Sensationnalisme et société du spectacle

Avec Sensationnalisme. Enquête sur le bavardage médiatique (Amsterdam, 2024), Yoan Vérilhac, spécialiste de l’histoire de la culture médiatique, montre comment notre modernité a été marquée par l’avènement du choc et du scandale.

thèse : Je (Yoan Vérilhac) définis le sensationnalisme à travers trois traits : une promesse d’intensité par l’excès, une relation au présent, et une indifférence à toute forme de cohérence logique, narrative ou morale ; faire par exemple coexister un discours féministe et des photos de Miss France dénudée. A mesure de leur croissance, les groupes humains ont inventé des moyens (le langage, l’écriture, la télévision…) pour prolonger ce plaisir du bavardage, dont la fonction est de savoir qui fait quoi et avec qui. C’est ce que le sociologue Gabriel Tarde nommait, dans L’Opinion et la foule, la « sensation de l’actualité ». Des journaux à Netflix et Instagram, nous sommes aujourd’hui entourés d’outils qui augmentent notre plaisir d’éprouver ce que je nomme la « sensation intense du présent moderne ». La répétitivité des exagérations finit par neutraliser l’enjeu de chaque sujet au profit du simple plaisir de commérer, qui est une fonction en soi.

Antithèse : La pensée critique se fonde sur la valorisation de la réflexion et de la signification contre ce bavardage associé à l’absence de sens profond. Kant décrit le bavardage comme un agrément servant à faire passer le temps en société, Heidegger y voit une parole du « on », sans intérêt. Lorsque le sensationnalisme procède à un brouillage entre les catégories du sérieux et du ludique, il devient toxique. On l’observe par exemple avec les débats sur l’immigration ou l’islam de la chaîne CNews. Le bavardage ludique (on y joue à se disputer sur un mode excessif rappelant celui des commentateurs sportifs), s’articule à une puissance économique et à un dogmatisme idéologique. Le discours politique tend à ne plus apparaître comme une parole de décision, mais à se présenter aussi sous la forme d’un bavardage.

Synthèse : Le régime sensationnaliste procède à une mise en signification des contradictions du présent – à la différence que celles-ci ne reposent pas sur un affrontement logique, mais sur une mosaïque de propos contradictoires. Il existe pourtant un sensationnalisme sérieux dont la vocation est d’alerter, à l’image du journalisme de révélation.

Le point de vue des écologistes rationnels

L’analyse est frappante de vérité, le sensationnalisme n’est qu’un nouveau mot pour la société du spectacle de Guy Debord (1967) : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. » Nous sommes dans la forme aboutie d’une aliénation par la société de consommation. Nous sommes bercés à longueur de journée par des péripéties sans queue ni tête. Les journaux télévisés ne sont que des recueils de faits divers. Dès qu’un analyste commence à démontrer, le journaliste lui coupe la parole pour passer à autre chose. Les réseaux sociaux ne font que confirmer la tendance au brouillage du raisonnement.

Alors quelle solution? Elle est simple. Supprimer le téléviseur, le smartphone, les réseaux sociaux, Facebook et Twitter X, Tiktok, Instagram, etc. Le bavardage à l’ancienne par le téléphone fixe ou par la palabre au coin du bourg devrait suffire à notre bonheur de faire groupe. Pour le reste, lire LE MONDE qui aurait supprimer toute tendance au sensationnalisme…

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Militer à l’heure de la société du spectacle

extraits : Il y a les amuseurs publics qui nous font perdre notre temps, ainsi Valérie Lemercier : « Faire rire représente les premières joies de ma vie. Tout d’un coup, on a le sentiment de servir à quelque choses, d’avoir un intérêt. » Comme si une franche rigolade entre potes n’était pas la bonne méthode plutôt que sourire enfermé dans une salle de spectacle. Et puis il y a ceux qui servent vraiment à quelque chose. Ainsi Vincent Magnet qui laisse aux forêts le temps de vivre, Antidia Citores qui se met au service des océans, Sylvie Monier en défenseure opiniâtre des haies, Victor Noël, 16 ans (dont huit à protéger la nature), Rachel Lagière qui plante des variétés paysannes, François Sarano avec qui on reprend contact avec le vivant, etc. Grâce à eux et à tous les autres militants dans l’ombre, je sais que l’humanité peut être l’instrument du meilleur parmi le pire. Et je sais aussi que militer pour l’écologie, c’est ne pas s’attendre à des résultats probants, mais c’est faire ce qu’on doit faire…

Johnny Halliday, symbole de la société du spectacle

extraits : Pauvre civilisation malade qui chérit comme idole un chanteur parmi tant d’autres saltimbanques. Des dizaines de milliers de fan(atique)s pour voir passer un corbillard. Bientôt des pèlerinages pour aller voir une tombe parmi tant d’autres sépultures. Un hommage populaire qui n’est pas mérité. Johnny Hallyday n’est pour un écologiste que le symbole de la démesure, de la futilité et de l’oubli des réalités. Figure régulière du classement annuel des chanteurs français les mieux payés – deuxième en 2016, avec 16 millions d’euros de revenus, et pourtant ! Train de vie dispendieux, dettes et démêlés fiscaux ….

Société de consommation, des loisirs, du spectacle

extraits : La société de consommation devient une société des loisirs. La première nous enferme, individuellement et collectivement, dans une cage qui nous laisse moins en moins choix véritables et vraie liberté. Le matraquage publicitaire veille pour qu’il en soit ainsi. Mais la seconde élève encore notre niveau de fausse satisfaction en pratiquant personnellement des activité ludiques, mais payantes. Le summum est atteint quand se donne du plaisir à regarder les autres prendre leur pied. La société des loisirs devient la société du spectacle.

Les Jeux olympiques de Paris 2024 vous manquent ? Vous allez reprendre une dose de frisson et de suspense avec la 10e édition du Vendée Globe….

9 réflexions sur “Sensationnalisme et société du spectacle”

  1. Esprit critique

    – « Voyeurisme, dramatisation, diabolisation (de toujours les mêmes) deviennent non les marqueurs d’un récit s’assumant comme divertissant, mais les structures implicites d’une représentation du monde d’autant plus toxique que le pacte de lecture y est trouble : on prétend y servir de l’information, on y distille quotidiennement l’idéologie capitaliste, impérialiste, raciste, qui caractérise l’hégémonie occidentale contemporaine. […]
    La montée de l’abstention et du vote RN sont-ils à relier à cette liquéfaction intégrale de l’information dans le sensationnalisme ? C’est une hypothèse qui ne saurait être étayée que par des études sociologiques. Yoan Verilhac, lui, se consacre aux études culturelles [etc.] »
    (Judith BERNARD – Sensationnalisme et bavardage médiatique – hors-serie.net/Dans-le-Texte/)

  2. – « Le sensationnalisme permet de penser la trajectoire de notre modernité » (Yoan Vérilhac)

    Ah elle est belle notre modernité ! Misère misère ! Alors je dirais plutôt… décadence.
    Le sensationnalisme… le grand frisson, le buzz, le clash, le voyeurisme… assaisonné de tous ces bavardages pour ne rien dire (blablabla), si ce n’est n’importe quoi… voilà donc ce qu’est devenue la société du Spectacle.
    Toujours plus de sensations, d’obscénités, vulgarité, de faux débats, d’infos d’aucune espèce d’importance, et d’infox n’en parlons pas… bonjour le Grand N’importe Quoi !
    Le poids des mots, le choc des photos (Paris Match), mille fois mieux les vidéos… le temps de cerveau disponible, pour Coca-Cola, etc. etc. (à suivre)

    1. Esprit critique

      (suite) Et le comble c’est qu’ON aime ça. C’est mon choix, na !
      Et donc Voici qu’ON en redemande, et donc qu’ON nous en sert, et toujours plus, parce qu’ON le veau bien. Et finalement la Boucle est bouclée. The Show must go on, pour des siècles et des siècles amen.

      Et là encore ce n’est pas faute de nous avoir prévenu. Misère misère !
      Guy Debord, bien sûr, en 1967 (La Société du spectacle). Et d’autres.
      – Faire sensation : De l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique
      (Roy Pinker, 2017)
      – « Il y a de nombreuses manières d’écrire une histoire. Le sensationnalisme n’en est pas une. » (Bob Dylan)
      – « Le terme a été inventé au milieu des années 1890 pour caractériser le journalisme sensationnaliste. » (Wikipedia : Journalisme jaune )

      Bref, la presse jaune et mille fois pire que les gilets. 🙂

  3. Didier BARTHES

    oh, même dans les discussions au coin du feu et en petit groupe, le sensationnalisme devait avoir sa part, et les ragots sur la voisine et le voisin devaient alimenter largement les discussions de même que les supposition sur telle ou telle célébrité locale.
    Il est vain de toute façon de vouloir limiter les discussions et les actes des hommes au seul rationnel et au seul raisonnable.

    1. Monsieur Barthès, il ne faut pas confondre le relationnel comme modalité de la cohérence d’un petit groupe et le sensationnalisme qu’on peut définir comme une promesse d’intensité par l’excès et une indifférence à toute forme de cohérence logique, narrative ou morale… Cette dérive de la société du spectacle empêche la rationalité des comportements et on en arrive rapidement aux faits alternatifs et à la tromperie (trumperie) politique. Il est alors difficile d’arriver à une intelligence collective et le résultat de diverses élections montre les méfaits du populisme et des slogans réducteurs de la réalité.
      En terme d’éducation d’une population, il faut apprendre à distinguer émotionnel et rationnel pour ne pas se faire avoir.

    2. Parti d’en rire

      Monsieur Barthès, sur ce coup Biosphère a bien fait de vous l’expliquer… parce que je pense moi aussi que vous n’aviez pas compris ce qu’est le sensationnalisme.

      1. Didier BARTHES

        Je vous remercie cher Michel C de prendre soin de mon éducation, mais je continue à penser que le sensationnalisme fait intrinsèquement partie de la façon dont l’humain à de communiquer, quels que soit la taille de l’auditoire ou le type de médias support. La promesse d’intensité est commune à toutes les échelles de communication et ceux qui la négligent sont souvent bien peu écoutés.
        Quant à l’intelligence collective c’est un concept vide de sens, l’intelligence ne s’additionne pas, les connaissances éventuellement, mais pas la finesse d’analyse. Essayez de faire écrire un grand roman par un collectif d’écrivains ça donnera de la bouillie, c’est dans la solitude qu’Hugo, Einstein, Newton on travaillé, ils ont certes emprunté à d’autres des éléments, mais leur mise en commun créative est le fait d’un cerveau unique. La foule donne par contre une bonne image de la bêtise collective.

        1. J’admets qu’il y a du vrai dans ce que vous dites. Remarquez au passage que c’est généralement le cas dans ce que peuvent dire Pierre Paul ou Jacques.
          Et ce au sujet de tout et de n’importe quoi. Après bien sûr il faut trier, analyser, réfléchir… et là ça fait trop mal à la tête.
          Moi non plus je ne crois pas trop à l’intelligence collective. Toutefois je ne dirais pas que c’est un concept vide de sens. Déjà de quoi le vide est-il plein ?
          Quoi qu’il en soit, le vide n’est certainement pas pire que le néant (nihilisme).
          – « Le vide est le milieu entre le néant et la matière » (Blaise Pascal)
          Bref, par contre la bêtise collective… alors ça oui j’y crois ! Tout connement parce que je la vois. 😉

        2. Il est vrai, monsieur Barthès, que l’intelligence collective progresse par des individualités qui réfléchissent plus que d’autres, qu’ils soient penseurs ou scientifiques. Mais c’est en intégrant leur apport que l’intelligence collective progresse. Il n’y a pas d’opposition entre l’individu et le collectif, tout est question d’éducation quant au comportement collectif, mens sana in corpore sano disait-on en latin, un esprit sain dans un corps sain.

          Comme l’exprimait Nicolas Hulot, « il n’y aura pas de sortie de la myopie démocratique si les citoyens ne sont pas eux-mêmes les défenseurs d’une conscience élargie du monde dans le temps et dans l’espace. » Ce blog biosphere est là, à son échelle, pour faire progresser cette conscience, et donc l’intelligence collective.

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