Faut rigoler, faut rigoler / tant que le ciel /nous tombe pas sur la tête
1/2) Biosphere est d’accord avec Bruno Latour :
Vous estimez que le décalage entre la gravité des problèmes environnementaux et la prise de conscience publique de ces questions est énorme. A quoi attribuer une pareille dissonance ?
« A un recul compréhensible devant l’apocalypse qui vient. Cela peut se comprendre, d’ailleurs. En France s’était créée une association merveilleuse entre la confiance dans la science, l’esprit républicain et l’idée de modernisation. Le sentiment général qui prévaut est donc que « ça va s’arranger et que, de toute manière, on n’a pas d’autre modèle ». Il ne faut pas se tromper sur le sens du mot « apocalypse », cela ne veut pas dire catastrophe. L’apocalypse signifie la certitude que le futur a changé de forme, et qu’on peut faire quelque chose. C’est comme si la forme du temps avait changé et que l’on pouvait donc maintenant enfin faire quelque chose. C’est une pensée pour l’action contre la sidération et la panique. Tant que l’on croit qu’on va bien s’en sortir, que l’on va essayer de retrouver un degré de croissance à 1 %, nulle action n’est envisageable. A l’inverse, l’apocalypse c’est la compréhension que quelque chose est en train d’arriver et qu’il faut se rendre digne de ce qui vient vers nous. C’est une situation révolutionnaire, en fait. Donc c’est assez normal qu’il y ait des sceptiques qui nient ou qui dénient le caractère apocalyptique de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. »
Que faudrait-il faire, selon vous, pour s’engager résolument dans la voie d’une écologie nouveau style à l’heure de l’anthropocène ? Est-ce que, comme le pensent certains, la démocratie est mal adaptée pour répondre aux défis environnementaux du futur ?
« Nous sommes assurément dans une situation de révolution. Mais ce caractère révolutionnaire est totalement différent de ce que nous avions compris jusque-là sous ce nom. Les anciens thèmes révolutionnaires, d’action politique révolutionnaire, de dictature, ne correspondent absolument pas à l’époque.
Il faut imaginer un Etat capable de s’équiper pour savoir que faire d’une situation où il faut simultanément s’occuper des humains, du climat, du climat des autres, pas simplement du sien, et ce en dehors des frontières nationales. Or nous n’avons aucun paradigme de ce que peut être une action politique commune dans une situation révolutionnaire et apocalyptique à la fois. Et c’est une des explications de la paralysie qui règne dans les négociations internationales pour le climat. Nous allons avoir un joli test puisqu’en 2015 la conférence du climat se tient en France. On va tester alors à quelle vitesse l’opinion va évoluer ou progresser sur ces questions. »
2/2) Biosphere n’est pas d’accord avec Bruno Latour :
Dans votre peinture de l’urgence écologique, n’adoptez-vous pas les thèses de la « Deep Ecology » (« l’écologie profonde »), à qui l’on reproche de privilégier le sort de la planète à celui des hommes ?
« Non, ma position est très différente. La Deep Ecology, c’est quelque chose de très daté, très sympathique par ailleurs, qui correspond à un moment d’avant l' »anthropocène » . Dans l’écologie, on a cette idée qu’il faut protéger la nature. Mais là, la nature, c’est qui ? C’est nous aussi désormais. Avec la Deep Ecology c’était encore l’idée de la nature qui était en question ; là, on assiste à la fin de l’idée de nature. De toute façon, l’opposition entre écologie et anti-écologie n’a plus beaucoup de sens. A l’époque de l’anthropocène, la nature n’est plus une catégorie distincte des humains, eux-mêmes divisés en de multiples groupes en lutte les uns avec les autres. »*
La question posée à Bruno Latour est biaisée. En effet l’écologie profonde d’Arne Naess n’a jamais « privilégier le sort de la planète à celui des hommes ». De plus la réponse de Bruno Latour montre qu’il ne connaît rien à l’écologie profonde. Celle-ci s’oppose en termes très actuels aux tenants de l’écologie superficielle, type Vert rose ou croissance verte. Pour en savoir plus, l’écologie profonde face à ses détracteurs
* Source : LE MONDE du 21 septembre 2013, Bruno Latour : « L’apocalypse est notre chance »