Trump confronté à « l’écologisme radical »

L’écologisme radical est la seule issue raisonnable pour nous sortir du pétrin dans lequel nous nous sommes mis par notre croissancisme, mais presque personne ne s’en rend compte. Voici deux articles du MONDE à vingt ans d’intervalle. On a perdu 20 ans, ce n’est pas la radicalité écolo qui l’emporte, mais les dictatures sanglantes et/ou aveugles.

Corine Lesnes (28 janvier 2025) : Trump est obsédé par la gestion des ressources hydriques de la Californie, Dès 2016, Donald Trump, alors candidat à la nomination républicaine, avait lancé sa campagne « anti-delta smelt » : « Il n’y a pas de sécheresse en Californie ». Mais une partie de l’eau est soustraite pour protéger le delta smelt (Hypomesus transpacificus), un poisson d’eau douce de 5 à 7 centimètres de long figurant depuis 1993 sur la liste des espèces en danger. Un « poisson essentiellement inutile », a tranché, le 8 janvier 2025, Donald Trump, qui le poursuit de sa vindicte depuis près de dix ans. Son terrain de golf près de Long Beach pourrait bénéficier directement d’un changement dans la distribution d’eau.

Dès son premier jour dans le Bureau Ovale, parmi les 26 décrets, les 12 mémorandums et les 4 proclamations à son menu, Trump a signé un mémorandum présidentiel intitulé « Placer les gens avant les poissons : arrêter l’écologisme radical pour fournir de l’eau au sud de la Californie ». « Quand vous êtes quelqu’un de riche, vous aimez prendre des douches », a-t-il justifié.

Le point de vue des écologistes amis des poissons

Ce qu’on ne peut apprécier chez Ubu-Trump, c’est son attachement profond au vivant, sa sensibilité à la nature : « Un poisson essentiellement inutile ». Mais Trump est-il utile, le golf est-il utile ? L’écologie de la conservation nous indique qu’il faut limiter les usages de l’eau pour les humains afin d’en laisser davantage aux non-humains et à leurs milieux. Protection de la biodiversité veut dire moins d’extractions et d’artificialisation, c’est assez mécanique comme rapport. Pas besoin d’être un grand intellectuel pour le comprendre.

Mais « Idiocracy » n’est plus seulement un film. Cette comédie raconte l’histoire de deux personnes qui, après une hibernation de cinq siècles, se réveillent dans une société dystopique rongée par l’anti-intellectualisme, la surpopulation et la dégradation de l’environnement. La science fiction parfois devient notre présent.

En fait, derrière toute décision de Trump, il y a toujours un intérêt privé bien compris et des personnes très riches qui veulent l’être plus encore, parfois aussi des idéologues fanatiques qui croient changer le monde à travers des lubies. Donald lance des discours à la fois simplistes et incohérents qui servent d’écrans de fumée. Et ses fans applaudissent, convaincus qu’il ne pense qu’à leur bonheur. Une démocratie ne se comprend que par le libre choix des citoyens, encore faut-il qu’ils soient éclairés sur le pourquoi du comment. Il y a vingt ans, certains analystes avaient déjà vu juste.

Hervé Kempf (3 mars 2005) : La démocratie est-elle compatible avec l’écologisme radical ? Alors que celui-ci connaît un renouveau à la fois théorique, par la critique du productivisme, et militant, avec la contestation des organismes génétiquement modifiés, de la publicité, de la télévision, de l’industrie nucléaire, de l’automobile, etc., cette question est posée. En février 2005 près de 90 intellectuels, Verts, alternatifs, membres d’Attac ou des Amis de la Terre se sont réunis en colloque sur le thème « Antiproductivisme, décroissance et démocratie ».

Les écologistes radicaux postulent la survenance d’une crise écologique d’une intensité sans précédent. Pour la prévenir, ils affirment la nécessité d’une rupture avec le système économique dominant, qui repose sur la croissance. S‘appuyant sur la théorie dite du pic de Hubbert, selon laquelle la production mondiale de pétrole atteindra très prochainement un maximum en raison de la diminution des réserves accessibles à bon prix, Yves Cochet décrit le scénario d’une crise profonde provoquée par une augmentation brutale du prix de l’énergie entraînant l’écroulement des systèmes de transport : l’aviation civile s’effondrerait, l’habitat rural serait désorganisé (en raison de sa dépendance à l’égard de l’automobile), etc. La crise s’accompagnerait d’un chômage massif et de guerres violentes pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient. Dès lors, le député envisage trois hypothèses : le chaos et la barbarie ; une dictature des pays riches se protégeant à tout prix ; une société de sobriété passant par le rationnement.

Mais comment adopter des mesures de rationnement et de décroissance sans recourir aux solutions dictatoriales ? Hans Jonas relevait dans Le Principe responsabilité : « Il faut prendre des mesures que l’intérêt individuel ne s’impose pas spontanément et qui peuvent difficilement faire l’objet d’une décision dans le processus démocratique. » « La démocratie est notre arme suprême « , dit au contraire Geneviève Azam, pour qui les conditions de son bon exercice supposent d’assumer la finitude de la planète et de réanimer le sens de la tragédie, qui impose des choix décisifs. Pour Stéphane Lavignotte, « l’enjeu est de savoir si la société fait assez communauté pour se mettre d’accord. Mais quelle est la force du lien social quand la société est à ce point inégalitaire ? » Selon Serge Latouche, « le pouvoir n’est plus exercé par le politique, mais par l’instance occulte des firmes multinationales « . Alain Caillé relève aussi : « Il est évident que l’idéal démocratique est en panne à l’échelle mondiale. La dynamique actuelle du capitalisme pousse au « parcellarisme », à l’éclatement du sens collectif. »

La question que pose l’écologie radicale est donc essentiellement politique : si l’on veut éviter les solutions autoritaires aux crises, il faut revitaliser la démocratie. Cela passe par l’articulation du social à l’écologie, de la solidarité à la diminution des consommations matérielles. « Moins de biens, plus de liens », « Lutter contre les inégalités en instaurant un revenu maximal »…

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