Un « Que sais-je ? » sur la décroissance écrit par Serge Latouche vient de paraître en février 2019. Dans le chapitre « La décroissance et la question démographique », l’auteur constate que le malthusianisme est redevenu un enjeu contemporain : « Une analyse mécaniste d’inspiration comparable à celle de Malthus, réhabilité pour l’occasion, consiste à faire remarquer que la population mondiale a explosé avec l’ère du capitalisme thermo-industriel. La mise à disposition d’une source d’énergie abondante et bon marché, le pétrole, a permis de faire passer la population mondiale d’environ 600 millions au XVIIIe siècle à plus de 7 milliards aujourd’hui, en attendant les 9 à 12 milliards prévus pour 2050. La disparition de cette source d’énergie non renouvelable nous condamnerait à revenir à un chiffre de population compatible avec les capacités de charge durables de la planète, soit à peu près le chiffre de la population antérieure à l’industrialisation. Il est clair que si une croissance infinie est incompatible avec un monde fini, cela concerne aussi la croissance de la population. C’est la raison pour laquelle presque tous les auteurs de référence de la décroissance, ceux qui ont mis en évidence les limites de la croissance (Jacques Ellul, Nicholas Georgescu-Roegen, Ivan Illich, entre autres), ont tiré le signal d’alarme de la surpopulation. Et pourtant, ce ne sont pas des défenseurs du système… »
Mais Serge Latouche fait une erreur conceptuelle en hiérarchisant démographie et économie. L’écologie montre qu’il y a toujours interrelations et que la chaîne de causalité est difficile à interpréter. Il laisse dire à « on ne sait qui » que si la décroissance est nécessaire, ce serait d’abord celle de la population. Aucun analyste sérieux ne peut adopter un tel point de vue, simplificateur. En fait Serge pose une hypothèse contestable pour en tirer la conclusion que c’est l’argumentation de ceux qui répugnent à remettre en cause la démesure économique de notre système. Biosphere connaît les auteurs de ce genre d’affirmation gratuite. Pour avoir personnellement « dialogué » avec Bruno Clémentin, Vincent Cheynet ou Clément Wittmann, nous savons qu’on ne peut pas discuter avec eux. Clément vient de publier à compte d’auteur « Changer ou disparaître ». Son dernier chapitre, « Trop nombreux », reflète malheureusement le discours de Latouche : « Tenir des propos malthusianistes permet simplement de refuser de changer notre mode de vie. » Dommage que ce biais cognitif se retrouve dans un « Que sais-je ? », ouvrage à large diffusion.
Dans la suite du chapitre consacré à la démographie, Latouche reprend un raisonnement biaisé en hiérarchisant démographie et économie, mais cette fois de façon inverse : « Ce n’est pas la bombe P (pour population) qui est la première responsable de l’effondrement prévisible, mais la bombe P (pour productivité). » C’est oublier que le nombre d’automobiles est inséparable du nombre de conducteurs. Si notre planète n’était occupée que par quelques (centaines de) milliers d’êtres humains, ils pourraient avoir un niveau de vie extraordinaire sans endommager gravement la planète. En fait la démographie a toujours été en va-et-vient avec l’économie, depuis le moyen-âgeux « il n’y a richesse ni force que d’hommes » (Jean Bodin) en passant par la relation Population/alimentation selon Malthus ou la pression de la population sur l’innovation technologie (Ester Boserup). Les interprétations de la chaîne de causalité diffèrent, mais le point de référence est le même, le nombre d’humains, que ce soit équilibre ou déséquilibre entre population et conditions de vie. Un décroissant qui ignorerait l‘équation de Kaya (CO2 = (CO2 : KWh) x KWh : dollars)x(dollars : Population)xPopulation) ou la formule « I = PxAxT » ne peut pas raisonner de façon juste. La démographie est un multiplicateur des menaces et réciproquement le niveau de vie est un multiplicateur des menaces ; les deux phénomènes sont des multiples l’un de l’autre. Aujourd’hui on parle beaucoup de décroissance de notre empreinte écologique. Mais quand nous vivrons la fin du pétrole et les effet du réchauffement climatique, on ne parlera plus du tout de niveau de vie, les personnes dans leur immense majorité étant réduites à la couverture des besoins basiques. La tâche des politiciens sensés se résumera à « diminuer au maximum le nombre de morts (dixit Yves Cochet) » ou, si on en croit l’histoire humaine, augmenter au maximum le nombre de morts. Nous avons malheureusement une préférence pour la violence comme solution à nos difficultés et peu d’appétence pour l’approfondissement de l’intelligence collective.
Nous terminons par une dernière remarque, la décroissance n’est pas un phénomène en soi, ce n’est que la résultante de nos difficultés à limiter nos besoins, c’est une sous-partie de l’écologie. Sur une planète délabrée par notre nombre et notre technologie, il s’agit de choisir une décroissance maîtrisée sans attendre le prochain choc pétrolier ultime pour agir. Le message de Malthus, le déséquilibre entre population humaine et possibilités de la nourrir, montre qu’il était en 1798 à la fois un précurseur de l’écologie et de la décroissance.
PS : Il est intéressant de savoir que la maison d’édition « Le Passager clandestin » a refusé d’inscrire Malthus dans sa collection des « précurseurs de la décroissance » : « Nous estimons que les thèses que Mathusalem avance sont trop éloignées des idées que nous souhaitons porter avec cette collection. Il nous semble qu’il serait nécessaire d’approfondir les objections et réserves qui ont été faites au sujet des thèses malthusiennes, mais ce travail ne nous paraît pas envisageable dans le cadre des petits opuscules de notre collection… »
« La pénurie en eau est la plus grande crise dont personne ne parle », selon le World Resources Institute. Près d’un quart de la population mondiale est en situation de « stress hydrique très grave », proche du « jour zéro » lors duquel plus aucune eau ne sortira du robinet. Encore faut-il avoir un robinet ! Notons qu’en France 70 a 80% des ressources en eau est consommé par l’agriculture.. et 10 à 15 % par les particuliers ! Ntons aussi que le stress hydrique n’est qu’un des aspects de nos problèmes socio-écologiques.
De toute évidence l’espèce humaine est présente en trop grand nombre sur cette planète. La nature va se charger de calmer nos excès et de réguler notre population. Se projeter sur 10 milliards d’humains, vu notre fonctionnement, vu l’état de notre lieu de vie, c’est criminel !
Le 3 août dernier nous célébrions ici le mariage de l’éthologue Pierre Jouventin et de l’économiste Serge Latouche. 4 jours plus tard, voilà où nous en sommes.
Tout le monde connait la chanson. Serge et Paul aimaient Vincent et Vincent le leur rendait si bien, qu’à la fin ça ne rendait rien. Serge, Paul, Vincent, Clément, Bruno, Michel et Jean (Passe) s’engueulaient, dès que vingt et une heures sonnaient. Les histoires d’amour finissent mal en général. Misère misère !
Bref, ce n’est pas demain que nous verrons tout ce joli petit monde pomper à la même cadence. Et finalement tant mieux ! Je vous laisse imaginer l’horreur que serait un monde de clones, un monde de shadoks marxistes, malthusiens ou je-m’en-foutistes peu importe, tous bien alignés, tous à genoux, devant ou derrière le gourou.
Dans un texte qui devrait faire con sensus, et donc rassembler, Serge Latouche cite Ellul, Nicholas Georgescu-Roegen et Ivan Illich. Seulement il se permet une petite… précision : « Et pourtant, ce ne sont pas des défenseurs du système… »
Quel taquin ce Serge ! Ah, le système ! Le sacro-saint Système ! Avec tout ce qu’il porte, tout ce qu’il sous-entend, notamment notre petit-confort de petits-bourgeois, gentilhommes ou pas, autrement dit … « un niveau de vie extraordinaire » !
Serge toucherait-il là le point sensible ? Serait-ce là un sujet tabou, chez les malthusiens et autres dénatalistes ?