Qui suis-je ? Il y a bien des nombres pour me caractériser, mon numéro d’inscription à la sécurité sociale, des chiffres pour téléphoner, un numéro sur ma porte d’entrée, un indicatif postal, une plaque minéralogique, un code bancaire, des chiffres, encore des chiffres. Et moi je ne suis qu’une simple unité parmi des milliards d’habitants qui réduisent d’autant mon espace vital, celui des autres espèces et la beauté de la nature qui m’entourait. Désespérant d’être un minuscule rouage d’une énorme machinerie numérisée qui écrase tout sur son passage. Désespérant ? C’est aussi une motivation pour réagir ! Dans mon carnet de notules que je tenais depuis 1969, j’attribuais à Tchekhov cette phrase que j’ai fait mienne : « Tout homme a en lui-même un esclave qu’il tente de libérer. » Je me suis libéré. Pour mieux réfléchir… Pour aider à améliorer le monde… J’ai soutenu et propagé comme j’ai pu tout ce qui allait dans ce sens, la non-violence, l’objection de conscience, le féminisme, le naturisme, le biocentrisme, le sens de l’écologie, le sentiment des limites de la planète, l’objection de croissance, le malthusianisme, la simplicité volontaire… Pas étonnant que je sois considéré comme écologiste radical. En rupture avec le système dominant. Mais je ne sais pas ce que veut dire faire la révolution, prendre le pouvoir. Trop brutal, inefficace à long terme. Je ne suis qu’un passeur. Je ne fais que transmettre les connaissances que j’ai acquises. Toute mon existence a été vouée à (in)former après m’être (in)formé, et peu importe de ne pas obtenir immédiatement un résultat probant. Chacun de nous apprend aux autres, consciemment ou inconsciemment, de façon maladroite ou pertinente. Car chacun de nos actes ou presque est jugé par d’autres, servant de modèle ou de repoussoir. C’est notre comportement commun qui fait le sens de l’évolution sociale, mais nous ne sommes pas à la place d’autrui, chacun fait ce qu’il peut. Quant à moi, il me suffit d’avoir fait ce que j’estimais devoir faire, la part du colibri.
« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d’un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces quelques gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? » « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part. » [Pierre Rabhi, La part du colibri, l’espèce humaine face à son devenir (éditions de l’Aube, 2011)
Né en 1947, je ne suis arrivé qu’après mai 1968 aux années de mon éclosion, de ma renaissance. Élevé dans une société autoritaire, imbibée de religiosité et d’économisme, j’ai quand même réussi à penser autrement. Avec ce livre*, je n’ai pas voulu me contenter de dénoncer l’inertie socio-politique et le déni économique face à l’urgence écologique. Ma bibliothèque est déjà plus que pleine de ces livres sur l’effondrement en cours de notre civilisation thermo-industrielle sans qu’on sache quoi que ce soit de l’engagement personnel de l’auteur. J’ai essayé de mettre de la chair autour des idées. Cela me semblait plus porteur qu’un énième livre sur la crise écologique. C’est pourquoi dans chaque partie de ce livre je raconte ma propre expérience pour essayer d’en tirer des enseignements profitables à tous. Je voudrais te convaincre que tu es toi aussi un écologiste qui sommeille, qui s’éveille, qui peut agir. On ne naît pas écolo, on le devient. J’ai essayé de montrer que nous sommes à la fois déterminés par notre milieu social et libre de choisir notre destinée. Il n’y a de liberté véritable que dans la mesure où nous savons mesurer les contraintes qui pèsent sur nous. J’ai écris ce livre pour partager avec toi mes pensées et mon vécu car nous partageons la même maison, la Terre, si belle, si fragile.
* On ne naît pas écolo, on le devient » de Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre
de la part de biosphere, « Bon anniversaire Michel … »
-« Tout homme a en lui-même un esclave qu’il tente de libérer. »
Moi aussi j’aime bien cette phrase de Tchekhov. Tout autant que celle d’Ellul qui disait : « c’est lorsqu’il reconnaît sa non-liberté qu’alors il (l’homme) atteste par là sa liberté ! Oui nous sommes déterminés, mais non, en fait.» Ainsi que celle-ci de François Cavanna : « La liberté consiste à faire tout ce que permet la longueur de la chaîne.»
Et puis j’aime aussi le célèbre «connais-toi toi-même», et puis le loup de la fable, celui qui se taille dare-dare quand il voit le cou pelé du pauvre gros toutou. De toute manière il y a tellement de grandes pensées et de grands penseurs que je ne pourrais pas dire qu’elle est la phrase que je préfère, ne serait-ce que sur la liberté.
En tous cas je suis moi aussi de ceux qui pensent qu’on ne nait pas libre, mais qu’on peut le devenir. Du moins que chacun dispose d’une certaine marge de manœuvre pour rompre certaines de ses chaines. La liberté est un travail, sur soi évidemment. De plus, un travail jamais terminé. Et dieu sait combien nous sommes fainéants.
Quant à l’écolo, bien évidemment il se doit d’être libre. Autrement, au mieux il ne peut être qu’une sorte de robot domestique peint en vert.