« Trop nombreux » nous dit Socialter

Un numéro de Socialter sur la surpopulation, « Trop nombreux ? » (numéro 44, Février-mars 2021). Pour vous en donner l’idée générale, voici l’éditorial de Philippe Vion-Dury.

« Parler de surpopulation est généralement malvenu dans les milieux écologistes et de gauche. « Habiter, c’est laisser des traces », écrivait ­Walter ­Benjamin, et il n’échappe plus à personne que les traces laissées par le mode de vie américain ne sont pas de même nature ni de même proportion que celles de la plupart des autres sociétés. Pour autant, doit-on balayer d’un revers de main toute réflexion démographique ? Un premier réflexe consiste à minorer la démographie en la présentant comme un simple miroir grossissant des effets de l’activité humaine, suivant un modèle linéaire (s’il y avait deux fois plus ­d’Américains, ils pollueraient ou consommeraient deux fois plus). Or, cette vision masque la complexité de phénomènes encore mal compris (effets de seuil, capacités de charge des milieux, rétroactions…). Par ailleurs, cela revient aussi à ignorer l’entropie : les ressources non renouvelables que nous extrayons aujourd’hui, même pour fabriquer des charrues et des bêches, seront perdues pour de lointaines générations à venir, et l’échéance se rapproche d’autant plus que nous sommes nombreux. Sans parler du fait que dédaigner la question de la taille et du « bon nombre » revient à tourner le dos un peu vite à toute une tradition de philosophie politique qui court de la Grèce antique (Aristote, Platon) jusqu’à l’écologie politique (­Illich, ­Schumacher, ­Kohr…) en passant par certaines expériences de socialisme utopique comme le phalanstère de ­Fourier.

Plus profondément encore, se priver du débat quant à la surpopulation ne revient-il pas à manquer de sens historique ? Nous sommes entrés dans l’Anthropocène, et nous redécouvrons ­Gaïa. Au sens que lui donne ­Bruno ­Latour, ­Gaïa est cette fine couche habitable à la surface de la Terre que les vivants ont créée et où ils luttent, dans leurs interdépendances, pour maintenir les conditions biochimiques de leur propre existence. ­Penser la démographie dans Gaïa, c’est justement se penser comme espèce, os ne sommes pas le centre de la Création. Conclusion logique : nous réalisons que nous sommes une espèce comme les autres, soumise aux mêmes lois d’airain – à commencer par le fait que nous affectons notre milieu et ne pouvons nous affranchir de toutes les limites. Et d’une certaine manière, ce « devenir-­espèce » n’est-elle pas l’une des finalités de l’écologie politique ? Ne s’agit-il pas, justement, de parvenir à un niveau de vie relativement égal pour tous les humains, soutenable pour les « autres-­qu’humains » ? Un tel objectif peut-il être envisagé sans que la question du nombre ne soit jamais posée ?

Pas question ici de faire la promotion de moyens coercitifs ou même incitatifs pour réguler la natalité. Parler de surpopulation dans ­l’Anthropocène est avant tout l’occasion de faire naître des affects ; non ceux de la peur d’une « bombe population » et ses inévitables boucs émissaires, mais des affects d’humilité : nous sommes une espèce parmi d’autres, nouée aux autres, qui doit réparer et régler ses relations au vivant, face à Gaïa. L’humanité est une espèce qui, fait inédit dans l’histoire de la Terre, doit trouver sa place. »

https://www.socialter.fr/article/peupler-gaia

4 réflexions sur “« Trop nombreux » nous dit Socialter”

  1. Chercheur fatigué

    -«  L’humanité est une espèce qui, fait inédit dans l’histoire de la Terre, doit trouver sa place. »
    Il n’y a là rien d’inédit, c’est le lot de toutes les espèces. Certes la notre se distingue des autres par sa remarquable capacité de penser, la raison. Qui entre autres nous permet de nous penser dans un environnement infiniment plus large que celui des autres espèces. Ainsi certains pensent que l’homme a forcément une place particulière dans le monde (la nature), mais qu’il ne l’a pas encore trouvée. C’est là une très vieille idée. On peut toujours continuer de chercher, ça ne peut pas faire de mal et en plus ça occupe, en attendant.

  2. – « Pour autant, doit-on balayer d’un revers de main toute réflexion démographique ?»
    A priori, bien sûr que non. Toutes les réflexions sont à encourager. Encore faut-il que la réflexion (la pensée) soit ouverte et non pas figée dans un quelconque dogmatisme, que ce soit le cerveau et non pas les tripes qui guide cette réflexion.

    – « Plus profondément encore, se priver du débat quant à la surpopulation ne revient-il pas à manquer de sens historique ?»
    Sens historique ou pas la réponse découle de la question précédente. Avec des dogmatiques le débat est impossible. Seulement des combats. C’est pour ça qu’un bon nombre d’écologistes refusent ce «débat». Ce sujet délicat agace les uns et les autres, refuser d’en parler agace, en parler agace. Et en parler n’avance à rien, de bon en tous cas. Mieux vaut donc parler d’autre chose, ce ne sont pas les problèmes qui manquent pour occuper les écologistes et les gens de gauche, en attendant.

    1. Michel C, notre espèce croit en effet qu’elle est intelligente parce qu’elle possède un cerveau sur-développé. Or les dégâts considérables que nous infligeons à notre milieu de vie montre que nous sommes plutôt déraisonnables. La réalité de la surpopulation n’est qu’un signe parmi d’autres de notre hubris, notre démesure. Notre place dans la nature, nous l’affirmons comme prépondérante, nous nous voulons maître des cieux et de la terre, et nous ne laisserons aux génération futures que quelques miettes des richesses que la terre nous avait procurées gratuitement.
      Alors oui, il nous faut redéfinir notre place, savoir que nous ne sommes qu’une des mailles dans le tissu du vivant, et que nous devons décroître comme l’exprime le mouvement de la décroissance : faire moins d’enfants, en rester à l’essentiel au niveau de nos consommations, et bien sûr pourfendre les riches.

      1. Oui Raporterre, je suis d’accord avec vous, il faut (YACA-FAUCON).
        Ça ne mange pas de pain de le dire, et en attendant nous voilà bien avancés.

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