les générations futures auront vraisemblablement à se poser la question suivante, « A quoi donc pouvaient bien penser nos parents, Pourquoi ne se sont-ils pas réveillés alors qu’ils pouvaient encore le faire ?  » Cette question qu’ils nous posent, c’est maintenant que nous devons l’entendre. »

Les catastrophes naturelles et les catastrophes morales, de plus en plus, seront indiscernables. Il est encore temps de faire que jamais il ne pourra être dit par nos descendants : « Trop tard ! » Un trop tard qui signifierait qu’ils se trouvent dans une situation où aucune vie humaine digne de ce nom n’est possible. C’est l’avenir qui donne sens au passé.

3/4) Susan George : Où va le monde ? Dans le mur, si nous laissons faire

Nous aurions dépensé 14 000 milliards de dollars en Occident pour sauver les banques et remettre le système financier en place depuis le début de la crise financière en septembre 2008. Un audit de la Réserve fédérale, en juillet 2011, révélait des prêts et garanties d’urgence de 16 000 milliards de dollars aux banques américaines et étrangères. Un chercheur indépendant arrive au total ahurissant de 29 000 milliards. On a convaincu les banques qu’on allait les sauver quoi qu’elles fassent, elles ont donc tout encouragement pour prendre à nouveau des risques inconsidérés. L’économie de casino est repartie de plus belle. Je prévois donc dans les dix ans qui viennent une autre crise financière qui sera plus dévastatrice encore.

Avec la finance, il est cependant possible de dire : « On s’est trompé et il faut se réorganiser du tout au tout. » Avec le climat, ce n’est pas possible. Je pense que la conscience qu’ont les gens de la gravité de la situation augmente, de façon probablement exponentielle. Nous voyons des initiatives absolument partout. Il faut en quelque sorte reconnaître la planète comme la « loi suprême ».

4/4) Serge Latouche, l’Europe de Charlemagne va éclater

Nous sommes en post-démocratie, des systèmes représentatifs manipulés par les lobbies et les médias. Avec l’extraordinaire versatilité des opinions publiques, les évolutions des sociétés sont imprévisibles. Comme les Romains à la chute de leur empire, on ne peut supporter ni les maux, ni les remèdes.

Le modèle systémique World 3 (Limits to Growth, The 30-year Update – 2004), testé sur plus d’un siècle est un bon outil pour prévoir les tendances lourdes. Selon que l’on prenne des mesures palliatives plus ou moins sérieuses, l’effondrement – le collapse – se situe en 2030 et 2070 : 2030, en raison de la crise des énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, uranium, terres rares, autres minéraux) ; 2070, en raison des pollutions, des dérèglements climatiques, de la désertification  dans un monde qui compterait entre neuf et dix milliards d’habitants.

Les études des historiens nous apprennent que la vie perdure, tant bien que mal. En raison de la logique routinière, les grands projets programmés se poursuivent : autoroutes, aqueducs, aéroports, tunnels, centrales nucléaires et autres projets insoutenables comme le Grand Paris – alors que très probablement, il n’y aura bientôt plus de pétrole pour les faire fonctionner. Les avions repartent jusqu’à ce que, de blocages des dépôts de pétrole en faillites de compagnies aériennes, de plus en plus de destinations ne soient plus assurées. Et puis un beau jour plus un seul avion ne vole dans le ciel. Mais à ce moment-là, cela ne dérange plus personne. Les supermarchés ont fermé leurs portes, mais les Villes en transition s’efforcent de résoudre les problèmes d’intendance, y réussissant tant bien que mal.

L’Euroland était une tentative de contrecarrer la tendance lourde, celle de l’effondrement. Sa réussite provisoire constitue une parenthèse historique dans l’évolution à long terme qui va vers l’émiettement des organisations sociales et politiques. L’éclatement de la Belgique, après celui de la Tchécoslovaquie, de l’URSS, de la Yougoslavie et, demain, de l’Espagne, de l’Italie et de bien d’autres, est le signe manifeste de cette logique. Des fiefs plus ou moins fascistes dominés par des dictateurs populistes et xénophobes se dessinent déjà en Italie, en Autriche, en Hongrie et ailleurs, voire par des chefs de guerre comme dans l’ex-Yougoslavie. Bien sûr cela n’ira pas sans grèves, émeutes, saccages, grenades lacrymogènes et aussi, selon toute vraisemblance, kalachnikovs… A moins de remettre en question la société de croissance, on n’échappera pas au chaos.

Les mouvements antisystèmiques se développent, dans les villes en transition, les cités postcarbone, au sein des AMAP, par le biais d’échanges effectués avec des monnaies locales… Tout cela va dans un sens favorable au renforcement des organisations résilientes, autonomes et conviviales, constituant des oasis qui peuvent féconder le désert ou, au contraire être étouffées par lui. Outre le jardin familial et le bricolage qui résistent en toutes circonstances, deux institutions témoignent depuis le Néolithique d’une extraordinaire résilience : la petite exploitation paysanne et l’atelier artisanal. Ces deux institutions expliquent pourquoi et comment les Russes ont survécu à la décomposition de l’Union soviétique. Le message final est simple : le bonheur, la félicité se trouve dans la capacité à savoir limiter ses besoins.

in « Où va le monde ? (une décennie 2012-2022 au-devant des catastrophes) »

(mille et une nuits, 2012)