Jean-Marc Drouin a écrit un livre « Philosophie de l’insecte »*. La vie d’un insecte n’appelle aucune pitié, sauf s’il s’agit d’espèces utiles à l’homme comme les abeilles et les coccinelles. L’insecticide nous rassure alors que l’homicide nous effraie et appelle condamnation. Suscitant le rejet plus souvent que la compassion, une réflexion sur le statut de l’insecte peut contribuer au débat sur les fondements d’une attitude éthiquement réfléchie envers les animaux. D’autant plus que les insectes ont un cerveau. De nombreux animaux comme les vers par exemple possèdent un système nerveux décentralisé. L’ancêtre des insectes était proche des vers. Le premier insecte se caractérise par la fusion des six premiers articles du corps pour former la tête. Les ganglions nerveux qui étaient indépendants se sont agglutinés en une masse comparable au cerveau humain. Contre un anthropocentrisme assez ignorant des choses de la vie, peut-on envisager l’impératif du respect de toutes les formes de vie ? Voici par exemple ce que disent des moustiques les deux meilleurs penseurs en la matière :
– Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix en 1954, a contribué à l’éthique animale. Il possède de l’éthique une vision large, englobante et cosmique qui ne se limite pas à la relation que les hommes ont entre eux, mais intègre l’univers tout entier. Schweitzer identifie l’éthique au respect de la vie. Toute vie est sacrée, même celle des êtres que l’homme considère comme inférieurs. Le seul cas où l’on peut être amené à sacrifier une vie est de le faire pour en sauver une autre que l’on considère plus importante. Il donne l’exemple suivant : « Je viens de tuer un moustique qui voletait autour de moi à la lumière de la lampe. En Europe, je ne le tuerais pas, même s’il me dérangeait. Mais ici, où il propage la forme la plus dangereuse du paludisme, je m’arroge le droit de le tuer, même si je n’aime pas le faire (…) Un grand pas sera franchi quand les hommes commenceront à réfléchir et parviendront à la conclusion qu’ils ont le droit de tuer seulement quand la nécessité l’exige. » Notons que le critère de considération morale de l’éthique n’est pas pour Schweitzer la sensibilité, ou capacité de souffrir, comme c’est généralement le cas en éthique animale, mais le fait d’être vivant. A ce titre il préfigure le biocentrisme qui ne fait pas de rupture entre l’animal et le végétal.
– Le discours d’Arne Naess selon wikipedia « Nous ne disons pas que chaque être vivant a la même valeur que l’humain, mais qu’il possède une valeur intrinsèque qui n’est pas quantifiable. Il n’est pas égal ou inégal. Il a un droit à vivre et à prospérer (blossom). Je peux tuer un moustique s’il est sur le visage de mon bébé mais je ne dirai jamais que j’ai un droit à la vie supérieur à celui d’un moustique. »
L’homme pense dominer la planète. Pourtant, à y regarder de plus près, les vrais maîtres du monde sont les insectes. Les insectes étaient là bien avant l’homme, qui a trop souvent tendance à croire que la planète est pour lui et pour lui seul. Sur 1 200 000 espèces animales connues à ce jour, 830 000 sont des insectes. Si nous disparaissons, la vie sur Terre n’en serait pas changée. Sans les insectes, elle deviendrait quasiment impossible. Ils sont indispensables au recyclage de la matière organique morte, et donc à la fertilité des sols comme à la pollinisation des fleurs. Petits, voire minuscules, les insectes ont su s’adapter à une infinité de milieux particuliers. Et même à résister à nos insecticides et autres pesticides…
* Seuil, « Sciences ouvertes », 254 pages, 19,50 euros