– Papa, c’est loin l’apocalypse ? Tais-toi et consomme.
– Depuis que je suis tout petit, le monde « moderne », le monde où nous enferme une technologie acéphale et monstrueusement foisonnante, me remplit d’horreur par sa laideur. Cette laideur est le signe d’un profond déséquilibre, et ce déséquilibre finira par entraîné la destruction de la civilisation qui l’avait engendré.
– Le « devoir » de nos concitoyens est de déserter un espace rural désormais voué à la pollution touristique et de s’entasser frénétiquement dans des mégalopoles invivables. Toute une imprégnation idéologique les y pousse.
– Je ne peux pas piffrer ce mot d’environnement, il pue l’anthropocentrisme, alors que la prise de conscience qui l’a mis à la mode annonce la fin d’un anthropocentrisme dépassé.
– Pendant qu’on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s’engendrent les unes aux autres en répétant toujours la même chose, l’homme est en train, à force d’exploitation technologique incontrôlée, de rendre la Terre inhabitable non seulement pour lui, mais pour toutes les formes de vie qui s’étaient jusqu’alors accommodées de sa présence.
– Si l’homme peut détruire le monde d’une manière brutale, il peut aussi le détruire tranquillement, mais tout aussi efficacement, en déchirant le fine toile que la nature a tissée afin de maintenir toutes choses dépendantes les unes des autres, depuis la plus élémentaire forme de vie contenue dans le sol, jusqu’à l’homme, en passant par la plante et par l’animal.
– C’est toujours le Fric qui commande, c’est-à-dire les choses, c’est-à-dire personne, Vous pouvez remonter n’importe quelle filière du Pouvoir vous trouverez toujours, au bout, les Choses, l’engrenage des prétendues « fatalités », rien.
– Outre que notre attitude donne mauvaise conscience aux inertes, aux obéissants, – à tout le monde quoi !- , notre action si elle s’étendait, dérangerait les plans des technocrates, fausserait les calculs des profiteurs et troublerait la quiétude des esclaves. Autant dire que nos idées ont tout pour faire l’unanimité contre elles.
– Le problème de la survie n’est pas seulement politique, il va beaucoup plus loin que ça. C’est le problème de la relation de l’homme au réel. C’est un problème religieux (du latin religere, relier). Une religion est un système de relations de l’homme à la nature, et pas suite de l’homme à l’homme. Elle n’implique pas l’existence du Dieu judéo-chrétien. Toute grande révolution est un changement de religion. Le culte du progrès est une religion messianique et fataliste, basées sur des dogmes métaphysique, entretenues par une Eglise qui a comme celle du Moyen Age, les monopoles de l’éducation, plus beaucoup d’autres que l’Église médiévale n’avait pas.
– Il y a quelques irréductibles qui n’achètent jamais rien. Ils font leur pain avec leur blé, et leur lessive avec les cendres du four. Ils polluent pas plus qu’un papou. Ils sont les derniers hommes libres. Ou les premiers, peut-être ? En tout cas, si on veut pas disparaître dans la tourmente, quand tout va se faire la valise, on ferait bien de se mettre à leur école.
– Nous sommes des prophètes de malheur. Nous sommes des emmerdeurs et des minoritaires indésirables. Admettre le bien-fondé de notre position, c’est admettre qu’il faut tout remettre en cause, jusqu’aux habitudes physiques et mentales les plus confortables et les mieux ancrées.
– La révolution écologique consiste à tout remettre à l’endroit.
Extraits de « Fournier, face à l’avenir » (Diane Veyrat – Les cahiers dessinés, 2019)