Pendant 95 % de l’existence des hominidés, nous avons vécu en équilibre avec notre milieu. Ce mode de vie, très difficile quand on le compare à l’actuel, aurait pu durer indéfiniment, comme celui d’un loup qui n’épuise jamais son environnement puisque sa natalité est régulée par l’abondance (ou non) de la ressource. Dans les conditions de vie contraignantes et dangereuses des chasseurs-cueilleurs, la mortalité était très forte. Comme il n’était pas possible pour une femme de s’occuper en même temps de plusieurs enfants en bas âge, cela limitait les naissances… jusqu’à la sédentarisation de notre espèce. Nous sommes alors passés d’une stratégie de type K (mortalité infantile forte et longévité relativement importante) au boom actuel des naissances. Grâce aux céréales et au lait qui permettent de sevrer les enfants beaucoup plus tôt, la vie paysanne a permis d’élever jusqu’à un jeune tous les ans. En outre la mortalité en bas âge a considérablement baissé du fait du développement de l’hygiène. D’où une démographie accélérée de type r (propre aux petits mammifères de faible longévité et de reproduction rapide) associée à une durée de vie augmentée, c’est-à-dire un cocktail démographique explosif. A partir de l’invention de l’agriculture, nous devenons la seule espèce sur Terre a échapper provisoirement à la régulation des naissances par la limitation des ressources naturelles comme l’avait compris Malthus : « La possibilité d’accroissement d’une population humaine est infiniment plus grande que celle de la Terre pour produire sa nourriture. » Comme un nouveau riche, l’homme depuis le Néolitihique s’est mis a dépenser le capital au lieu de se contenter des intérêts du placement, comme le faisaient les animaux et les ancêtres humains. La révolution agricole a constitué un piège. On en voit pas comment ce système d’exploitation des ressources pourrait se perpétuer avec l’accélération démographique : 1 habitant pour 3300 hectares au paléolithique, 1 pour 1000 ha au Mésolithique, 1 pour 100 ha au Néolithique, 1 pour 10 ha à l’age de fer et 1 pour 2 ha à l’époque actuelle !
Notre démographie est devenue explosive, mais aucune terre vierge ne restant plus à explorer et à exploiter, nous sommes confrontés à nos limites de colonisateur. Le moteur de la prospérité ne pouvait fonctionner que dans un monde vierge à coloniser par quelques milliers d’hommes à natalité faible. Nous nous sommes engagés dans une voie sans issue où la surpopulation associée à l’épuisement des ressources naturelles conduit inéluctablement à des crises violentes. Nous assistons en conséquence à une montée d’intolérance dans un monde en perte de repère où des fanatiques religieux incultes veulent nous ramener au Moyen Age. Les migrations de populations commencent à déstabiliser les régions les plus industrieuses qui, après avoir accueilli avec générosité les premiers migrants, vont devoir un jour ou l’autre fermer leurs frontières et contrôler plus fermement leurs populations, à l’encontre de l’idéologie humanitaire et progressiste qui nous animait depuis les Lumière, et même avant, du fait de nos racines chrétiennes. L’ONU prévoit 250 millions de réfugiés climatiques en 2050. Plus de la moitié de la population mondiale a moins de 28 ans et une partie se trouve déjà en âge de se reproduire. Comment obtenir une nécessaire limitation des naissances dans un régime démocratique ? C’est aussi difficile que d’obtenir la décroissance et la pauvreté volontaires. Les gens responsables et lucides sont de plus en plus pessimistes sur l’avenir de cet être rationnel que l’on disait parfait. Certains en viennent à refuser de mettre au monde des enfants avec un destin aussi sombre en perspective. Est-il juste que les gens les plus responsables n’élèvent pas d’enfants et que les irresponsables procréent sans retenue pour recevoir des allocations familiales ? Ce nom d’Homo sapiens que nous nous sommes données est révélateur par sa grandiloquence et sa candeur de notre destin exceptionnel et tragique : nous ne sommes pas « celui qui sait », mais celui qui aurait dû savoir ! Si nous étions véritablement raisonnables et savants, nous aurions évité de polluer un monde si accueillant, de tuer ou d’asservir les autres êtres vivants.
Les ressources naturelles se raréfient quand la population mondiale s’accroît et consomme de plus en plus. En 1850, les êtres humains et leur bétail représentaient environ 5 % de la biomasse animale terrestre ; elle est actuellement évaluée à 30 % et continue à croître : plusieurs auteurs considèrent l’espèce humaine comme un cancer qui ronge la Terre. Ce constat est d’autant plus accablant que la solution qui s’éloigne était entre nos mains : il suffisait de réguler nos populations et d’éviter de saccager la nature.
Pierre Jouventin dans son livre « L’homme, cet animal raté (Histoire naturelle de notre espèce) »