se raser, c’est rasoir

Il ne faut pas se raser. Pour les garçons la transformation du duvet en barbe révèle la fin de l’adolescence et l’identité masculine, un véritable ancrage dans une spécificité corporelle. Le fait de se raser n’indique pas une convergence des sexes ou l’éloignement de l’homme  de son origine animale. Il s’agit uniquement d’une instrumentalisation des hommes, le poil est devenu le cœur d’une nouvelle cible à des fins mercantiles. On a inventé les rasoirs mécaniques ou électriques, les jetables et les super-performants à trois lames, bravo les ingénieurs au service du profit ! C’est la civilisation thermo-industrielle, son rasoir et ses lames jetables, qui a transformé le monde occidental en cohortes de mâles bien propres sur eux.

                Il ne faut pas se raser. Comme l’exprime Georgescu-Roegen* : « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. » Les innovations représentent le plus souvent un gaspillage de base entropie. Autour de nous, toute chose  s’oxyde, se casse se disperse, etc. Il n’y a pas de structures matérielles immuables, parce que la matière tout comme l’énergie se dissipe continuellement et irrévocablement. Toujours plus de rasoirs et toujours plus de lames signifie forcément une pollution et un épuisement des ressources naturelles plus important.

Dans LeMonde**, c’est un tout autre discours. Il paraît que la mode est à la barbe, ou plutôt au rasage irrégulier… L’homme non rasé serait jugé séduisant puisque le regard de la femme aurait changé… La barbe témoignerait d’une sorte de paresse… Mais l’heure est à la reconquête, raser n’est plus une corvée c’est un plaisir, affirment les marques de rasoir… En France, 419 millions d’euros de rasoirs manuels et de lames en 2009, ce n’est pas rien. En définitive, on ressent fortement l’emprise des fabricants de rasoir sur les journalistes du Monde : « Le rasage est un véritable rituel… L’enjeu pour les ingénieurs est d’être capable de développer un produit qui réponde à des pratiques… Il faut tenter de persuader ce consommateur casanier de tester le produit dernier cri… » On ressort de cet article sans savoir combien de fois il faut se raser par semaine, 3,6 fois comme les Ibères ou 5 fois comme les Allemands. Mais les journalistes du Monde ne répondent pas la question de fond : Faut-il se raser ?

* La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas Georgescu-Roegen (Sang de la terre, 1995)

** LeMonde du 1er décembre, La barbe, nouvel attribut de séduction