Longtemps notre imaginaire se limitait à la répétition des mythes ancestraux. Nous nous sommes affrontés pendant des générations et des générations au nom d’une pseudo-vérité clanique ou religieuse ; la nature contemplait impassible le nombre de nos morts. Pourquoi l’affrontement? Grâce à un cerveau surdimensionné, nous sommes la mesure de toutes choses, mais notre objectivité n’est alors que la somme de nos subjectivités humaines. Notre cortex préfrontal permet en effet de synthétiser non seulement notre propre expérience concrète, mais aussi toutes les considérations formulées par d’illustres ancêtres et des parents proches, de doctes ignorants ou des ignorants enseignants, et bien d’autres sources de connaissance qui nous apportent leurs croyances sous forme de vérités. En conséquence, nous avons beaucoup de mal à distinguer le vrai du faux, le mensonge en toute bonne foi et la foi qui trompe, l’apparence de la réalité et la réalité des apparences. Notre appréciation des faits est encore plus troublée aujourd’hui par une situation technicisée où la réalité est simulée, où le virtuel veut se faire l’égal du réel, où la fiction est préférée au documentaire, où toute image est reconstruite. Comme nous portons le monde entier dans notre cortex, comme nous ne pouvons pas complètement faire confiance au regard des autres, toute vérité est relative : nous ne pouvons même pas croire le témoignage de nos propres yeux.
L’humanité toute entière a estimé de visu et ad libitum pendant des millénaires que le soleil se déplaçait tout autour de la terre sans autre conséquence négative qu’une parfaite ignorance des lois de la gravitation. Avec l’avancée de nos connaissances, la vérité stellaire ne réside plus dans un centre dont nous serions le principal protagoniste (anthropocentrisme), mais dans un système qui possède ses propres lois et qui ignore complètement le sens de notre petite existence. Cela change tout, le monde n’est pas fait spécifiquement pour les humains, nous devons complètement changer notre mode de réflexion. La première fois qu’on a chaussé des lunettes théoriques pour aller au delà d’une vision superficielle de notre système stellaire date de 1543. Copernic provoque alors une révolution en exposant les fondements d’un système héliocentrique (de « hélios », le soleil) où le soleil – et non plus la terre – est au centre de notre univers. L’astronome ébranle ainsi l’interprétation des Écritures sacralisées et son œuvre, bien que de pure supposition à l’époque, fut quand même mise à l’index. Mais la contestation des apparences poursuivit son chemin pour aller au-delà de cet interdit ecclésiastique. Galilée (né en 1564) utilisa une lunette astronomique, récemment découverte, pour admirer le relief de la lune et surtout les satellites de Jupiter, démontrant par la même occasion un héliocentrisme beaucoup plus pertinent que le traditionnel anthropocentrisme. Un tribunal de l’Inquisition l’obligea pourtant à se rétracter en 1633. L’individu est ainsi obligé de se conformer à la croyance sociale du moment et l’Église catholique n’a réhabilité Galilée qu’en 1992. Pour les gardiens de la foi et des fausses croyances, il faut attendre plus de 350 années pour reconnaître la réalité derrière l’apparence… Aujourd’hui nos satellites confirment tous les jours la révolution copernicienne, cette découverte de la libre pensée.
Beaucoup de monde pense dorénavant sans y réfléchir davantage que la Terre tourne depuis la nuit des temps autour du soleil, ils le croient cependant en contradiction d’une simple observation de leur part : il est toujours plus facile de croire ce que tout le monde croit déjà savoir. Si la certitude religieuse d’un dieu extérieur aux humains qui fabriquerait un univers à notre seule convenance s’effondre, la plupart des gens pense encore que les croyances de leur ethnie particulière reste le seul centre de leur propre monde. L’analyse de l’évolution de la pensée montre que nous passons d’une certitude à une autre certitude grâce à une remise en question fondamentale des apparences. Ce passage de l’apparence à d’autres réalités est extrêmement difficile, il devient cependant de plus en plus urgent à accomplir : les réalités du futur se cachent en effet derrière les apparences du présent, et cet avenir est sombre si nous n’y prenons garde.
Nous avons inventé l’agriculture et changé la nature il y a 10 000 ans. Dès le néolithique, l’humanité ne se contente plus de ses rivalités sociales, elle prend à témoin la planète et commence à détériorer son environnement. L’évolution s’accélère et des techniques destructrices prennent aujourd’hui tout le pouvoir. Alors qu’une radiation nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, ne fait pas de bruit, ne se touche pas et n’a aucun goût, nous avons réussi à libérer les forces de l’atome. Alors que nous savons que la radioactivité peut faire beaucoup de dégât pendant une éternité de notre temps, cela ne nous empêche pas d’accumuler les déchets nucléaires car nous raisonnons encore au travers de nos propres yeux et de l’environnement immédiat. Alors que nos connaissances sont maintenant immenses, nous aggravons à la fois nos conflits sociaux et les déséquilibres de la nature à cause de notre cécité théorique et de la myopie du marché imposé par l’idéologie libérale. Alors que nos activités humaines rentrent en interférence avec les cycles vitaux de la biosphère et engagent aussi la survie des générations futures, nous faisons comme si seul l’instant présent avait de la valeur. Comme l’animal qui se contente de son environnement immédiat, nous préférons la plupart du temps nous satisfaire d’un absolu dans un espace restreint, avec un état d’esprit limité par nos sens abusés et conditionné par la société du moment.
Contrairement à l’animal cependant, nous pouvons percevoir que notre vision humaine n’est que construction sociale, que tout est relatif et compliqué, que l’apparence n’est pas gage de réalité. Dans chacun de nos cortex réside de multiples certitudes qui ne sont que les apparences de notre réalité immédiate et nos désaccords résultent trop souvent d’une perception trop simple de la réalité. Mais nous pouvons tous ensemble essayer de déchiffrer ces apparences pour changer la réalité ; grâce à des lunettes conceptuelles plus performantes, peut-être pourrions-nous percevoir le monde tel qu’il faudrait le voir (s’améliorer)… Dans la société thermo-industrielle d’aujourd’hui, que signifie « penser vrai » ? Sans doute aller au-delà des apparences et tout reprendre dans l’autre sens dans une société thermo-industrielle engagée à tout allure dans une impasse évolutive.
Michel Sourrouille, écrit de 2005
– « Dans chacun de nos cortex réside de multiples certitudes qui ne sont que les apparences de notre réalité immédiate et nos désaccords résultent trop souvent d’une perception trop simple de la réalité. Mais nous pouvons tous ensemble essayer de déchiffrer ces apparences pour changer la réalité ; grâce à des lunettes [etc.] » (Biosphère)
La première affirmation est vraie. La seconde met en scène le fameux «tous ensemble».
Autant je pense que chacun a une certaine marge de progression, notamment pour «penser vrai», pour s’améliorer… autant je ne crois pas à la venue soudaine de la sagesse sur Terre. S’il y avait un consensus mondial dans ce sens, ce serait alors une entreprise qui prendrait plusieurs générations. Cela passerait évidemment par l’éducation et l’école, et tout le long de sa vie. Or, non seulement nous sommes pris par le temps, mais en plus nous sommes fiers et paresseux.
Que signifie « penser vrai » ? Tout simplement, comme aurait pu le dire La Palice, cela veut dire penser dans le cadre de la vérité. Seulement voilà, qu’est ce que la vérité ? On peut alors dire que « penser vrai » c’est penser en tenant compte de tout ce qu’on peut dire au sujet de la vérité. C’est à dire tout et n’importe quoi.
Commençons par la définition classique : « vérité = conformité à la réalité ».
La réalité est ce qui existe. D’entrée de jeu nous nous heurtons à cette question : Est-ce que tout ça existe ? Tout ça ne serait-il pas plutôt le fruit de mon imagination (de mon cortex préfrontal ) ? Personne ne peut le dire avec certitude. Alors pour éviter de sombrer dans le solipsisme (folie) nous sommes obligés de faire le pari que tout ça existe. C’est ce que font la plupart d’entre nous, sans même y penser, sans réfléchir, tout naturellement pourrions nous dire.
Ceci dit, pour moi « penser vrai » ça veut dire faire preuve d’esprit critique.
Douter bien sûr, mais pas de tout non plus. Relativiser aussi, bien sûr, mais là encore dans la juste mesure. Et enfin je crois que chacun, dans la limite de ses capacités, bien sûr, peut développer son esprit critique, c’est à dire cette capacité à « penser vrai ». Nous avons les outils à notre disposition, ce sont les penseurs, les techniques pour décoder, pour ne pas confondre le réel et l’illusion (dont le virtuel), les vessies et les lanternes etc. ainsi que toutes les connaissances scientifiques actuelles (notamment en neurosciences). Alors certes, « penser vrai » nécessite de se faire violence.