L’enseignement des sciences économiques et sociales trouve ses fondements dans la réforme Fouchet à compter de la rentrée 1965. Le premier baccalauréat « B » devient réellement économique et social au sens où nous l’entendons aujourd’hui à compter de la session 1969. Ce bac pouvait déboucher au niveau universitaire sur des études de sciences économiques, de sociologie, de droit, de science politique, d’administration économique et sociale, de gestion, d’histoire et géographie, etc. Il s’agissait donc d’une filière transdisciplinaire qui devait dynamiter les corporatismes des enseignants, chacun étant recroquevillé derrière sa « discipline ». C’était révolutionnaire. Apprendre à penser globalement, connaître Marx et Malthus, mélanger allègrement l’économique et le social, étudier les idéologies dominantes et pouvoir en débattre avec les élèves, tout cela était insupportable pour l’oligarchie dominante qui a tenté d’éliminer plusieurs fois la filière SES ; par exemple en essayant de la noyer dans l’histoire-géo ou la gestion économique. Sans succès. Le débat actuel sur la refonte des programmes* n’est qu’une péripétie de plus. Une péripétie sans grande signification.
Car de toute façon la transversalité de la matière a été progressivement dénaturée. La notion de classes sociales disparaît aujourd’hui, comme a été supprimé bien avant l’étude de Malthus, les débats entre idéologies différentes, l’étude de la crise économique au profit d’une fixette sur la croissance dans les programmes de terminale, etc. Plus grave encore, les générations montantes de professeurs de SES n’ont plus perçu en quoi leur matière était révolutionnaire, c’est devenu une discipline parmi d’autres que l’on défend en tant que discipline constituée et non comme projet d’intelligence collective. Bien plus grave encore, le développement durable est enseigné dorénavant dans les secondes en histoire-géographie, les SES perdent les thématiques qui font débat.
Car les SES sont étroitement délimitées par leur dénomination même. Insister sur les domaines économiques et sociologiques fait oublier le pilier principal de toute réflexion complète : l’écologie, l’environnement, la nature, la biosphère. Les SES font encore comme si le circuit économique était une simple relation entre ménages et entreprises. Les SES occultent le fait que tout ce qui peut circuler entre les humains a déjà une origine naturelle. Les SES minimisent le fait que la consommation doit être définie comme une destruction de ressources. Les SES ignorent que la civilisation thermo-industrielle est au bord du clash. Dans l’état actuel des choses, les SES peuvent bien être supprimées, la réflexion collective n’aura pas perdu grand chose.
* LeMonde du 6-7 février 2011, les programmes de sciences économiques, pomme de discorde pour les universitaires.
Bonjour,
l’argument selon lequel ce sont les termes utilisés dans l’entreprise qui rendraient le mieux compte de la réalité économique me semble particulièrement idéologique, et donc partisan. Affirmer que la réalité vécue des entreprises s’impose à nous et serait seule vraie, dénote un manque de recul (ce n’est pas une insulte) et de relativisation. Je comprends ce point de vue, qui fait pour chacun de nous de notre réalité vécue la seule réalité vraie… mais c’est justement l’intérêt des sciences sociales d’ajouter à ce point de vue immédiat un autre point de vue, distancié, discuté à travers les siècles et par des auteurs différents. Ce point de vue risque, évidemment, de remettre en cause les prénotions (préjugés) de chacun, ce qui est souvent douloureux et blessant. Mais peut-on vraiment adopter un point de vue critique « le nez dans le guidon » de l’entreprise et des enjeux quotidiens? L’enseignement des SES au lycée, et au-delà des sciences sociales, n’est-il pas, à rebours des préjugés de chacun, une des conditions à un point de vue plus lucide et plus objectivé, et par conséquent utile à la formation tout au long de la vie?
Créons les SGEG, euh, les SEGES : Sciences Economiques et de Gestion, Ecologiques et Sociales. 2h obligatoires de la 4ème à la seconde. On n’y apprendrait un peu tout et rien. Juste de quoi un peu mieux comprendre le monde quoi…
@Proviste
Je sais bien que cela ne fait pas plaisir à entendre, mais c’est néanmoins la réalité. Prenez des bacheliers de la filière S, faites leur passer un petit quizz d’entrée à leur arrivée en première année de licence et constatez à quel point des notions élémentaires de mathématiques peuvent leur poser de grosses difficultés. La question n’est pas de se lamenter sur leur état : ils viennent à la fac pour apprendre ! On les accueille comme ils sont. Le problème, c’est que c’est le résultat de centaines d’heures de cours dans une matière dominante…
Et ta soeur, elle a tout oublié après le bac ? Faut arrêter les conneries un peu. Il faut certainement davantages de ressources pour le primaire mais certainement pas lui puiser dans le secondaire.
Remarque des modérateurs du blog biosphere @ Proviste
Prière de modérer vos propos.
Sur ce blog, nous échangeons des arguments, pas des interjections.
Le problème de l’enseignement en France, n’est pas que les étudiants n’y connaissent rien en sciences sociales. Il est que les étudiants (et futurs chomeurs) n’y connaissent rien en Economie (vous remarquez peut-être que je n’ai pas mis sciences avant ce terme). Les jeunes Français ont peur de l’entreprise et de l’économie. Et l’enseignement de SES est très fortement responsable. Puisque la seule initiation qu’ils ont reçu est (et doit être) mis en concurrence avec des idéologies. Quel rapport y a t’il entre Ricardo, Smith et la PME dans laquelle je bosse: 0. Le débat d’idée est bon. Mais il ne peut se faire que sur un socle minimal. En histoire et géo, il y a avant la seconde assez de connaissances acquises pour pouvoir attaquer sérieusement les problèmes.
Avant la seconde, les élèves n’ont aucune idée de ce qu’est une entreprise. Après il savent que c’est compliqué!
A quand un enseignement économique de base encré dans la réalité: Compta, Bénéfices, Bourse, Subprimes, crises économiques, croissance, inflation, et enfin débarrassé du verni Sciences-Sociales.
Pour bon nombre de cadres, ce sera le seul enseignement économique de leur cursus, les CPGE scientifiques n’ayant pas une heure de tels cours et la plupart des Universités et écoles d’ingénieurs ne s’y intéressant que très peu.
Fascinante hypocrisie du système secondaire français, qui prétend encore en l’an 2010 former l' »honnête citoyen » comme dans les années 50 alors que l’on en est désormais à des années lumières. Cirque grotesque des lobbys disciplinaires qui s’agitent pour glaner une heure ou deux. Il est temps de prendre acte de la réalité : l’énorme volume horaire global ne se justifie pas dans le secondaire. Le bachelier moyen a tout oublié trois semaines après le bac. Ne parlons même pas de sa capacité de travail ! Et oui, c’est comme ça… Dans ces conditions, une diminution drastique de l’horaire total et du nombre de matières n’aurait aucune conséquence mesurable. Il est temps de planifier la réaffection d’une partie des moyens gaspillés au lycée vers le primaire où ils seraient infiniment plus utiles.
L’appel de Vitruve par des universitaires (5 février 2011)
Les contenus et modalités d’enseignement sont le reflet des finalités confiées à l’école par chaque société. A l’heure où les citoyens sont plus que jamais demandeurs d’éléments d’explications sur les tenants et les aboutissants de la crise économique et financière, sur les débats relatifs aux inégalités, aux réformes de la protection sociale ou de la fiscalité, aux enjeux de la mondialisation et du développement durable, aux débats concernant la procréation, le mariage, la parentalité, les sciences sociales – économie, sociologie, science politique et anthropologie notamment – apparaissent comme un instrument privilégié de formation intellectuelle des élèves, leur permettant d’acquérir des savoirs, grilles d’analyse et postures intellectuelles réflexives essentiels pour se comporter en acteurs éclairés.
Notre société peut-elle se passer de citoyens mieux outillés, mieux informés et plus rationnels dans leur rapport aux débats démocratiques ?
La réforme du lycée a instauré en classe de seconde l’obligation pour les lycéens de choisir deux « enseignements d’exploration », parmi lesquels doit figurer au moins un enseignement d’ « économie » à choisir entre l’enseignement de Sciences Economiques et Sociales et un enseignement d’économie-gestion. L’enseignement de SES a été choisi par 85% des élèves cette année, ce qui confirme l’attractivité forte des sciences sociales au lycée depuis leur introduction il y a quarante ans. C’est une excellente chose qu’un plus grand nombre de lycéens ait accès à cette « troisième culture », aux côtés des humanités et des sciences de la nature. Il convient cependant de s’interroger sur les conditions déplorables de cette progression. Les SES héritent du statut « d’enseignement d’exploration » mais, contrairement à d’autres enseignements qui partagent ce statut, l’ « exploration » ne peut pas s’appuyer sur les acquis d’un enseignement obligatoire au collège ou en seconde. Cette spécificité n’est pourtant pas prise en compte. Avec un volume horaire réduit à 90 minutes par semaine en classe entière dans la plupart des établissements et un programme encore plus ambitieux que par le passé, la qualité de l’enseignement des SES en seconde connaît une dégradation sans précédent. En si peu de temps et dans ces conditions, l’acte pédagogique se réduit bien souvent à un survol, sans que les élèves ne puissent véritablement s’approprier les concepts, méthodes et raisonnements des différentes sciences sociales qu’ils découvrent.
Exclues du tronc commun de seconde, alors qu’elles sont absentes du collège et constituent la discipline centrale de la série ES (deuxième série du baccalauréat général en effectifs), les SES ont pourtant toute légitimité à être enseignées de façon obligatoire en seconde avec un horaire adapté à l’ambition des programmes, à la hauteur de la contribution de cet enseignement à la formation citoyenne des élèves.
C’est pourquoi nous demandons au Ministre de l’Education Nationale que les SES, plébiscitées par les lycéens, ne soient plus traitées comme un « enseignement d’exploration » parmi d’autres mais soient intégrées dans le tronc commun de la classe de seconde avec un horaire revalorisé, comprenant des dédoublements obligatoires, sans lesquels l’initiation aux démarches spécifiques des sciences sociales ne peut être sérieusement envisagée.