Thierry Sallantin, itinéraire d’un radical de l’écologie

Voici l’itinéraire écolo d’un de nos correspondants, Thierry Sallantin. Si vous voulez faire paraître votre propre témoignage, nous écrire à biosphere@ouvaton.org, merci.

NB : Thierry a fait un article Visite du nouveau Musée de l’Homme dans la revue L’Ecologiste de janvier-mars 2016.

« Je suis né en forêt de Chizé, puis enfance en forêt de Rambouillet où ma mère m’élève selon la pédagogie de Maria Montessori. Mes jeux d’enfants se passent donc en forêt, mon imaginaire reste travaillé par la collection scoute « Signes de Piste ». Je n’arrive en ville que fin 1967 pour rentrer en classe de Troisième. Je contacte immédiatement les Naturalistes Orléanais je crée au lycée Pothiers un Club Nature. Pendant la grève de Mai 68, je me jette sur tous les livres d’écologie, découvre Jean Dorst et Roger Heim. Je projetterai le film de ce dernier: « Nature morte » lors d’une soirée de conscientisation à l’écologie que j’organise au lycée. En octobre 1968, je découvre l’ethnologie en tombant dans « Les Temps Modernes » sur une communication de Marshall Sahlins en 1966 : « La première société d’abondance ». Cet ethnologue y parle de la vie agréable, en travaillant presque pas, au sein des peuples actuels vivant de pêche, chasse et cueillette. J’adhère en 1969 à l’association « Atipaya » de soutien aux indiens Wayana créée par Christian Delorme, future figure de la non-violence et de l’écologie. L’article de Sahlins ne sera republié qu’en 1976 dans « Age de pierre, âge d’abondance » (Gallimard). Je pense que l’ethnologie, en revalorisant les modes de vie « primitifs » de peuples estimés « en retard » par rapport aux « races supérieures » ou estimés « sous-développés », apporte la solution à l’impasse de la modernité. A 15 ans, je sais déjà que le mode de vie occidental est insoutenable et qu’il se répand hélas partout par ce moyen criminel de « persuasion clandestine » (Vance Packard et Stuart Ewen).

Je lis en 1970 « La Paix Blanche » de Robert Jaulin qui rendra célèbre le concept d’ethnocide, je ramène de Londres « Fundamental of Ecology » de Odum, j’ai lu « la planète au pillage » de Fairfield Osborn et « le pillage du Tiers-Monde » de Pierre Jalée. La Bibliothèque municipale d’Orléans que je fréquente assidument depuis mon arrivée en ville me nomme en 1970 responsable de l’exposition des livres sur l’écologie et l’environnement. J’ai 17 ans… Mon tiers-mondisme me fait fréquenter la communauté de recherche et d’action non-violente d’Orléans, j’y milite pour l’objection de conscience. Le mouvement hippie me passionne ! Je crée début 1971 l’expression : « objecteur de croissance », pour bien signifier l’ampleur de mon opposition à ce « système », comme disent les lecteurs du mensuel « Actuel », qui pour moi est bien plus révolutionnaire que les tendances trotskystes ou mao : non, la classe ouvrière n’est pas porteuse de la révolution, car la vraie bataille, c’est de quitter les usines, quitter les villes, et de créer des contre-sociétés alternatives pour boycotter radicalement la Société de Consommation. Dans « Actuel », de retour du Niger, en signant « Tchin Salatin » (nom d’une oasis) je publie une première esquisse de ce « programme » : il faut retribaliser l’Europe, y détruire la modernité : ainsi, les peuples du Tiers-Monde cesseront d’être attiré par les « lumières de la ville », la clinquance rutilante dont on ne montre que le « devant » et jamais ce qui se passe derrière, dans les lieux hideux de fabrication ! J’avais été décontenancé par ces Touareg me demandant de l’aide pour aller travailler chez Renault à Boulogne-Billancourt ! Ils en avaient entendu parler au fond du désert ! J’ai du leur expliquer l’horreur du travail à la chaîne !

J’organise à Orléans la première manif anti-nucléaire contre la construction de la centrale de Dampierre en Burly. L’été 1972, je vais visiter plus de 40 communautés hippies. Je ne supporte plus les études servant à « rentrer dans le système ». Qu’est-ce qui s’enseigne en fac et qui soit garanti sans débouchés ? Bingo ! : l’ethnologie ! J’y fonce ! Ce sera avec Robert Jaulin à partir d’octobre 1973… Diplôme de berger en poche, je travaille tout l’été 1975 à garder les moutons et faire le fromage à quatre heures de marche au dessus d’Etsaut. Procès en Amérique du Sud, suite à mon engagement militant pour soutenir les indiens d’Amazonie contre les mines d’or. Deux de mes compagnons de combat écolo se feront tuer, l’un sur le Bas-Maroni (Kris Wood), et Philippe Gros  sur le fleuve Approuague. J’aurai la chance de rester vivant. Pour moi, ce ne sera que la prison… Finalement, j’aurai passé 30 années sur des terrains ethnographiques : 15 années surtout dans le sud de la France, dans les Pyrénées, puis 15 années en Amazonie.

Face aux « collabos » qui nous imposent les mots « adaptation » et « atténuation » comme seuls moyens de contrer le dérèglement climatique, je travaille maintenant avec les activistes qui se méfient de se qui se prépare avec la COP 21 à Paris-Le Bourget, en bénéficiant de la clairvoyance du sociologue Bruno Latour qui dénonce le coup d’état qui vient d’avoir lieu en France sous le nom d’  » Etat d’urgence ». Mieux vaudrait enterrer définitivement le concept de « développement », et se battre désormais pour son contraire : l’ « enveloppement », ou art de vivre modestement, avec une faible empreinte écologique, grâce à un mode de vie réellement soutenable, compatible avec toutes les espèces animales et végétales, en coexistence harmonieuse. Il est plus que jamais nécessaire de choisir le camp du courage et donc de la Résistance ! »

Thierry Sallantin

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