Chacun de mes gestes me renvoie à un véritable miracle. J’appuie sur un interrupteur, et la lumière fut. Je zappe sur un bouton, images et sons se précipitent à mon service. Il suffit de tourner la clé de contact pour se catapulter sur l’asphalte à plusieurs fois la vitesse du vélo. Rien n’est plus facile et merveilleux que d’ouvrir l’arrivée du gaz de ville pour préparer son repas. Il y a aussi toutes ces innovations fantastiques qui m’épargnent l’effort, la porte du magasin qui s’ouvre toute seule à mon approche, l’escalier qui se met en marche automatiquement pour me faire monter les étages, la cabine qui monte rapidement pour m’emmener au dernier étage d’une tour. Mon problème, c’est que je réfléchis : on ne peut rien avoir sans rien, il faut toujours donner en échange. Et le prix à payer est douloureux, très douloureux.
Chacun de mes gestes me renvoie à une pollution, un épuisement des ressources ou une aliénation. J’appuie sur un interrupteur, et une lointaine centrale nucléaire produit mon électricité et ses déchets radioactifs. J’appuie sur le bouton de la télé qui me vide la tête pour me faire boire du coca-cola. Je monte dans ma bagnole dont il me faut payer les traites, l’essence et les contraventions et donc travailler pour me payer la bagnole. Bientôt le gaz de ville sera du gaz de schiste, il aura fallu fracturer la roche et polluer l’environnement pour cela. Toutes ces innovations fantastiques ne sont que des instruments exosomatiques qui reposent principalement sur des ressources fossiles en voie de disparition rapide. Donc les générations futures devront ouvrir les portes de leur petite main, c’est leurs propres gambettes qui grimperont les marches de l’escalier…et habiter au 12ème étage sans ascenseur ne sera pas une mince affaire.
Georgescu-Roegen en 1978 nous avait déjà donné les moyens de comprendre le malaise civilisationnel : « Toutes les espèces se sont adaptées à la vie grâce à des organes endosomatiques, les jambes, les doigts, les ailes… . Le caractère unique de l’espèce humaine réside dans le fait que l’humanité a transcendé la lente amélioration endosomatique par la production d’organes exosomatiques : massues, couteaux, bateaux, canons, cerveaux électroniques, etc. Le progrès technique – dans la mesure où on peut sans réserve l’appeler progrès – est un autre nom de cette évolution qui a permis à une partie de l’humanité de jouir du confort fantastique offert par l’existence exosomatique. Mais curieusement, nous n’avons pas réalisé que ce changement n’a pas été une bénédiction pure et simple pour l’humanité. Cette évolution exosomatique a assujetti l’humanité à plusieurs vicissitudes. La première découle de notre attachement pathologique au confort. Que l’on songe aux apocalyptiques convulsions de manque qui s’ensuivraient si l’usage des organes détachables nous était soudain complètement interdit ! »*
* Nicholas Georgescu-Roegen, pour une révolution bioéconomique d’Antoine Missemer
ENS éditions 2013, 136 pages, 13 euros
« En octobre dernier, à l’occasion d’une conférence organisée par l’association Démographie Responsable, les écologistes […] et Michel Sourrouille avaient clairement mis en évidence ces menaces »
Cher Didier, j’ai beaucoup de respect pour vous et je suis un pilier de Biosphere (meme si dans la ‘loyale opposition’). mais citer, dans Biosphere, une intervention de Mr Sourrouille a DR fait un peu ‘circular referencing’, vous ne trouvez pas?
« Cette évolution exosomatique a assujetti l’humanité à plusieurs vicissitudes. La première découle de notre attachement pathologique au confort. Que l’on songe aux apocalyptiques convulsions de manque qui s’ensuivraient si l’usage des organes détachables nous était soudain complètement interdit ! »
Cette phrase me semble très juste. Elle est d’autant plus impressionnante qu’on peut craindre justement qu’au cours de ce siècle, le heurt de l’humanité avec les limites physiques de la planète risque justement de faire très sensiblement baisser la disponibilité de ces « organes détachables » qui supposent peu ou prou une société très riche, en croissance et disposant de ressources minérales et énergétiques illimités. En octobre dernier, à l’occasion d’une conférence organisée par l’association Démographie Responsable, les écologistes Hugues Stoeckel et Michel Sourrouille avaient clairement mis en évidence ces menaces.