Ukraine/Russie, parlons objection de conscience

Les accords d’Helsinki de 1975, fruit de la première Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, « consacrent l’inviolabilité des frontières européennes, rejettent tout recours à la force et toute ingérence dans les affaires intérieures ». La Russie a donc violé le droit international en envahissant une partie du territoire ukrainien. Qu’en est-il dans cette situation d’état de guerre de la considération de l’objection à l’usage des armes ?

Sam Biesemans (23/12/2023) : Je constate qu’en Ukraine on n’accepte pas la dissidence et l’expression des quelques pacifistes ukrainiens, comme par exemple Youri Sheliansko, objecteur de conscience et juriste chercheur à la faculté de droit de Kiev. Il a été assigné à résidence, on a saisi son ordinateur et le téléphone portable pour l’empêcher de développer son action. Il avait reçu récemment le Sean MacBride Peace Prize du Bureau international de la paix pour son engagement… et quelques jours après il a été licencié de l’université. C’est un pacifiste intégral qui préconise la négociation pour aboutir à la paix, ce qui est en discordance avec le discours officiel en Ukraine et la propagande antirusse. En Ukraine, on a d’ailleurs suspendu le droit à l’objection de conscience qui existait depuis l’indépendance, en 1991. Ils sont environ 3 000 Ukrainiens à avoir déjà quitté le pays, principalement vers la Moldavie.

En Russie, par contre, le droit à l’objection de conscience n’a pas été supprimé ; la loi est toujours en vigueur. C’est peu connu, mais des jeunes effectuent donc un service civil, par exemple dans les hôpitaux. Évidemment les jeunes qui sont objecteurs sont aussi souvent des militants du mouvement anti-guerre ou contre toute « opération spéciale » ; donc ces personnes- sont mises au ban de la société. L’association des objecteurs de conscience russes vient d’être mise sur la liste des « agents de l’étranger », ils ne peuvent dès lors plus rien faire publiquement en Russie ; leurs activités sont organisées à partir de l’étranger par des objecteurs qui sont parvenus à fuir. Près de 300 000 jeunes russes ont fui hors de leur pays pour échapper à la conscription, surtout en direction de la Géorgie et quelques autres pays limitrophes, mais les frontières russes avec l’Union européenne sont fermées.

Ce qui me préoccupe, c’est que pour le moment le droit d’asile pour ces objecteurs n’est pas reconnu au sein de l’Union européenne, y compris pour les jeunes russes qui étaient en train d’étudier dans un État-membre de l’UE au moment de l’invasion. Il n’y a, à cet égard, pas de directives générales ministérielles, y compris en Belgique. Toutes les demandes sont traitées individuellement par les fonctionnaires, contrairement au cas des réfugiés ukrainiens où il y a un accord européen. Par contre, en France, depuis juillet 2023, il existe des directives en faveur de l’asile des Russes pouvant prouver leur opposition à la guerre. En ce qui concerne l’Ukraine, Volodymyr Zelensky a demandé que les pays européens renvoient en Ukraine les jeunes devant faire leur service militaire. La Pologne vient de commencer à le faire, par contre la Hongrie a décidé de ne pas donner suite.

état des lieux

Ukraine. La conscription est rétablie en 2015. Le service militaire est de 18 mois. Seuls les objecteurs de conscience fidèles d’une des dix religions énumérées dans un décret gouvernemental sont reconnus. La religion orthodoxe, majoritaire dans le pays, est exclue de la liste. Pourtant, en juillet 2013, le Comité des droits de l’homme des Nations unies souligne que le droit à l’objection doit être ouvert à toutes les convictions, religieuses ou non. Le 16 janvier 2023, la cour d’appel d’Ivano-Frankivsk a rejeté l’appel de Christian Vitaly Alekseenko contre sa condamnation à un de prison pour avoir refusé, pour des motifs religieux de conscience, de se soumettre à l’appel dans l’armée.

Russie. La constitution de 1993 reconnaît le droit à l’objection de conscience mais la loi organisant le service alternatif n’a été votée qu’en 2002 et mise en vigueur en 2004. Entre-temps, les objecteurs comparaissent dans des procès aux verdicts divers. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’intérêt pour l’objection de conscience a explosé. Toutes organisations confondues, il devrait y avoir 10 000  cette année. Conformément à la Constitution russe, un militaire de carrière, peut également résilier son contrat en raison de ses convictions. Cette année 203, il devrait y en avoir plusieurs centaines. L’armée fait pression sur ces soldats, mais finit par les laisser partir – pour le moment….

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Objection de conscience en temps de guerre

Alexander Belik, Russe  : il n’est pas si difficile de refuser le service militaire en Russie, car il existe un service civil. Jusqu’à récemment, il ne fallait de toute façon pas trop s’inquiéter de la conscription, admet Alexander : « La plupart du temps, ils t’oublient. » Belik a toutefois opté pour la voie de la confrontation – il voulait officialiser son refus. « Je leur ai fait comprendre que j’étais un fauteur de troubles. » Alexander Belik a étudié le droit à Saint-Pétersbourg. Mais les connaissances dont il a besoin en tant qu’objecteur de conscience et activiste ne s’apprennent pas à l’université. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a fait doubler le nombre de personnes qui refusent de faire leur service militaire. Elles font souvent appel à l’aide d’Alexander.

Yurii Sheliazhenko, Ukrainien : «Quand j’ai réalisé que l’école nous enseignait une forme de patriotisme militaire, j’étais déçu et en colère. » Il n’existe pas d’alternative au service militaire, ni d’objection de conscience en Ukraine. Les objecteurs de conscience risquent des amendes et des peines de prison. Seuls quelques groupes religieux échappent à cette règle. Et défendre le pacifisme en temps de guerre est chose difficile. Aujourd’hui, Yurii est président du Mouvement pacifiste ukrainien et membre du conseil d’administration du Bureau européen des objecteurs de conscience (EBCO). Il reste fidèle à ses convictions : chaque être humain a le droit de refuser de tuer, «La violence engendre la violence ».

objecteur de conscience en temps de guerre

extraits : II serait dangereux de se laisser aller à un antimilitarisme sommaire : un peuple a le droit et le devoir de se défendre contre une agression extérieure. A mon avis le principe le plus fiable reste donc celui des non violents : «  Si tu veux la paix, prépare la paix. » Si les Ukrainiens avaient laissé les chars russes arriver à Kiev sans intervenir, un gouvernement pro-Poutine aurait été mis en place, mais il n’y aurait eu aucun mort. Certes une dictature peut perdurer, mais cela ne dure que si les citoyens font preuve de soumission volontaire. Aucune dictature n’est éternelle, d’autant plus qu’elle repose le plus souvent sur une seule personne. Le problème n’est donc pas l’absence temporaire de démocratie réelle dans un pays, mais l’inertie des peuples.

Soutien aux réfractaires russes en Ukraine

extraits : Anciens déserteurs, réfractaires à la guerre d’Algérie et d’autres guerres plus récentes, objecteurs de conscience, insoumis au service militaire, antimilitaristes, nous sommes solidaires des réfractaires, insoumis, objecteurs et déserteurs de l’armée russe qui refusent de participer à la guerre menée en Ukraine. Ils doivent être accueillis dans le pays de leur choix, en tant que réfugiés politiques !Nous sommes pour le droit à l’objection de conscience dans tous les pays et toutes les circonstances.

Déclarons-nous tous objecteurs de conscience

extraits : Le droit à l’objection de conscience au service militaire repose sur l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction. Bien que le Pacte ne mentionne pas explicitement un droit à l’objection de conscience, le Comité des droits de l’homme a indiqué dans son observation générale no 22 (1993) qu’un tel droit pouvait être déduit de l’article 18, dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions.

10 réflexions sur “Ukraine/Russie, parlons objection de conscience”

  1. ON peut toujours comparer l’objection de conscience en Ukraine à celle en Russie. Pour ça l’article de Sam Biesemans (en lien) est intéressant. 300 000 jeunes russes ont fui hors de leur pays pour échapper à la conscription … Du côté ukrainien ils sont environ 3 000, principalement en fuite vers la Moldavie (sic). Si je n’hésite pas à dire que l’un est une grosse saloperie, je me garderais bien d’idolâtrer l’autre. Je vois là deux grands spécialistes de la propagande. Comme tous ceux qui à longueur de temps nous bourrent le mou au sujet de tout et n’importe quoi.
    Le nucléaire, LFI, le RN, le Hamas etc. etc. Le diable Poutine vs l’ange Zelensky.
    Choisis ton camp camarade !
    Et nous… anges ou démons ? Notamment quand ON refuse que viennent « chez nous » ceux qui fuient leur pays pour telle ou telle bonne raison.
    Ce qui sûr, c’est qu’il est bien plus facile d’être objecteur de conscience quand tout va bien.

  2. Didier BARTHES

    On ne peut pas tout à fait comparer la situation qui semble ici décrite dans un sens très favorable à la Russie où les droits à l’objections de conscience seraient mieux respectés car n’oublions pas que la Russie ne risque rien (personne ne veut l’envahir) alors que l’Ukraine risque son existence.
    Ajoutons que les Russes n’ont pas hésité à envoyer plusieurs centaines de milliers de leurs jeunes aller mourir pour une guerre de conquête absolument injustifiable, alors, ne soyons pas trop tolérants envers eux et ne nous faisons pas d’illusion sur leur respect des consciences.

    1. major Daubuisson

      « n’oublions pas que la Russie ne risque rien (personne ne veut l’envahir »

      Demandez donc à l’ oncle Sam s’ il n’est pas attiré par les immenses richesses du sous- sol russosibérien : cet oncle n’ hésiterait pas à sacrifier l’ Oxydant dans cette conquête .
      Désolé, mais une grand partie de l’ Ukraine appartient à la Russie .

      1. N'importe quoi !

        Si l’oncle Sam rêve d’envahir la Russie… alors ON peut tout aussi bien penser, et même «démontrer», que de son côté Tonton Vladimir rêve d’envahir les US.
        En remontant à Neandertal ON pourrait même «démontrer» que les US appartiennent à la Russie.

      2. Didier BARTHES

        Non Major D’Aubuisson les USA ne menacent pas d’envahir la Russie
        Quant à la Russie (disons la dictature Russe), il me semble qu’étant déjà le plus grand pays du monde (avec le double de chacun des trois suivants qu’il serait plus prudent de limiter là son empire.
        N’oubliez pas que si vous la laissez faire, demain ce seront les pays Baltes. Quant à la Chine, elle n’aura plus aucune raison de se gêner pour envahir Taiwan. Que ferons nous alors, une guerre mondiale ? Non, et des millions de gens seront sous son joug.
        L’histoire a montré qu’il valait mieux s’opposer aux dictatures le plus tôt possible, nous avons fait assez d’erreurs en négligeant de lutter contre Hitler quand il était encore temps, ne recommençons pas.

    2. Oui… ne soyons pas trop tolérants envers eux et ne nous faisons pas d’illusion sur leur respect des consciences (sic) … au sujet des Russes.
      Mais n’allons pas croire pour autant que les autres sont des enfants de cœur.
      L’Histoire est riche de ces guerres de conquêtes toujours menées au nom de grands idéaux. Croisades, évangélisations etc.
      La grosse hypocrisie c’est quand le mot «guerre» est remplacé par «opération militaire spéciale» (comme dit Poutine) et autres trompe-couillons.
      Le comble étant «opération de pacification» (comme en Algérie)

  3. Rire pour réfléchir, au risque de provoquer

    Pour pouvoir en (re)parler, de l’objection de conscience… encore faudrait-il déboucher les tuyaux.

  4. Esprit critique

    – « … parlons objection de conscience » (titre)

    Mais pour en dire quoi… que nous n’ayons déjà dit !!??
    Et puis pourquoi, pour quoi, en parler ? Pas pour nous faire la guerre tout de même, si ?
    Le 9 avril 2024 à 13:23 je disais : « Le problème (avec ou sans « ») du pacifisme c’est que poussé à l’extrême il peut devenir dangereux. »
    Ensuite j’ai argumenté, comme j’ai pu… et voilà ce qu’ON m’a gentiment répondu :
    – « Michel C., copiez cent fois cette phrase de Gandhi : « N’importe quelle question peut être examinée de sept points de vue au moins, tous exacts en soi, mais non dans le même temps ni dans les mêmes circonstances. » »
    Comme ON m’a toujours dit qu’il fallait écouter son maître, et puis lui obéir, alors j’ai copié cent fois la fumeuse phrase du grand « pervers polymorphe » (Biosphère 22 juin 2013).
    Et bien sûr ce qui devait arriver arriva. (à suivre)

    1. Esprit critique

      (suite) Quand ON agit en mode automatique, sans réfléchir, les neurones s’endorment et ON finit par faire des conneries. En l’occurrence ici en écrire :
      – « N’importe quelle phrase peut être examinée de sept points de vue au moins, tous exacts en soi, mais non dans le même temps ni dans les mêmes circonstances. »
      En faisant un peu attention ON voit que cette fois il ne s’agit plus d’une question… à examiner de X façons … mais d’une phrase. Avant de savoir s’il faut en parler ou pas, si le pacifisme est un extrémisme ou pas, si Poutine est fou ou pas, si Gandhi et l’abbé Pierre étaient des gros porcs, ou pas… essayons déjà de nous comprendre.
      Comme l’explique Bernard Werber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je dis [écris], ce que vous avez envie d’entendre, ce que vous entendez, ce que vous comprenez… il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même… »
      (à suivre)

      1. Esprit critique

        (suite et fin) Revenons donc à nos moutons, nos braves pacifistes … radicaux, intégraux.
        Mais pour en dire quoi, si ce n’est qu’ils me font penser à ces Témoins de Jéhovah qui refusent la transfusion de sang. À tous ces intégristes divers et variés tantôt refusant de consommer le moindre produit d’origine animale, tantôt le moindre vaccin, médoc ou produit chimique, etc. etc. Bref, toutes ces bonnes gens croyant et prétendant détenir la Vérité. La Vraie, l’Authentique, la Bonne, la Pure, la Dure évidemment.

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