Nos politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, possèdent des éléments de langage qui leur ont été inculqués depuis plus de quarante ans par le lobby nucléaire. Voici par exemple une comparaison des discours de Chevènement* et Sarkozy** :
Chevènement : Nous assistons au triomphe de « l’idéologie de la peur ».
Sarkozy : A plusieurs reprises, Sarkozy a répété le mot « idéologie » pour qualifier les positions de la gauche.
Chevènement : Les « forces de progrès » sont encore puissantes dans la gauche et dans le pays.
Sarkozy : Face au retour au Moyen-Age, le progrès… On ne va pas retourner à la bougie !
Chevènement : Le triomphe de « l’idéologie de la peur » sur notre continent contraste avec la confiance en eux des pays émergents tournés vers la science et la technologie, ne manquerait pas d’accélérer notre déclin.
Sarkozy :Devons-nous être le seul pays qui tourne le dos au progrès ?
Chevènement : Le Parti socialiste s’éloigne de ses racines.
Sarkozy : Ce choix, ce n’est pas moi qui l’ait fait, il fait l’objet d’un consensus qui réunissait la gauche et la droite quelle que soit la famille politique qui était au pouvoir.
Chevènement : Ce serait un tournant culturel grave pour la France.
Sarkozy : Le nucléaire est l’intérêt supérieur de la France.
Chevènement : Nous nous laissons imposer un choix contraire aux intérêts du pays…
Sarkozy : Notre parc nucléaire constitue une force économique et stratégique considérable pour la France.
Chevènement : les entreprises françaises, qui bénéficient d’une électricité 40 % moins chère que dans le reste de l’UE, perdraient cet avantage comparatif, ce qui aggraverait leur problème de compétitivité.
Sarkozy : Le chef de l’Etat s’est fait le défenseur du pouvoir d’achat avec une électricité deux fois moins chère selon lui qu’en Allemagne et ce, grâce au nucléaire.
Chevènement : Le coût du MW/h du parc nucléaire français est de 42 euros. Le coût de l’éolien terrestre s’élève à 90 euros/MWh, l’éolien marin est à 150 euros/MWh et le solaire photovoltaïque à 250 euros/MWh.
Sarkozy : Je souligne les limites de l’éolien et notamment de son coût ainsi que du photovoltaique « qui représente 5 à 10 fois le coût de production de l’énergie nucléaire ».
Chevènement : L’éolien et le solaire produisent trop peu. Une éolienne terrestre ne produit que 20 à 25 % du temps, une éolienne maritime 30 à 35 % et le solaire photovoltaïque en France 10 à 15 %.
Sarkozy : Les énergies renouvelables sont par nature, intermittentes… Et oui, la nuit, il n’y a pas de soleil.
* LE MONDE du 22.11.11 Nucléaire, non à l’énergie de le peur ! (le point de vue de Chevènement)
** LEMONDE.FR | 26.11.11 | Pour Nicolas Sarkozy, le nucléaire est « l’intérêt supérieur de la France »
Beau travail de comparaison idéologique. Après le « Mur de l’argent », le Mur du nucléaire »….
Thierry Salomon est ingénieur énergéticien, et préside l’association négaWatt, qui vient publier scénario de transition énergétique. Quant à Bertrand Barré, il a été directeur des réacteurs au CEA et attaché nucléaire près de l’ambassade de France aux Etats-Unis. Il est aujourd’hui conseiller scientifique auprès d’Areva. Condensé de leur débat* :
Thierry Salomon. Le point essentiel du scénario négaWatt est la nécessité d’une action très forte sur la maîtrise de la demande énergétique, par la sobriété et par l’efficacité énergétiques. Il faut, par exemple, que les appareils ne fonctionnent que quand il y a quelqu’un pour en bénéficier. Les énergies renouvelables sont des énergies de flux par opposition aux énergies de stock que sont le pétrole, le gaz, le charbon et l’uranium. Il faut passer à autre équilibre, basé sur les énergies de flux, principalement celles du soleil, soit directement, soit par le vent, qui dépend du soleil, ou par la biomasse, qui découle de la photosynthèse.
Bertrand Barré. Dans sa globalité je n’adhère pas à ce scénario, à certaines parties oui. On peut augmenter la part de l’électricité, donc du nucléaire sans avoir à être trop tyrannique.
T. S. Mais notre scénario n’est pas tyrannique ! Au contraire ! Il considère que c’est à partir des territoires que l’on va développer la production d’énergie. Quand des citoyens vont voir tourner des éoliennes à proximité, en comprenant qu’ils en sont les premiers bénéficiaires, leur regard sera bien différent. Ce qu’il ne faut pas, c’est un éolien parachuté de la même façon que le programme nucléaire en 1974. Mais il n’y a pas que l’éolien. La plus importante des énergies renouvelables sera la biomasse, avec 43 % de nos sources d’énergie.
B. B. La production éolienne est prédictible, certes, mais très irrégulière et les pics sont considérables. Ensuite, votre scénario est effectivement un scénario « tout-biomasse ». Il implique de libérer des espaces, du coup, il faut cesser de manger viande et du lait. Je trouve que c’est très directif. Il n’est pas sûr que les gens l’aimeraient. Le retour à la terre, ce n’est pas mon idéal.
T. S. Qu’est-ce qui s’est passé depuis 1942 ? Nous sommes dans une situation de surconsommation de protéines, et avec des problèmes agricoles importants : par l’importation de soja pour l’alimentation du bétail, on utilise en fait des terres en dehors de notre pays. Il ne s’agit pas d’abandonner la consommation de viande ou de lait, évidemment. Constatons que 3,4 millions de ménages en France vivent en situation de précarité énergétique, dans des logements qui se dégradent.
B. B. Il est certain que la rénovation du logement est nécessaire, et je vous suis, cela ne se fera pas sans réglementation. Mais le rêve des habitants des grandes agglomérations est d’avoir un pavillon de banlieue. Or malheureusement, ce qui est économique en matière d’énergie, ce sont des immeubles. Donc là aussi, il faut aller contre une tendance assez spontanée. Dans un monde parfait ce serait très bien, mais ça n’est pas si facile que ça, d’inciter sans forcer, sans être coercitif.
T. S. On est face à des limites physiques. Et il faut peut-être que nos concitoyens comprennent qu’il va falloir vivre dans ces limites physiques, en cherchant la meilleure harmonie possible par rapport à cela. C’est vrai que ça casse des rêves comme celui du pavillon de banlieue et du développement anarchique. Mais quelle est la contrepartie de ce rêve ? Les gens vivent à trente kilomètres de chez eux, ils ont deux voitures, deviennent prisonniers de l’énergie. Si on ne réagit pas aujourd’hui, ces gens connaîtront la précarité énergétique.
B. B. Notre point de vue est qu’il faut beaucoup d’électricité bon marché et stable, il faut du nucléaire parce qu’il produit beaucoup d’électricité en n’occupant pas beaucoup de terrain et en n’émettant presque pas de gaz à effet de serre. Nous envisageons ainsi à peu près autant de réacteurs qu’aujourd’hui, mais plus gros : environ 60 réacteurs EPR de 1 600 mégawatts, qui s’installeraient sur les sites actuels par remplacement progressif des réacteurs arrivant en fin de vie.
T. S. Le nucléaire n’est plus une énergie d’avenir, pour plusieurs raisons : la première est la possibilité d’un accident, comme l’a montré Fukushima. De plus, le nucléaire laisse aux générations à venir des déchets et des réacteurs à démanteler. Le nucléaire n’ayant pas su résoudre ces questions, nous considérons qu’il n’est pas compatible avec un authentique développement soutenable. Ceux qui arrêteront le nucléaire ne sont pas que les écologistes, mais bien les financiers et les assureurs.
B. B. Je ne suis absolument pas d’accord. Sur le coût du démantèlement, les Etats-Unis ont déjà réalisé des démantèlements complets de réacteurs du même type que les nôtres, comme à Maine Yankee. Quant aux déchets, les coûts estimés restent extrêmement faibles par rapport au prix du kilowattheure. Vous avez raison de dire que jusqu’ici, on n’a pas encore été au bout de la démonstration du stockage géologique. Mais en 2025, on aura un stockage géologique, comme le prévoit la loi, les Suédois et les Finlandais en auront un, et les Américains en ont déjà un depuis 1998, qui reçoit les déchets militaires – c’est le Waste Isolation Pilot Plant, à Carlsbad, au Nouveau-Mexique, à 600 mètres de profondeur.
* LEMONDE.FR | 24.11.11 |La France peut-elle sortir du nucléaire ?
Il est très difficile de faire évoluer des personnes qui ont un imaginaire commun. Le PCF reste toujours favorable à un mix énergétique comprenant du nucléaire alors que son candidat et le parti de gauche est pour la sortie du nucléaire. Même Fukushima n’a pas réussi à faire changer d’opinion nos nucléocrates !
Ce sont des idéologues qui traitent leurs opposants d’idéologues, ils restent sur le registre de la foi, ils occultent tout ce qui peut gêner leurs croyances : des réserves d’uranium dont il reste moins d’un siècle d’utilisation, la gestion des déchets radioactifs qui n’a jamais été résolue, la prolifération nucléaire en cours, les liens du nucléaire civils et militaire…