1/2) publicité, désinformation
– La publicité est un métier, une technique de désinformation. Informer, c’est transmettre un message. Mais quand ce message est trompeur, il désinforme. Alors que le journalisme a en principe une fonction informative et critique, la publicité n’a qu’une fonction commerciale et apologétique.
– La publicité « distrait ». C’est vrai, mais au sens profond du terme qui n’a rien d’amusant : divertir, détourner notre attention du désastreux processus de production.
– La publicité est la vitrine où les marchandises se donnent en spectacle, mais elle omet systématiquement de nous montrer leurs coulisses industrielles. Si les publicitaires nous informaient vraiment sur l’histoire de leurs produits, alors nous verrions leurs affiches se couvrir de sueur et parfois même de sang. Leur rôle est d’occulter l’horreur productiviste derrière le confort consumériste.
– L’information porte tout au plus sur l’existence d’une offre : on annonce qu’une marchandise est là, sans dire vraiment ni ce qu’elle est, ni d’où elle vient. Et encore. Qui croit que Coca-Cola fait de la pub pour faire connaître son existence ?
– Il ne s’agit pas d’informer, mais de chercher l’impact sur des cibles. On ne s’adresse pas à des individus, mais à des créneaux par un arsenal de moyens sophistiqués. On mène des campagnes, on recherche des percées, enfin on occupe le terrain. Les publicitaires se délectent de la métaphore militaire.
– La publicité implique la manipulation, car qu’est-ce que manipuler quelqu’un, sinon lui faire faire quelque chose qu’il n’aurait pas fait spontanément, comme renouveler inutilement des marchandises aussi futiles que nuisibles.
– Il n’est pas nécessaire de regarder les pubs attentivement pour qu’elles aient leur effets. Il suffit de les voir régulièrement pour qu’elles se gravent de façon inconsciente. La publicité fonctionne plutôt comme un bain de sollicitations dans lequel nous sommes plongés à longueur de journée.
– La persuasion par association est un procédé publicitaire qui consiste à associer ce dont on veut faire l’éloge à quelque chose qui n’a rien à voir. Ainsi dans une campagne de vente, la beauté féminine peut être liée à n’importe quoi, depuis un bulldozer jusqu’à un diurétique.
2/2) Publicité, dévastation du monde
– Au lieu d’améliorer le niveau culturel des êtres humains, elle coupe les populations de leurs traditions culturelles pour les intégrer de force au système industriel. C’est un lavage de cerveaux qui nivelle la diversité culturelle mondiale.
– Le but de la publicité est de court-circuiter la réflexion pour susciter des réflexes. Notre seule liberté est de choisir entre des marchandises plus ou moins similaires. L’homme unidimensionnel qui résulte de la publicité se projette seulement vers de nouvelles dépenses. Il ne saurait se rebeller.
– « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Les émissions de TF1 ont pour vocation de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages publicitaires. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible. » (Patrick Le Lay, PDG de TF1)
– De la dévastation, la publicité est à la fois vecteur et vitrine. Elle contribue à la destruction écologique de la planète, à la détérioration des relations humaines, à la dégradation des imaginaires et à un abrutissement spectaculaire. Les publicitaires sont des marchands de sable qui ne travaillent que pour la progression du désert.
– En masquant l’étendue du désastre, la publicité désamorce tout ce qui pourrait conduire à une contestation du monde industriel, et même plus : elle canalise le mécontentement qu’il suscite vers des exutoires marchands et nous détourne de toute réflexion sur la vie que nous sommes forcés de mener. Est-il bien naturel que des millions de personnes passent plusieurs heures chaque jour dans les transports pour aller travailler ?
– La critique du système publicitaire est la condition préalable de toute critique sociale. C’est un préalable car il faut déjà s’être libéré du consumérisme pour ouvrir les yeux sur le monde immonde qu’engendre la croissance marchande.
Source : De la misère humaine en milieu publicitaire (comment le monde se meurt de notre mode de vie) groupe Marcuse – éditions La Découverte, 174 pages, 8 euros (2004, réédition 2010)