Le monde de la finance est quelque chose d’extraordinaire. Le groupe indien Tata emprunte 3 milliards de dollars pour acheter à Ford les marques de luxe Land Rover et Jaguar au prix de 2,3 milliards (LeMonde du 27.03.2008). Mais trêve de plaisanterie à goût de subprime, quelle stratégie peut mener Tata Motors qui a assemblé sa première voiture depuis 8 ans seulement et qui spécule maintenant sur des bagnoles hors de prix tout en construisant déjà la Nano, la voiture la moins chère du marché ?
D’abord Tata démontre ainsi qu’il se fout complètement de l’état de la planète et du réchauffement climatique, il s’agit de vendre toujours plus d’automobiles, surtout dans les pays émergents. Ensuite cette affaire démontre que le mauvais exemple des pays occidentaux, englués dans le tout-automobile, ne peut servir à personne. Ce n’est pas la sagesse après laquelle on court, c’est après la connerie ambiante : il faut faire comme tout le monde, on entre en religion.
Concluons sur ce texte très ancien (de 1973 !) :
« Depuis le septennat de M.Pompidou, le culte de l’automobile est devenu en France la religion d’Etat, la seule d’ailleurs à laquelle croient la plupart des dirigeants. Tous les ans, le pèlerinage national ne se rend pas à Lourdes, mais aux vingt-quatre heures du Mans. Telle une grande messe pontificale, le Salon de l’auto déroule sa liturgie fastueuse au courus de laquelle l’automobile nouvelle, bénite par les plus hautes autorités officielles, est comme une relique révélée à la ferveur populaire. En cas d’impiété, répression policière : matraquage de manifestations sacrilèges en faveur de la bicyclette ou des piétons. Et la nouvelle religion a déjà son clergé, puissant et sectaire : les ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Cependant, cette adoration obligatoire dissimule mal la réalité : l’automobile est devenue le cancer de notre civilisation. Elle la ronge par sa prolifération effarante, anarchique et dominatrice. Elle détruit l’homme et dégrade l’espace. Elle mutile, intoxique et tue. Elle casse les villes et dilapide la nature. Elle gaspille une énergie sans cesse plus rare et plus coûteuse. Présentée à tort comme le symbole de la prospérité, elle appauvrit l’homme dramatiquement, dans son environnement social et physique. Elle brise son cadre de vie collectif pour l’enfermer dans une petite carapace d’acier qui l’isole et exalte son agressivité en la cuirassant. Elle le ruine dans les biens immatériels essentiels : la santé, la sécurité, les joies de la nature, la beauté des paysages, le sentiment de la communauté. Nous allons vers l’« auto-destruction » rapide de notre civilisation si nous ne changeons par fondamentalement notre attitude à l’égard de l’automobile, si nous ne cessons pas de la vénérer comme une idole et ne la soumettons pas aux impératifs de la défense de l’environnement. »
Philippe Saint-Marc (in mensuel Le Sauvage n° 6, septembre-octobre 1973)