Le débat sur la modulation des allocations familiales est un faux débat. En effet, et ce depuis l’origine, la politique familiale n’est pas une politique sociale, encore moins une politique de redistribution, c’est une politique de natalité. Comme l’exprime l’ex-président de l’INED Jean-Claude Barreau dans LE MONDE*, « Le quotient familial, l’universalité des allocations a pour but de faire en sorte qu’un couple qui offre des enfants au pays ne soit pas désavantagé par rapport au foyer de même revenu sans enfant ». Mais cette politique, si elle pouvait se concevoir en 1944 dans un pays dévasté par la guerre, a-t-elle encore un sens en 2014 ? Qu’est-ce qu’une bonne santé démographique pour un pays ? Et pourquoi privilégier encore les familles nombreuses au détriment des familles nullipares ou avec enfant unique ?
Les raisonnements de Jean-Claude Barreau dans son article sont d’une « naïveté » confondante pour un spécialiste de la démographie. Notons d’abord que si l’Institut national d’études démographique était à l’origine ouvertement nataliste, cette idéologie proclamée a été abandonnée. L’INED était en effet chargé à la Libération d’examiner « les moyens matériels et moraux susceptibles de contribuer à l’accroissement quantitatif et à l’amélioration qualitative de la population ». Depuis, si les encouragements financiers à faire des enfants subsistent, la loi répressive de 1920 interdisant contraception et avortement n’est plus qu’un mauvais souvenir : fini le quantitatif forcé. Jean-Claude Barreau croit que les socialistes « ont toujours été malthusiens ». La réalité historique est inverse. Au XIXe siècle, Karl Marx s’est violemment opposé aux idées malthusiennes et depuis les socialistes ont toujours voté comme la droite en faveur des familles nombreuses, même pour la loi de 1920 ! Jean-Claude Barreau estime que « les enfants assurent le dynamisme d’une société ». S’il s’agit dans un bidonville surpeuplé de snifer de la colle et de mendier, où est le dynamisme ? Le dynamisme d’une personne ne reflète pas un âge, mais une socialisation d’un certain type (apprentissage de l’initiative) dans un milieu qui permet de s’y épanouir. Trop de gens deviennent des moutons ou des loups solitaires par manque d’affection et/ou d’emploi. Jean-Claude Barreau affirme que les écologistes sont encore plus malthusiens que les socialistes alors que l’écologie politique n’a aucune doctrine en la matière : le malthusianisme de René Dumont a été abandonné depuis longtemps. Face à l’explosion démographique planétaire, Jean-Claude Barreau met tous ses espoirs dans la transition démographique, la tendance à l’équilibre entre natalité et mortalité dans les pays qui se développent. Or le taux d’accroissement démographique mondial est encore de 1 %, ce qui représente une évolution exponentielle avec doublement de la population en 70 ans. D’ailleurs les perspectives statistiques ont été revues à la hausse. De toute façon avec 7 milliards d’humains sur la planète, près d’un milliard ne mangent pas à leur faim. Et le développement économique bat de l’aile. Que se passera-t-il quand nous serons plus de dix milliards sachant que les sols s’appauvrissent, que les mers se vident et que le pétrole qui permet rendements agricoles et circulation des denrées alimentaires viendra à manquer ? Le problème des démographes comme Jean-Claude Barreau est qu’ils n’envisagent jamais les contraintes écologiques dans leurs raisonnements. Ils sont comme les économistes, ils pensent « hors sol » !
Que la France ait fait moins d’enfants entre 1815 et 1940 est traité par Jean-Claude Barreau de catastrophe, « le pays a failli mourir de dénatalité ». Comme si la croissance d’une population était une loi inéluctable à laquelle il fallait se soumettre ! Par contre il traite le fait que la France est passé de 39 millions d’habitants en 1944 à 65 millions aujourd’hui de « démographie saine ». Il n’a pourtant aucune idée de la véritable capacité de charge du territoire Français. Sans exploitation de l’ensemble des ressources de la planète, la France est-elle encore capable de fournir suffisamment d’énergie, de métaux et de nourriture à 65 millions de personnes ?
* LE MONDE du 23 octobre 2014, Préservons notre forte natalité
Rien à ajouter, je fais mien le commentaire de José, oui le tabou et la surdité sur la question atteignent même des milieux que l’on pourrait croire ouverts à de tels sujets.
Qu’à la limite les natalistes traditionnels pensent comme ils pensent, rien d’étonnant à cela. Ce qui est plus grave, c’est que lors des discussions sur la toile, on se retrouve souvent confronté à des commentateurs dits « progressistes », qui pensent permaculture et social, mais dont le leitmotiv est souvent « Avec des méthodes d’agriculture durable, et la réduction des inégalités (programme louable), la Terre peut même porter douze milliards d’habitants ». Sans même relever la contradiction avec la conservation d’espaces naturel ou la gestion de l’eau (car ses consommateurs ne sont pas que l’agriculture intensive et l’industrie), la question est de savoir comment ces Pangloss espèrent arrêter le compteur à 12 milliards, sachant que chaque nouvelle estimation repousse plus loin la perspective d’une stabilisation de la population. Dernièrement on a appris que ce ne sera pas pour ce siècle, nous avons « gagné » encore au moins 50 ans de croissance démographique. La main invisible sur laquelle tablent ces optimistes indécrottables serait-elle arthritique? Et si faute d’action, le scénario devient overshoot and collapse, pourront-ils décemment se réfugier derrière le « nous ne savions pas »?