Un « droit à l’enfant » sous contrainte écologique

Dans l’affrontement entre les optimistes de l’abondance (cornucopian optimists) et les pessimistes néo-malthusiens, écrit Kenneth Smail*, la charge de la preuve incombe aux optimistes : qu’ils nous expliquent quelle preuve ils ont que la terre peut supporter, sans dommages irréparables, pendant deux siècles ou plus, une croissance démographique avec une consommation par tête qui dépasse déjà la capacité de charge optimale. Car, comme toujours, si ce sont les optimistes qui se trompent, on ne peut que s’en réjouir, mais si ce sont les optimistes, nous allons à la catastrophe irréversible. Soit l’homme prend sérieusement en mains la tâche de réduire sa fécondité ; soit il attend que la nature se charge de faucher ce trop plein : c’est la redécouverte de Malthus après deux siècles de tergiversations.

Dans quelle mesure ce débat atteint-il l’opinion publique dans les pays développés ? D’une façon générale, les couples se sentent peu concernés dans leur comportement procréatif par le problème planétaire de surpeuplement. Dans ce domaine plus que dans aucun autre prévaut une sorte de schizophrénie : le fait d’avoir ou de ne pas avoir des enfants est considéré comme une affaire strictement privée, dans laquelle les décisions sont prises sans aucune considération des conséquences collectives. Le contraste est frappant avec certains autres domaines, comme par exemple l’écologie : alors que progresse la prise de conscience des individus de l’impact de leur comportement quotidien sur environnement global, rien de tel n’existe dans le domaine de la procréation. Dans ses achats, le citoyen prend de plus en plus en compte sa consommation d’énergie, le rejet de CO2, l’impact sur la pollution. Par contre, dans la décision d’avoir un enfant, il ne considère pas le fait qu’il contribue par là à peser sur la démographie mondiale. On continue à raisonner en termes nationaux ; dans la naissance d’un bébé, les médias voient d’abord ce qu’il apporte à la « vitalité » de la fécondité française. Et ceci en pleine contradiction avec les préoccupations écologiques, puisque le niveau de vie d’un Français a cinq ou dix fois plus d’impact sur l’environnement que celui d’un Chinois ou d’un Nigérian. La dimension globale est prise en compte pour le climat, pas pour la population, quand bien même il y a des liens entre les deux.

D’autre part, dans les démocraties occidentale, le « droit à l’enfant » a toujours été reconnu comme un droit fondamental de tout individu, relevant de la liberté de chacun. Alors même que la plupart des autres activités requièrent l’obtention d’un permis et la présentation de certaines garanties, le fait de procréer est laissé à la discrétion de chacun, quitte à enlever plus tard l’enfant à ses géniteurs s’ils se montrent incapables de faire face à leur rôle. Même les couples homosexuels réclament le droit à l’enfant, et les couples stériles demandent l’aide de la science. Au point que les prises de position inverse apparaissent comme des anomalies, voire des perversions. Ce sont ceux qui font preuve d’égoïsme qui se retrouvent en position d’attaquant !

* article de 2002, « Souvenons-nous de Malthus : un argument préliminaire pour une réduction significative de la population humaine globale »

extraits du livre de Georges Minois, Le poids du nombre

7 réflexions sur “Un « droit à l’enfant » sous contrainte écologique”

  1. Oui bien sûr, je suis incapable de dire comment le monde aurait évolué si nous étions restés 200 millions ou de façon générale de petits effectifs par rapport à ceux d’aujourd’hui.
    Nous serions dans un monde différent avec d’autres problèmes. Je crois toutefois pouvoir faire le pari qu’à ce niveau démographique le risque d’un effondrement généralisé serait moindre, aussi bien pour les sociétés qui, moins denses, bénéficieraient sans doute d’une plus grande autonomie et pour la nature qui bénéficierait d’espace. Je ne ferais par contre pas le pari que nous bénéficierions d’un monde sans conflit et sans injustice.
    En ce qui concerne l’Hubris oui, c’est un concept fort que nous ferions bien d’approfondir et l’on peut l’appliquer aussi bien à ce qui vous préoccupe qu’à ce qui me préoccupe.
    Connaissez-vous les travaux de l’Institut Momentum qu’anime Yves Cochet, l’ancien ministre de l’environnement ? A titre personnel je les trouve intéressants.
    Cette question de la démesure, de la fuite en avant est bien évoquée aussi par Georges Minois ou par Olivier Rey dans son livre : « Une question de taille ».

  2. Didier Barthès.

    Je sais votre engagement au sein de Démographie Responsable et j’apprécie votre ouverture, ce qui n’est pas le cas de bon nombre de dénatalistes ou néo-malthusiens avec lesquels j’ai discuté. J’habite le Sud-ouest, c’est à dire loin de Lyon, je n’aurais donc pas l’occasion de vous rencontrer.

    Vous avez raison de dire que ce problème semble occulté par la majorité des écologistes et vous avez évidemment raison de le mettre en avant. Comme la « décroissance », il semble en effet que ces deux discours aient du mal à se faire entendre.
    A mon avis, la conscience que les « mesurettes » ne servent à rien, sinon seulement à se donner bonne conscience … nous amène à comprendre que pour qu’ils soient vraiment crédibles ces discours doivent être portés « radicalement » . Et alors ils n’ont aucune chance d’être acceptés. Ce qui fait que nous revenons toujours à la conscience de notre incapacité à pouvoir changer ce Monde.

    Si nous n’étions que 200 millions… le Monde serait différent, c’est évident.
    Si nos prédécesseurs avaient fait en sorte de limiter la population mondiale à ce chiffre là, rien ne nous dit que nos connaissances et nos technologies auraient suivi le cours qu’elles ont suivi. La sagesse des Anciens leur faisait redouter une chose comme la peste, l’ hubris (la démesure). L’humanité aurait pu rester au mode de vie d’il y a 2000 ans, elle ne l’a pas fait. De toute manière, rien ne sert de vouloir réécrire l’Histoire.

    Moi de même  » je trouve cela agréable d’avoir un bon niveau de vie et je le souhaite à toute l’humanité « .
    Toutefois je sais que mon petit confort de petit-bourgeois * occidental repose sur le fait que la majeure partie de l’humanité vit dans la pauvreté sinon la misère. Je n’ai pas choisi de naître en France, et je ne suis pas non plus Mère Térésa.

    * Avez-vous remarqué comment il est également très difficile d’admettre que nous sommes des petits-bourgeois ?
    Lire « Le petit-bourgeois gentilhomme » – d’Alain Accardo – 2009

  3. Re-Bonjour Michel C

    Je comprends tout à fait votre réponse et je conçois qu’il existe d’autre goulets d’étranglement, la consommation en est un, et il est normal que des gens s’en emparent.

    Toutefois, si nous étions 200 millions, comme à l’époque de Jésus-Christ, (ce qui est très récent à l’échelle de l’histoire et ce qui constitue déjà des effectifs très très supérieurs à ce qu’a connu l’humanité tout au long de son histoire) nous pourrions, sinon tous avoir un avion ou nous vautrer dans un luxe indécent, au moins tous bénéficier durablement d’un bon niveau de vie. L’énergie notamment pourrait être quasiment toute d’origine « renouvelable ».

    Peut-être suis-je un peu matérialiste mais je trouve cela agréable d’avoir un bon niveau de vie et je le souhaite à toute l’humanité, ça dégage d’ailleurs du temps pour la culture, mais pour avoir tout ça,(durablement) il faut être peu nombreux.

    Cela dit, vous avez raison chacun doit défendre ce qui lui semble important, il se trouve (vous me l’accorderez n’est-ce pas) que 95 sinon 99 % du discours écologiste porte sur le mode de vie, voilà aussi pourquoi je pense que ceux qui parlent d’un autre sujet ont vraiment raison de le faire, je suis effrayé de voir que c’est souvent dans les milieux écolos que mes propos démographiques sont les plus mal reçus, j’avoue ne pas arriver à le comprendre. Il est certain qu’un discours consensuel et teinté d’humanisme à la Pierre Rabhi entraine plus facilement l’adhésion, pour ma part, je préfère quand même dire ce que je crois, même si c’est plus mal reçu.

    Maintenant votre question est juste : Que faire ?

    Pour être honnête je suis pessimiste et pense que les chances de succès sont infimes (j’appelle succès une sortie de crise par des mesures volontaires et comprises, j’appelle échec une sortie par confrontation aux limites de la nature).

    Je crois qu’il est trop tard, nous sommes allés trop loin et d’ailleurs la majorité d’entre-nous ne prend pas réellement conscience de la gravité du problème.

    Malgré tout, de même que nous continuons à respirer une fois de plus chaque seconde, alors que nous savons qu’en fin de compte c’est un combat perdu, pour ma part je milite activement au sein de Démographie Responsable, et d’ailleurs nous tiendrons bientôt un stand au Salon Primevère de Lyon où nous présenterons aussi une exposition photos sur le sujet. Si vous êtes dans la région lyonnaise n’hésitez pas à y passer.

    Bien amicalement.

  4. Bonjour Didier Barthès
    Bien entendu je partage votre constat et comprends l’insistance : « Cette insistance relève plutôt de la conscience que la démographie constitue un goulot d’étranglement… On ne triche pas avec les données physiques et les limitations matérielles du monde, ce n’est pas de la politique, c’est du réel. »
    Croyez bien que je suis parfaitement conscient de ça, je vous l’ai déjà dit.

    Vous dites : « La surpopulation est en train de nous tuer, à l’échelle du siècle ».
    Je ne crois pas à la disparition de notre espèce à l’échelle du siècle. C’est une possibilité certes. Je crois davantage à une catastrophe qui portera un grand coup à notre espèce, et pas seulement.
    Quoi qu’il en soit je peux dire de la même manière que la croissance économique est en train de nous tuer.

    Mais une fois parvenus à cette prise de conscience, à cette conviction… que pouvons-nous y faire ? C’est la question que je ne cesse de répéter.
    Nous allons tous mourir un jour, que pouvons-nous y faire ? Il nous faut donc vivre avec cette réalité, cette échéance qui nous pend au nez.

    Je ne crois absolument pas à l’effet de quelconques mesures « pacifiques » et je ne suis pas en mesure d’entrevoir la probabilité de la venue soudaine de la sagesse sur Terre. Le temps joue contre nous, il y a l’addiction à la consommation, la course au toujours plus, d’argent, de pouvoir, de puissance, il y a les cultures, les religions, le déni de réalité … Que pouvons-nous faire pour changer le Monde ?

    Au sujet de l’insistance qui relève de cette conscience du problème démographique, vous dites aussi : « Que tout le reste y est soumis. Que, quel que soit les efforts que nous ferons sur les autres sujets, ils ne serviront à rien (et je dis bien à rien et non pas : ils serviront un peu) … »
    Vous pouvez en effet le voir ainsi, mais je peux aussi bien dire la même chose en me focalisant sur la croissance économique. Je me garderais toutefois de dire que « nous pourrons vivre demain à 20 milliards en étant tous partageux ».

    De la même manière que vous ou que Biosphère, en ce qui me concerne mon insistance se porte plutôt sur notre consommation et sur la croissance économique. C’est pour ça que je dis « à chacun sa came ! »
    Et puisque nous parlons de « came », et puisque avant tout il nous faut vivre… vivre dans ce Monde qui est comme il est, que nous n’avons pas choisi… je pense que l’amour de la sagesse en est une excellente. Et je pense enfin, que le diffuser ne peut pas nous faire de mal.

  5. Bonjour Michel C,

    Je me permets de répondre car je crois sur ce point partager en bonne partie les points de vue du rédacteur de Biosphère.

    Se concentrer sur la question démographique ne résulte pas d’une vision simplificatrice visant à penser à penser que seul un problème existe (d’ailleurs Biosphère, comme moi-même, militons souvent sur d’autres thèmes et même sur des thèmes plus généraux).

    Cette insistance relève plutôt de la conscience que la démographie constitue un goulot d’étranglement. Que tout le reste y est soumis. Que, quel que soit les efforts que nous ferons sur les autres sujets, ils ne serviront à rien (et je dis bien à rien et non pas : ils serviront un peu) parce que l’omniprésence des hommes sur la planète conduira inévitablement à l’écroulement écologique. On ne triche pas avec les données physiques et les limitations matérielles du monde, ce n’est pas de la politique, c’est du réel.

    Nous sommes exactement dans le cas d’un homme menacé d’un péril mortel et immédiat (100 ans c’est immédiat pour l’histoire humaine et plus encore pour celle de la vie). Si l’immeuble dans lequel nous sommes, menace de s’écrouler pour cause de tremblement de terre (explosion démographique), il est inutile de s’embarrasser sur l’instant de la complexité des interactions et de la subtilité du monde pour sortir de l’immeuble d’abord et ensuite pour réfléchir à construire sur de nouvelles base prenant en compte toutes ces interactions.

    La surpopulation est en train de nous tuer, à l’échelle du siècle, il n’y aura plus un grand animal sauvage sur la planète, plus une forêt digne de ce nom et pire encore nous aurons mis à bas les équilibre rendant la reconstruction difficile. Les animaux peuvent respirer un air un peu plus pollué, ils ne peuvent pas vivre sans l’espace pour ça, c’est incontournable. Aucun régime politique ne peut éviter cet écueil.
    C’est une urgence, réagir à l’urgence n’est pas nier la sophistication, c’est une nécessité.

    J’admets que parfois j’insiste beaucoup étant tellement exaspéré par le silence des écologistes sur cette question, eux qui préfèrent se draper dans des positions humanistes du style : on s’aime tous, on va tous se donner la main et l’humanisme permettra à l’Homme de tout surmonter, nous pourrons vivre demain à 20 milliards en étant tous partageux (mot qu’aime utiliser par exemple le décroissant Paul Aries).
    Tout cela me semble une impossibilité et aussi relever d’une grande naïveté.

    Un prédateur comme l’Homme ne peut être nombreux sur la planète, et en plus nous ne nous donnerons jamais tous la main. « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités » disait un homme célèbre.

    Je n’en peux plus de voir l’écologie que je crois le plus important sujet du monde défendue par des gens à ce point irréalistes.

    Le partage si souvent prôné doit concerner tout le vivant, c’est une exigence morale et matérielle.

  6. Bonjour
    Je vais finir par penser qu’on en rêve la nuit . De la même manière que l’écologie se résume pour certains à sauver les baleines, pour d’autres à prôner le végétarisme ou le veganisme, il me semble que chez biosphère on fait une fixation sur le problème de la démographie. Après tout, et comme je dis souvent : à chacun sa came ! Seulement cette façon de voir les choses, donc de voir le Monde, n’est pas sans poser problème à partir du moment où la complexité du Monde est réduite à une vision binaire. Le Monde se voit alors divisé entre ceux qui le voient blanc et ceux qui le voient noir. Plus aucune place pour les nuances de gris ! Les optimistes d’un côté et les pessimistes de l’autre ! ( On peut évidemment remplacer les mots en « iste » par d’autres mots en « iste » )Dans ce Monde devenu finalement d’une simplicité à toute épreuve, il n’y a plus que deux façons d’aborder un problème.
    – Ici on nous dit : « Soit l’homme prend sérieusement en mains la tâche de réduire sa fécondité … soit il attend que la nature se charge … »
    La Nature c’est sûr, saura bien s’arranger des nuisances que l’Homme lui fait subir. Mais cet Homme, comment ferait-il pour prendre sérieusement en main cette tâche ?
    Peu importe … quoi qu’il en soit on nous laisse entendre qu’il se DOIT !
    – Avec un minimum de dialectique il est ensuite facile de démontrer où réside le BIEN et où réside le MAL .
    – Il ne reste plus qu’à choisir son camp. Et en toute bonne logique, les ennemis de mes amis sont mes ennemis .
    – Et c’est l’affrontement, la guerre : « Dans l’affrontement entre les optimistes de l’abondance (cornucopian optimists) et les pessimistes néo-malthusiens »
    – MALTHUS : on l’aime ou on le tue !
    Danger ! On en crève de cette façon de voir le Monde !

  7. Il est absolument indispensable que tout citoyen du monde ait accès à l’IVG à de la vraie bonne contraception qui soit efficace et sans effets secondaires indésirables.

    Actuellement, aucun peuple, pas même ceux d’Occident, n’a les moyens financier d’avoir de la contraception qui soit satisfaisante. Il est impératif de régler ce problème afin de lutter contre l’explosion démographique.

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