Une politique agricole commune écologique ?

Dès la signature du traité de Rome en 1957, la Communauté économique européenne (CEE) a mis en place une politique agricole commune (PAC), dont les objectifs étaient multiples : accroître la productivité de l’agriculture, garantir la sécurité des approvisionnements agroalimentaires, assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, stabiliser les marchés et assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Mais les mécanismes de soutien différencié par des prix garantis ont surtout incité à produire et à exporter à bas prix les productions protégées et à ne plus produire assez de légumineuses et protéagineux. La recherche incessante de compétitivité est allée de pair avec une intensification et une spécialisation exagérée des systèmes de production agricole. Cette agriculture productiviste se révèle destructrice pour l’environnement et génératrice d’exclusion pour les hommes. D’où le départ des paysans vers les villes et la désertification de régions entières.

Lors de la présidentielle 1974, le programme de l’agronome écolo René Dumont remettait en question cette agriculture intensive : l’agriculture sur-industrielle stérilise le sol, déséquilibre les plantes cultivées et leur ôte toute résistance face à leurs ennemis naturels, ce qui rend nécessaire l’emploi d’une quantité de pesticides, insecticides, fongicides. Les marchands d’insecticides et d’engrais, comme par hasard, sont les mêmes. La solution, c’est de régénérer les sols par des façons culturales qui stimulent l’activité bactérienne dans l’humus ; par une polyculture raisonnable ; par la protection de la flore et de la faune sauvages ; par le respect de l’équilibre écologique qui va du minéral à l’homme en passant par toutes les formes de vie microbienne, végétale et animale ; par la diversité des cultures avec priorité à la production vivrière pour le marché intérieur et non monoculture destinée à l’exportation. Nous avons tourné le dos à ce programme.

« Un regard sur la PAC est offert, ces jours-ci, par le New York Times. La conclusion de l’enquête est que la PAC est « un système de subventions délibérément opaque, faussé par la corruption et le conflit d’intérêts ». En 2018, elle a distribué quelque 60 milliards d’euros aux exploitants des Etats membres. Le fait que la plus grande part des subventions de la PAC puisse être indexée sur la taille des exploitations, conjugué aux marges de manœuvre dont chaque État membre dispose dans l’attribution des fonds, a favorisé des mécanismes d’annexion ou de captation frauduleuse du foncier agricoles, surtout en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie et en Bulgarie, ces aides nourrissent « des procédés mafieux d’accaparement des terres ». Cela contribue à agrandir la taille des exploitations, donc à favoriser les systèmes agricoles les plus industriels, ceux qui simplifient le plus les paysages, fonctionnent avec le moins d’emplois et le plus d’intrants. Le résultat est un bilan environnemental désastreux, les gaz à effet de serre émis par l’agriculture européenne ont augmenté de 5 % au cours de la dernière décennie, les populations d’insectes et d’oiseaux des champs s’effondrent, les nitrates polluent les rivières. Qu’une politique européenne subventionne tout à la fois la destruction de l’emploi, le saccage de l’environnement, la concentration du pouvoir économique et les oligarchies d’Europe centrale est un tour de force. L’année qui s’ouvre sera celle de la renégociation de la PAC, le Green Deal européen risque de rester un vœu pieux. » (Stéphane Foucart)*

La responsabilité de la PAC est lourde, mais le système hyperconsumériste l’est tout autant, façonné par la Grande Distribution et ses centrales d’achat qui broient les agriculteurs dans la mécanique du toujours moins cher, ce qui pousse à l’industrialisation et au gigantisme ! Cet article du New York Times n’est d’ailleurs pas une enquête sur la PAC à proprement parler mais sur la façon dont les dirigeants des gouvernements nationalistes en tirent parti, s’enrichissent ainsi que leurs proches en s’adonnant à toutes sortes de prévarications. Viktor Orban étant le meilleur exemple. Le titre d u NYT est d’ailleurs restrictif : « Comment oligarques et populistes soutirent des millions à l’Europe ». Il y aurait aussi beaucoup à dire sur « l’agro-business américain » : Monsanto, OGM, antibiotiques, hormones de croissance, fermes gigantesques, poulets au chlore, …etc…etc, tout ça vient de l’autre côté de l’atlantique. Conclusion, on est pas près d’avoir un monde agricole écolo quand concurrence internationale, désirs formatés des consommateurs, structure de production hyper-concentrée et politiciens à la solde de l’agro-industrie font cause commune. C’est pourquoi nous attendons le Grand Soir, pas la Révolution qui ne fait que redistribuer les cartes du pouvoir central, mais le choc pétrolier ultime qui nous obligera à revenir (dans l’affolement général) à une agriculture paysanne. Ça va pas être triste !

* LE MONDE du 5-6 janvier 2020, « La PAC, une catastrophe agricole commune »

1 réflexion sur “Une politique agricole commune écologique ?”

  1. La PAC est à rajouter à l’interminable liste des aberrations du Système. Là encore rien de nouveau sous le soleil. Ce sont toujours les mêmes qui encaissent les gros chèques. Comme par hasard nous trouvons là Leurs Majestés la Reine d’Angleterre, le Prince Albert de Monaco, les plus gros céréaliers et les plus gros éleveurs. Et comme toujours les petits doivent se contenter de miettes, si ce n’est de leurs yeux pour pleurer.
    Bien évidemment la PAC est au service du Système. Comme le sont la Grande-Distribution, les industriels, les banques, les politiques, les polices, les armées, les merdias etc. Bien évidemment tout ce «joli monde» est converti et fidèle à ces 3P qui font tourner le monde. Le Pognon, le Pouvoir, le Prestige. Et de ce fait le monde ne tourne pas rond. Bien évidemment.

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