L’énergie des esclaves (le pétrole et la nouvelle servitude) d’Andrew Nikiforuk. Extraits ci-dessous de ce livre dont nous vous conseillons la lecture. Une présentation plus large est faite dans notre bimensuel BIOSPHERE-INFO. Pour s’abonner, il suffit d’envoyer un mail à biosphere@ouvaton.org
« Ce qui stupéfia le sociologue F.Cottrell en observant la rapide injection d’énergie fossile dans la société nord-américaine fut la façon dont elle atomisait la famille et renforçait l’Etat. Après avoir forcé les gens à entrer à l’usine pour y produire des marchandises bon marché aux côtés d’esclaves énergétiques, les gouvernements offrirent des écoles, hôpitaux et aide sociale pour compenser la perte des services familiaux. L’augmentation délirante des capitaux provoquée par cette dépense effrénée d’énergie exigea une surveillance par les banques d’Etat, les percepteurs d’impôts et des directeurs financiers. En somme, l’afflux massif d’énergie n’avait pas seulement accru la complexité de la société, mais le pouvoir de l’Etat pour contrôler cette éruption volcanique. Mais le pétrole fit beaucoup plus que cela. Chaque automobiliste nord-américain, en achetant du pétrole étranger, contribua involontairement aux révolutions, à la corruption et à la mise en place de gouvernements autocratiques un peu partout dans le monde. le Vénézuélien Juan Pablo Pérez Alfonso, fondateur de l’OPEP : « Regardez autour de vous. Gaspillage, consommation, effondrement de nos services publics… Nos conditions de vie ne sont pas meilleures… Nous nous noyons dans les excréments du diable. Le pétrole nous conduira à la ruine. »
Partout le pétrole réduisait la diversité économique, aggravait les inégalités et parrainait des gouvernements autocratiques. C’est ce qu’on appelle maintenant la « malédiction des ressources ». Les Etats pétroliers tirent tant d’argent du pétrole qu’ils deviennent de véritables nids d’opportunistes. La corruption définit la vie quotidienne. Le pétrole concentre trop de richesses entre les mains d’une petite élite. En Libye, le pétrole a maintenu au pouvoir le colonel Kadhafi pendant 42 ans. L’Alberta au Canada est un Etat à parti unique depuis plus de 41 ans. Au Royaume-Uni, la manne pétrolière assura le succès de Margaret Thatcher, doyenne du conservatisme et « pétroliste » appliquée. La Dame de fer accéda au pouvoir dix ans après la découverte du brut léger en mer du Nord. La stagnation frappa les secteurs manufacturiers et agricoles pendant que l’industrie bancaire prospérait. Mais Margaret n’épargna pas un sou pour l’avenir. George W.Bush a reçu plus de soutien financier de l’industrie du pétrole que n’importe quel autre président et a nommé au moins 30 cadres de cette industrie à des postes clés du gouvernement. L’extrémisme religieux est un autre vigoureux compagnon de la ressource pétrolière. Les politiques délaissent tout l’art de gouverner, c’est-à-dire la faculté d’utiliser de façon judicieuse, au nom de l’intérêt général, des ressources limitées. Trouver un Etat pétrolier compétent serait aussi miraculeux que de découvrir un ours polaire en Arabie Saoudite.
Plus les hydrocarbures dominent les exportations, et plus l’économie nationale se vide de l’intérieur. Bourré d’argent grâce aux rentes et aux redevances, un Etat pétrolier baisse presque immédiatement ses impôts. Du Texas à l’Alaska, des Emirats arabes unis à l’Arabie saoudite, les impôts sur le revenu sont au plus bas. Ce faisant on tourne en dérision l’un de plus anciens slogans de la démocratie : No taxation without representation (pas d’imposition sans représentation). Les pétro-citoyens font preuve d’une apathie et d’une indifférence saisissante à l’égard des questions politiques, et d’une loyauté déconcertante envers les pétro-maîtres. Les Koweïtiens travaillent en moyenne 8 minutes par jour. On construit dans le Golfe le plus grand gratte-ciel du monde. Mais partout où les écoles, les routes et les hôpitaux ont été construits avec des pétrodollars, ces services se ratatineront ou disparaîtront avec la chute des revenus pétroliers.
La logique implacable du pétrole se réduit à une vérité élémentaire : il est tellement plus facile et rapide de construire un oléoduc qu’un Etat efficace et représentatif ! »
Editions Ecosociété 2015, 282 pages, 20 euros
Edition originale 2012 (The Energy of Slaves : Oil and the New Servitude)
Il faut réaliser qu’un litre d’essence procure une énergie de 10 kWh, à partir de laquelle on peut produire à peu près 3 kWh de travail mécanique, soit environ 10 fois ce que peut faire un adulte en grande condition physique dans sa journée de travail.
Un Français moyen consomme à peu près 3 litres par jour de carburants sous une forme ou sous une autre. Par ailleurs le litre d’essence coûte en France, taxes comprises, de l’ordre de 1,5 euros soit 10 fois moins qu’une heure de travail ! J’ai donc grand peur que la diminution annoncée de la disponibilité des combustibles fossiles ne soit également annonciatrice de catastrophes humaines.
(de la part d’un de nos correspondants, Bernard DURAND)