La société peut-elle supporter plus longtemps un tel rythme de l’innovation scientifique et technique ? A quel niveau faut-il plafonner les investissements pour que les conséquences écologiques, sociales et culturelles de l’innovation soient assimilables par la société ? Ces questions concernent tous les citoyens. Mais réduire le financement de la recherche, c’est menacer la principale Eglise de notre temps. En effet, que le progrès indéfini de la science et de la technique soit une nécessité, voilà une des rares croyances qui fait aujourd’hui l’unanimité. Bien que par métier je fasse partie de la tribu des chercheurs, je ne suis pas convaincu que la réduction des crédits de la Recherche soit une si mauvaise chose.
Dans le seul domaine de la chimie, nous avons mis au point et diffusé dans l’environnement des milliers de molécules nouvelles et dont nous ne savons pas quel est l’effet combiné à long terme. L’innovation scientifique et technique est une véritable bombe à retardement. Le changement techno-scientifique accéléré affecte désormais toutes les dimensions de l’existence humaine. Non seulement la production de biens et de services consommables mais la vie sociale qui, elle aussi, est complètement bouleversée dans toutes ses dimensions. Nos repères culturels, nos manières d’envisager l’avenir, de comprendre notre identité, de penser, de vivre ensemble, de communiquer, d’aimer et d’avoir des enfants, de les éduquer, etc., tout est constamment remis en cause. Nous vivons désormais dans un univers technologique que sa complexité rend particulièrement vulnérable aux tentatives de déstabilisation. Lorsque les tendances à la vulnérabilité environnementale et technologique et à la fragilisation des repères symboliques finissent par converger, alors le monde devient un endroit dangereux à vivre et il sera très difficile de limiter les risques inhérents à cette situation. Il ne reste alors qu’une seule voie pour assurer la sécurité. Elle consisterait à développer le contrôle social jusqu’au même niveau où nous avons développé notre puissance technique d’agir sur la matière. Comme l’écrivait Bernard Charbonneau : « Plus la puissance grandit, plus l’ordre doit être strict. » Aujourd’hui, nos techniques de contrôle social sont loin d’être au niveau du potentiel destructeur de nos techniques matérielles et énergétiques. Afin d’obtenir la sécurité, nous pouvons consacrer nos forces à surmonter le décalage entre puissance et contrôle. Il n’est pas imaginable de maîtriser un tant soit peu les effets du progrès technique tant qu’on laisse la Recherche se déployer en véritable industrie, dont les milliers de chercheurs produisent un flot de résultats qu’on s’acharne à opérationnaliser de toutes les manières possibles.
Que l’on ne brandisse pas l’épouvantail de la stagnation. Nous ne sommes plus au XVIIème siècle ! Consacrer nos énergies à résoudre la multitude de problèmes engendrés par un développement techno-scientifique trop rapide pour être socialement et écologiquement assimilable, ce ne serait pas stagner. Ce serait plutôt un vrai progrès, dont nous avons un besoin urgent. Bien entendu, ralentir ne veut pas dire pour autant arrêter toute recherche. Est-il plus conforme à l’utilité sociale d’affecter les ressources du contribuable au financement de l’informatisation de la société et à l’analyse moléculaire du génome humain plutôt qu’à des programmes de recherche en santé publique ? Est-il plus conforme au bien public d’investir des sommes immenses dans la recherche spatiale plutôt que dans la prévention de la vulnérabilité de nos sociétés aux changements climatiques ?
Résumé d’un texte de Daniel Cérézuelle
pour en savoir plus : http://sciences-critiques.fr/pour-en-finir-avec-le-dogme-de-limmaculee-conception-de-la-science/
Oui, et c’est bien un des point sur lesquels nos politiques sont de la plus grande naïveté. Ils s’agenouillent devant l’hôtel de la science et du progrès sans jamais s’interroger sur la nature de leur Dieu et sans se demander si cette église n’aurait pas été bâtie pour leur perte.
Là aussi, comme en beaucoup d’autres domaines, ils ne prennent aucun recul et ne voient pas que ce qui se passe est une exception non durable dans l’Histoire, un tel rythme n’a aucun sens sur la durée.