« Avec la hausse de la température moyenne planétaire, nous aurons une multiplication des mauvaises récoltes, des dommages aux infrastructures, des ruptures d’approvisionnement, l’instabilité politique… Mais le jour où nous aurons à la fois un climat de plus en plus hostile et de moins en moins de gaz et de pétrole, que ferons-nous ? Aujourd’hui les ouragans abattent maisons et infrastructures ? Qu’importe, les cimenteries tourneront à plein régime, les engins de travaux publics aussi, et nous reconstruirons tout cela. Que deviendra la situation quand le pétrole des engins de travaux publics et le charbon des cimenteries sera moins disponible ? En fait nous aurons un jour de moins en moins d’énergie fossile à notre disposition, cela est absolument certain quand on tape dans un stock de départ qui est donné une fois pour toutes. Il est fort possible que notre continent connaisse un soubresaut économique majeur dans les années à venir. Il faut espérer qu’il se produise avant les prochaines présidentielles pour éviter une élection sur un malentendu.
D’autre part, la combustion de l’ensemble des réserves prouvées de gaz, de pétrole et de charbon conduirait à 3000 milliards de tonnes de CO2 : quatre fois plus que la limite physique pour rester en dessous des 2°C ! Il va donc falloir en laisser sous terre. Mais le vrai débat commence alors : laisser quoi ? Quel doit être le rythme de baisse ? Toutes les régions du monde vont-elles être logées à la même enseigne ? La consommation de pétrole devrait baisser de 2% par an. La Chine augmente sa consommation de pétrole de 5 % par an. Les pays dits riches vont avoir des problèmes économiques croissants pour cause d’accès de plus en plus difficile au pétrole alors que les pays dits pauvres vont leur demander d’accroître leur aide financière pour gérer les conséquences du changement climatique.
Pour la déforestation, il est évident qu’avec 1500 milliards de tonnes de carbone contenues dans les écosystèmes terrestres, nous pourrions en supprimant toutes les forêts viser des émissions qui augmentent jusqu’en 20100. Le déterminant premier de la déforestation est la croissance démographique, qui engendre des besoins accrus en terre agricole, mais aussi la consommation de viande puisqu’il faut 10 fois plus de surface cultivée pour manger du bœuf que des lentilles. Dans les pays à forte couverture forestière, c’est donc la limitation de la croissance démographique qui est l’objectif à viser. Comment, par quels moyens, avec quelles contreparties ? Si l’énergie fossile commence à faire défaut à partir de 2050, et que l’humanité se met à vivre en récession perpétuelle, au surplus dans un contexte de changement climatique de plus en plus intense, est-il encore logique d’imaginer que cette même humanité devienne sans cesse plus nombreuse, n’ait comme seul objectif que de couper des arbres pour créer des surfaces agricoles et vive en paix ? Il semble plus rationnel d’imaginer qu’un nombre croisant de « catastrophes » se chargera de mettre en cohérence une planète de plus en plus mitée et une humanité qui devra suivre le même chemin. Aucun modèle de climat n’avait dans son cahier des charges de simuler l’effet en retour du changement climatique sur l’humanité, quand le changement climatique pourrait limiter la taille de la population ou nos activités. On aurait pu imaginer que les modèles intègrent l’effet de la diminution de la production agricole sur la population, en en faisant mourir une partie de famine. »
Source : Dormez tranquilles jusqu’en 2100 (et autres malentendus sur le climat et l’énergie) de Jean-Marc Jancovici
Odile Jacob 2015, 204 pages pour 19,90 euros