Que retenir de la vie de Nelson Mandela ? L’Ubuntu

Comment abattre un régime inique ? L’éditorial du MONDE* tire après la mort de Nelson Mandela deux enseignements : l’usage de la non-violence et la force d’un chef moral capable d’entraîner une collectivité. Le premier point est contestable, le deuxième est dangereux.

La réalité est différente, Mandela n’a pas refusé la violence. Pour combattre l’apartheid, l’ANC (le Congrès national africain) eut sa branche armée que Mandela allait créer et diriger à partir de juin 1960, la « Lance de la nation ». En mars 1960, après le massacre de Sharpeville, Mandela plaide au sein de l’ANC pour mettre un terme à la stratégie de la non-violence. Cela ne veut pas dire que Mandela n’avait pas également une attitude non-violente : « Le pardon libère l’âme, il fait disparaître la peur. » Il faut se souvenir de sa conclusion lors de son procès de 1964 : «  J’ai dédié ma vie à la lutte pour le peuple africain. J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités. C’est un idéal que j’espère atteindre et pour lequel je suis prêt à mourir. » Il faut savoir que la position de Mandela résulte d’un apprentissage social spécifique. La culture Xhosa à laquelle il appartenait, l’Ubuntu, repose sur le sentiment d’appartenance à une humanité plus vaste qui incite ses membres à respecter autrui, à faire preuve de compassion. Cette philosophie s’oppose aux valeurs des blancs, l’égoïsme et l’individualisme. L’Ubuntu interprète même l’univers comme un tout organique en chemin vers l’harmonie. D’où la nouvelle constitution sud-africaine pour une « nation arc-en-ciel » en 1996. Cela correspond à la réalité de l’interaction spéculaire qui lie l’individu et sa société d’appartenance, « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous. »

Le deuxième argument du MONDE est plus que contestable, dangereux. Aucune personnalité ne devrait devenir une icône, un mythe vivant. Le croire, c’est s’illusionner. Hitler a bénéficié d’un immense enthousiasme populaire et le peuple a pleuré la mort de Staline. Nelson Mandela a passé 27 années en prison (1963-1990) ; il était interdit de citer son nom, par réaction la population connaissait donc le sort fait à Mandela ! Plus que le statut personnel d’un individu, c’est la montée de l’opprobre international face à l’apartheid et les sanctions internationales contre le pouvoir blanc qui ont obligé le président Frederick De Klerk à libérer Mandela pour changer de système socio-politique. Le principe « un humain = une voix », que l’on soit homme ou femme, blanc ou noir, commençait à s’imposer internationalement. Cela ne veut pas dire qu’il y a harmonie démocratiquement atteinte avec des élections. Les actuels dirigeants de l’ANC sont globalement incompétents et corrompus, la société sud-africaine est d’une violence extrême.

On ne devient un héros que parce que les circonstances s’y prêtent. Une société n’est viable que si tout le monde y met du sien. C’est pour cela que chacun d’entre nous deviendra un jour écologiste, quand on s’apercevra qu’un accord durable trouvé avec les écosystèmes est finalement la base obligée de l’harmonie sociale. Vouloir atteindre cet objectif par la violence ne fait que retarder l’évolution sociale nécessaire.

* LE MONDE du 7 décembre 2013, L’irrésistible force de la non-violence