Principe de précaution, de prévention et de responsabilité

LE MONDE joue un jeu dangereux quand il laisse s’exprimer les adversaires du principe de précaution.  Ainsi Rudy Ricciotti qui, dans une tribune sous le titre « Halte au principe de précaution ! »* se permet de laisser croire que « mettre des garde-corps le long de tous les fleuves » serait une conséquence de ce principe. « On n’arrête plus la prospérité du désastre », ajoute-t-il. Il faut dire que les résistances au principe de précaution sont multiples.

Nous nous rappelons encore les résistances des « spécialistes » avant même les débats parlementaires de 2005 sur la constitutionnalisation en 2005 du principe de précaution. Selon l’Académie des sciences morales, ce projet « aurait des conséquences scientifiques, industrielles et même politiques puisqu’il irait à l’encontre des principes qui fondent notre démocratie représentative » ?? Le quotidien LE MONDE traitait dans un éditorial du 26 avril 2004 le principe de précaution de principe de frilosité. Nous nous rappelons aussi les propos de Baverez prônant une « bonne » écologie qui « se démarque d’une conception absolutiste du principe de précaution pour se réconcilier avec la science et le progrès. » (Les Echos du 16 octobre 2007). Nous nous rappelons particulièrement la diatribe du professeur Michel Godet contre les « Khmers verts pour qui la disparition de l’homme blanc occidental serait une bonne nouvelle » et sa conclusion : « Si on appliquait le principe de précaution, on ne ferait pas d’enfants ! » (LE MONDE du 13 décembre 2007).

Rappelons à tous ces écolophobes la définition du principe de précaution (article 5 de la Charte de l’environnement) : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Le principe de prévention est mis en oeuvre sur la base d’expériences théoriques ou pratiques. Le risque est avéré, il peut être démontré par la communauté scientifique. Avec le principe de précaution, le risque est non avéré. Les autorités publiques ont l’obligation d’agir sans que le risque redouté ne puisse être démontré. Le principe de précaution ne se réduit donc pas à une décision d’experts surplombant la population intéressée, mais appelle un processus de participation des personnes concernées. Le principe de précaution ne s’applique évidemment pas à la recherche fondamentale, ni même à la recherche appliquée. Il ne joue que pour la mise en place de nouveaux produits ou de nouvelles technologies susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement et/ ou sur la santé humaine. Par voie de conséquence seul le domaine marchand, celui de l’application des technologies, est en cause.

                Or notre société prend déjà trop de risques. Le principe de précaution n’est quasiment jamais utilisé pour protéger les citoyens. Les exemples pullulent : l’essence au plomb, l’amiante, les farines animales avec prions, les hormones de croissance avec des hypophyses contaminées, les produits phytosanitaires toxiques et persistants, les particules fines atmosphériques, le tabac, les médicaments toxiques… Il est significatif  de la schizophrénie ambiante que la page du MONDE en vis-vis de l’article de  Rudy Ricciotti consacre une recension au dernier livre de Fabrice Nicolino, « Un empoisonnement universel » : « Ce livre n’aurait pu être écrit, voilà seulement quelques années, sans être immédiatement soupçonné d’obscurantisme ou d’anti-science. Mais désormais le fait est clair, l’explosion de l’incidence de ces pathologies (cancers, infertilité…) est le signe que la chimie de synthèse a pris une place trop important dans la vie quotidienne et la preuve de défauts majeurs de réglementation. »** 

                Preuve encore une fois que le principe de précaution est mis à toutes les sauces, la dernière intervention de Sarkozy sur la question : « Je ne peux pas accepter que les Etats-Unis soient devenus du point de vue de l’énergie indépendants grâce au gaz de schiste et que la France ne puisse pas profiter de cette nouvelle énergie alors que le chômage ravage tant de nos territoires et tant de nos familles, c’est inacceptable. Je souhaite clairement que nous réfléchissions aux conséquences du principe de précaution auquel je préférerai toujours le principe de responsabilité. Avec la précaution, on s’abstient de faire, avec la responsabilité, on assume la conséquence de ses choix et on ne se condamne pas à l’immobilisme. »***

Il ne fait aucun doute que Nicolas Sarkozy ne sait pas ce que signifie le « principe de responsabilité » au sens de Hans Jonas : « Le pouvoir, associé à la raison, entraîne de soi la responsabilité. Dans l’homme, la nature s’est perturbée elle-même, et c’est seulement dans notre faculté morale qu’elle a laissé ouverte une issue : mon agir ne doit pas remettre en question l’intérêt entier des autres également concernés, c’est-à-dire les générations futures. Les pays riches ont la possibilité d’inverser la tendance à la croissance en consommant moins et réduisant ainsi les capacités de production. Pour les pays développés, cela signifie des renoncements… » Ce principe de responsabilité est indissociable du principe de précaution. Toux ceux qui disent le contraire sont des irresponsables…

NB : ceci est notre 2600ème article, ce qui montre notre constance pour essayer de défendre l’équilibre de notre biosphère et les intérêts de tous ses habitants, humains et non-humains. Mais dès fois le découragement nous gagne…

* LE MONDE du 3 octobre 2014, Halte au principe de précaution !  Aberration écologique et esthétique

** LE MONDE du 3 octobre 2014, Haro sur l’industrie chimique

*** Le Monde.fr | 26.09.2014, Le revirement de Nicolas Sarkozy sur le gaz de schiste