Une adolescente, Mila, avait postant sur instagram : « Je déteste la religion, (…) le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde. (…) J’ai dit ce que j’en pensais, vous n’allez pas me le faire regretter. Il y a encore des gens qui vont s’exciter, j’en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. » Sa messagerie explose ! Treize harceleurs de Mila ont été condamnés à des peines allant de quatre à six mois de prison avec sursis le 7 juillet 2021 par le tribunal de Paris. Voici quelques considérations sur la liberté d’expression :
Smaïn Laacher : « Mila, parce qu’elle disait du mal de l’islam, une vidéo vue 35 millions de fois, des centaines de milliers de messages adressés à cette seule personne, menaces de mort envers une jeune fille, procès. Tous les prévenus ont expliqué leur geste, non à l’aide des 3 catégories d’intelligibilité (mobile, intention et conséquences), mais par une subite « émotion » leur interdisant tout début de réflexion : « j’ai tweeté à chaud », « j’ai tweeté pour rigoler », « je me suis senti choqué », etc. C’est « liker » sans réflexion élémentaire sur les conséquences de leur écrit. Et personne parmi les prévenus n’avait la moindre idée de ce que pouvait contenir un Coran et, donc, de ce qu’il autorisait et de ce qu’il interdisait. La question posée par ce procès : Mila a-t-elle porté préjudice aux musulmans ? La justice a répondu très clairement non. Les propos de Mila, malgré leur grossièreté parfois, n’engageaient pas un trouble à l’ordre public et la paix civile n’était nullement en cause. L’offense ne provoque nul dommage direct pour des individus, c’est un crime imaginaire. Tel n’est pas le cas du préjudice qui consiste en une atteinte directe à autrui, à son intégrité physique, à ses biens matériels, ou à ses droits fondamentaux. La liberté de conscience est indissociable de deux autres libertés, celle de la liberté d’exprimer et de publier des opinions et celle de la liberté de s’associer. Une société n’est pas constituée d’un monde homogène, mais d’une pluralité de conceptions du monde. Une société ne peut se prétendre libre ou démocratique si ces libertés ne sont pas « sacrées » et protégées. »
Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere :
10 mai 2021, Liberté d’expression ou bien art de convaincre
extraits : La seule liberté que nous puissions avoir, c’est d’être conscient des contraintes apportées par notre socialisation primaire, notre vécu socio-économique et le milieu environnant. C’est pourquoi évoquer la « liberté d’expression » est un abus de langage, notre discours est toujours codifié par d’autres. Pourtant il s’agit d’une innovation qui fonde le fonctionnement démocratique d’une société. Il n’y a plus de discours d’autorité imposé par une religion, un empereur ou une idéologie. Le changement social se fait grâce aux interactions du débat, sinon la société se fige.
14 février 2021, Renaud Camus et la liberté d’expression
extraits : « Une boîte de préservatifs offerte en Afrique, c’est trois noyés de moins en Méditerranée, cent mille euros d’économies pour la CAF [Caisse d’allocations familiales], deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservée. » Poursuivi pour injure raciale, la procureure avait réclamé quatre mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 5 000 euros. Mais le tribunal de Paris a débouté les cinq associations antiracistes parties civiles qui poursuivaient Renaud Camus.
11 septembre 2020, ADMD, Facebook censure la liberté d’expression
extraits : Facebook France se dit « profondément touché par la situation difficile que traverse Alain Cocq » et assure respecter « sa décision de vouloir attirer l’attention sur cette question complexe », mais confirme avoir bloqué cette diffusion « car nos règles ne permettent pas la représentation de tentatives de suicide ».
6 décembre 2013, Quelle liberté d’expression pour les écologistes ?
extraits : Si les écologistes étaient conséquents, ils devraient toujours voter et agir en leur âme et conscience, pas en fonction des intérêts de leur groupe d’appartenance. Nous avons deux ministres de l’écologie qui ont été virés par le premier ministre Ayrault pour avoir défendu un point de vue d’écologiste. Ils étaient pourtant socialistes. Mais ils ont ignoré la « solidarité gouvernementale » pour critiquer une gestion politicienne de court terme et pour porter haut et fort la voix des générations futures.
30 janvier 2020, Le droit au blasphème, c’est démocratique
extraits : Blasphème, « parole impie », sarcasmes envers un dieu ou une religion. Aujourd’hui encore, soixante-douze pays, dont treize en Europe, ont toujours une législation pénale qui condamne le blasphème, considéré parfois comme un crime. En France, c’est au contraire un fondement du principe de neutralité de l’État sur les questions religieuses.
2 septembre 2013, La publicité ne relève pas de la liberté d’expression
extraits : Le fondement constitutionnel de la liberté d’expression en France repose sur l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Le Constituant entendait favoriser un débat d’idées. Il ne visait explicitement que la libre communication « des pensées et des opinions », certainement pas des informations ordinaires et encore moins de la publicité commerciale qui n’existait pas à l’époque. La publicité n’a nullement pour objectif de transmettre des idées mais plutôt de faire vendre des produits. Elle a donc plutôt pour fondement la liberté d’entreprendre ou la liberté du commerce et de l’industrie, des libertés dont la portée est susceptible de limitations dans l’intérêt général.
C’est très bien, Mila défend la laïcité, la liberté d’expression et le droit au blasphème. Trois valeurs auquel je suis attaché. Et il ne fait aucun doute que, dans cette affaire, elle est une victime.
Mais j’espère qu’elle aura appris quelque chose sur la dangerosité que peuvent représenter les réseaux sociaux, surtout lorsqu’on y dit n’importe quoi.
Mila n’a pas dit n’importe quoi.
Son opinion sur l’être imaginaire est aussi valable voire plus que ceux qui croient à cet être imaginaire.
Nous avons fini par penser que toutes les opinions se valent, regardez où ça nous a mené. On peut être croyant ou athée, ou encore agnostique, c’est le principe même de la laïcité. Maintenant, croire ou ne pas croire à cet «être imaginaire» (Dieu ?) dépasse la vulgaire opinion. Nous entrons là dans un autre registre. Et cela ne vous permet pas de croire que votre croyance est supérieure à celle des autres.
Dieu n’existe pas. C’est un fait.
Sinon, il y a belle lurette qu’il aurait débarrassé la planète de tous les dérangés qui osent parler en sans nom.
On pourrait dire la même chose au sujet du Peuple. Ou de la Démocratie. Et même de la Liberté.
Le problème c’est qu’on reste infichu de voir et de fixer des limites.
La laïcité, qu’est-ce que c’est ? Nous aurons autant de définitions que de points de vue. La laïcité reste un principe juridique. En droit français il n’existe pas de droit au blasphème. Par contre il existe la liberté d’expression, qui toutefois interdit certains propos, mais qui tolère le blasphème. Avec ça nous voilà bien avancés. Bref, pour moi une véritable société laïque est une société du dialogue, pas une société où chacun balance n’importe quoi. Et pour moi la laïcité suppose de véritables citoyen(ne)s. Hélas nous sommes loin d’être dans ce cadre là.
Mila une victime ? Comme sont victimes tous les inconscients qui jouent avec le feu lorsque ça finit mal. J’espère moi aussi qu’elle saura en tirer les leçons. Ainsi que tous ceux et celles qui balancent n’importe quoi publiquement, à l’Antenne ou dans la Presse, ou anonymement sur les réseaux dits sociaux.
Laetitia Avia, députée LREM de Paris et porte-parole d’En Marche :
– « Mila est devenue, malgré elle, le symbole de la liberté d’expression. […] Mila est devenue le symbole de la fin de l’impunité pour le cyber-harcèlement.»
Mila serait donc un double symbole. Elle peut être fière la petite Mila !
Si elle devient réellement le symbole de la fin de l’impunité pour le cyber-harcèlement, alors j’en serais le premier ravi. Quant à en faire le symbole de la liberté d’expression faudrait quand même pas pousser Mémé dans les orties. Parce qu’à ce moment là on peut trouver facilement des milliers et des milliers d’autres «symboles» tout aussi représentatifs.
En attendant qu’on redéfisse enfin ce qu’est la liberté d’expression, si on peut encore le faire… pour moi Mila restera un exemple de la Bêtise. Un petit exemple, certainement pas un symbole.
C’est l’histoire d’une pauvre gamine, qui comme des millions d’autres fait dans le grand n’importe quoi. Sur la Toile elle déballe, elle emballe, elle s’amuse, elle se défoule. Jusque là rien d’extraordinaire. Sauf que ses propos ne font pas rigoler tout le monde. Comme on pouvait s’y attendre ils en blessent profondément certains. Qui à leur tour se défoulent, injures, menaces de mort.
Aussitôt les me(r)dias en font un scoop. Comme auparavant avec les fameuses caricatures, en un rien de temps l’«Affaire Mila» devient une affaire d’Etat. La France entière est con cernée.
Les politiques, les curés, les intellos, les gauchos, les écolos et les fachos, Pierre Paul et Jacques, Michel Marcel et Jean Passe, tout le monde balance. Tout le monde se doit de rendre public sont «modeste» point de vue. Blasphème, liberté d’expression et patati et patata. Et puis enquêtes judiciaires, procès, me(r)diatisation etc.
Nous n’avons là qu’un exemple de plus de l’impasse dans laquelle nous nous sommes mis. Pour moi la cause ne peut être que de la perte de la juste mesure, liée à notre décadence.
Juste avant de lever l’audience, le président a livré une dernière leçon de bonne conduite : « Le tribunal estime que le simple fait de poster un message malveillant sur un réseau social revient à imposer ce message à la victime. La décision que nous avons rendue est susceptible de faire l’objet de critiques, chacun a le droit d’avoir un sentiment. Confondre ce sentiment avec un jugement, c’est autre chose. Pour arriver à ce jugement, le tribunal a lu 4 800 pages de procédure, consacré vingt-six heures aux débats, écouté 15 avocats et un procureur, et s’est réuni en collégialité pendant plusieurs heures.
Ce n’est pas pour ça que notre décision est la bonne, mais ce qui fait que cette décision est un jugement, c’est que nous avons, chacun, tenu à distance nos émotions, nos impulsions. Et c’est peut-être une discipline qu’il faudrait s’efforcer de cultiver dans l’usage des réseaux sociaux. »
– « Le tribunal estime que le simple fait de poster un message malveillant sur un réseau social revient à imposer ce message à la victime. »
D’un autre côté, le sociologue Smaïn Laacher dit : « L’offense ne provoque nul dommage direct, c’est un crime imaginaire ou un crime sans victime »
C’est sûr, bien que certains fassent très mal, les mots ou les dessins font moins de morts que les balles ou les coups de couteaux. Seulement cela vaut dans les deux sens. Nous imaginons le dilemme auquel était confronté le tribunal.