Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

encarté au parti socialiste !

Aux journées d’été des Verts en août 2002, à Saint-Jean-de-Monts, j’ai craqué. Chaque nuit ou presque une insomnie, pour ces questions lancinantes qui me taraudaient. A quoi servaient les Verts ? Qu’est ce que je faisais dans ce parti ? Qu’est-ce que faire de la politique ? Je suis parti… pour le parti socialiste, un parti dit « de gouvernement ». Mais auparavant, j’ai fait une dernière réunion de formation pour le groupe local sur le concept de décroissance. Même chez les Verts, ce mot était alors inconnu, ou tabou. Il n’y avait pas de formation idéologique chez les Verts et en 2023, c’est toujours la même situation. J’y reviendrais.

J’ai donc décidé de rentrer dans un parti plus sérieux en octobre 2002. L’auto-blocage des Verts devenait irrécupérable et l’enjeu écologique devenait si brûlant que je pensais que le Parti Socialiste allait faire son grand tournant politique vers un parti social-écologiste. Déçu au plus haut point par l’immobilisme des Verts, j’ai basculé dans l’illusion d’un parti dit de gouvernement. Naïf que j’étais encore !

J’ai été accueilli à bras ouvert au niveau de la fédération départementale du PS. Pour cause, personne ne voulait s’occuper d’écologie dans ce parti… Je suis donc, faute de concurrent, devenu presque aussitôt fédéral à l’environnement, membre assidu de la commission nationale environnement, chargé très vite à ma demande d’un suivi mensuel de la politique de la droite en matière d’environnement. Ce suivi était envoyé à tous les députés du groupe socialiste et républicain, laissé sans suite pendant plusieurs années, sauf pour une brochure en avril 2005 « Notre maison brûle, la droite regarde ailleurs ». En fait je m’agitais, j’étais content de travailler pour la cause écologique, mais rien ne bougeait ou presque dans ce parti sclérosé. Comme un squelette agité par le vent, le Parti socialiste.

Que ce soit une section locale, une fédération ou un bureau national, ne nous leurrons pas, l’enjeu dans un parti électoraliste est la répartition des postes, pas l’analyse écologique. On court d’une élection à l’autre, le nez dans le guidon. Les débats sont interminables… pour savoir qui on va désigner comme candidat. Les affrontements interpersonnels entre camarades socialistes sont omniprésents, entre courants, à l’intérieur des courants, entre habitants d’un même lieu. Comment alors prendre le temps de penser écologie ? J’ai quand même réussi à intervenir dans presque toutes les sections de Charente sur le prix de l’énergie. A la question préalable de débat, « pensez-vous normal que le prix de l’essence augmente, soit stable ou baisse », tout le monde ou presque voulait une diminution du prix du carburant, social exige. A la fin de la session de formation, tout le monde avait compris que le pétrole étant une ressource limitée en voie de disparition, le prix du baril devait augmenter et donc le litre d’essence. Mais cette connaissance nouvelle n’avait entraîné aucune conscience nouvelle… au Parti socialiste.

De toute façon la formation idéologique n’existe pas au PS. Le nouvel arrivant doit se contenter généralement d’une présentation devant la section, nom-prénom, un peu plus s’il est bavard, point final. Il y a bien entendu une « formation des cadres », appelée « Université permanente ». J’ai suivi cette formation sur l’année entière : il n’y a aucun débat d’idées, aucun point de repères enseigné ; on apprend à prendre la parole, on suit les bavardages pontifiants de nos leaders lors de l’université d’été à La Rochelle, point final. On réalise à la fin un mémoire qui n’est même pas archivé. A Paris rue Solferino, siège du PS, on s’en fout de la production des militants. C’est ça la démocratie, dans un parti de cadres ! Pourtant j’avais réalisé une somme sur « marxisme et écologisme », mais ça n’intéressait personne. De toute façon le PS n’a aucune idéologie à enseigner, il ne se rappelle même plus qu’il a été SFIO (section française de l’internationale ouvrière), il ne sait plus le langage marxiste de la plus-value, il a la cohérence doctrinale de la droite, marché, libre-échange, concurrence et compétitivité. Pour les socio-démocrates, c’est la croissance économique qui doit permettre les avancées sociales, l’enjeu écologique reste ignoré. Aubry, Hollande et Strauss-Kahn ne peuvent me contredire, ils tiennent le même discours.

La seule fois où j’ai abandonné ma tâche d’écologiste, ce fut à mon détriment en 2006-2007, pour soutenir un candidat « parachuté » en Charente. Malek Boutih, désigné par le national au titre des minorités visibles, me paraissait une personnalité valable. Mal m’en a pris, le conseil fédéral unanime était contre un socialiste « venu d’ailleurs », donc contre moi. Le député sortant, comme un prince en son fief, voulait en effet que soit désignée « sa » candidate à sa succession. Le secrétaire fédéral était aussi l’attaché parlementaire de ce député sortant : conflit d’intérêts, ça facilite l’abus de pouvoir ! Le bureau fédéral était devenu une annexe du Front national, on m’a même demandé si j’étais bien issu de Charente. J’ai été destitué de ma responsabilité de fédéral à l’environnement, on ne me convoquait plus (en toute illégalité) aux réunions du bureau fédéral… Dans ce parti, la lutte pour le pouvoir est beaucoup plus importante que la lutte pour les idées. Et on préfère exclure plutôt que discuter avec les dissidents ! Encarté au PS, écarté par les instances socialistes locales, j’ai continué à militer dans les instances nationales dédiées à l’écologie. On me jette à la porte, je reviens par la fenêtre…

La commission nationale environnement a cela de particulier qu’on est bien obligé d’y parler environnement même si on est au PS. Mais ce n’est pas rare d’avoir un membre du CEA ou un délégué d’Areva ou un militant pro-OGM à côté de soi. On ne doit pas dire du mal du nucléaire. Ni des OGM. Ni du progrès technique. De toute façon cette instance n’est même pas consultative, on s’y réunit pour se réunir. Nous faisions un tour de table, on papotait sur l’actualité, on recevait de moins en moins souvent le compte-rendu. Nous avions reçu des associatifs comme les représentants de Greenpeace ou de WWF. On pouvait faire un lien durable avec les associations environnementalistes. J’ai demandé, on n’a rien fait. Nous parlions à une époque malthusianisme. Rien n’en est ressorti. C’est pourquoi au fil des années l’assistance s’est faite de plus en plus clairsemée, jusqu’à ce que cette commission se résume en 2011 à sa secrétaire nationale, Laurence Rossignol. L’essentiel du travail veut se faire au niveau des apparatchiks, qui se réunissent pour discuter de leurs désaccords. Le culte des ego, dira la presse. Heureusement, le pôle écologique du PS a servi de substitut à la CNE pour satisfaire ma soif d’avancée environnementaliste.

Car le PS a maintenant son pôle écologique ! Lors du Congrès de 2005 au Mans, j’avais fait remarquer à quelques personnages bien placés de la commission nationale environnement qu’il faudrait que l’écologie soit représentée au prochain Congrès socialiste. Miracle, le pôle se crée début 2008, élabore une contribution générale qui se transforme avec mon appui constant et mes pressions amicales sous-jacentes en motion soumise au vote lors du Congrès de Reims. Nous avions l’appui de quelques députés socialistes qui ne veulent plus se contenter d’être le porte-flingue de tel ou tel. Ils croient vraiment que le réchauffement climatique existe et qu’il faut faire quelque chose ; il n’y a pas que des écolo-sceptiques parmi les socialistes. Mais au Congrès de Reims, c’est la lutte à couteaux tirés pour savoir qui va être premier secrétaire du parti… chacun choisit son camp, Ségolène ou Bertrand, Martine ou Benoît. De plus la crise financière fait pencher plus à gauche, l’économie chasse l’écologie, bien au loin, dans la fumée des mots. D’ailleurs de leur contribution générale à sa transformation en motion, j’ai noté le verdissage des programmes des différents leaders : il fallait faire comme si le pôle écologique du PS ne servait à rien !

J’ai représenté le pôle écologique au niveau de la Charente et je suis intervenu devant presque toutes les sections. Mais même les plus écologistes de mes proches amis dans ma propre fédé ne voteront pas la motion B, « pour un parti socialiste résolument écologique ». Résultat national, 1.58 % des voix, aucune représentativité officielle, un désastre. L’écologie reste aux abonnés absents chez les socialistes. Ce ne sont pas, juste avant la messe de La Rochelle, quelques journées d’été réussies (mais non médiatisées) du pôle à Saint Ciers qui vont changer la donne. Depuis, en charge de l’animation de la liste des correspondants du pôle, je désespère de voir émerger un nouveau dynamisme écolo à l’intérieur du parti socialiste. Ce parti reste ce qu’il est, un vieux parti de vieux cadres dont les fondamentaux ne diffèrent pas tellement de la droite libérale. De toute façon, le pôle écologique du PS n’arrivait pas à avoir de position commune sur le nucléaire, le tout voiture, le tourisme en avion, la démondialisation… J’ai juste réussi à faire passer par consensus une motion du pôle sur la simplicité volontaire (réunion à Paris le 29 mai 2010) : « Le Pôle écologique du PS invite ses membres et l’ensemble des citoyens à faire preuve le plus possible dans leur vie de sobriété énergétique et d’autolimitation pour construire ensemble une société plus conviviale et plus égalitaire. » Mais le pôle, comme l’ensemble des instances du Parti, ne travaille pas.

Le PS se contente de temps en temps d’écouter quelques intervenants et il appelle cela « Laboratoire des idées », une idée de François Hollande. Les suggestions sont compilées dans quelques « conventions », fourre-tout indigeste et sans saveur. De toute façon le candidat socialiste à la présidentielle reste libre de n’en faire qu’à sa tête, avec son propre programme, élaboré dans un coin par quelques conseillers occultes. Et l’écologie sera encore une fois complètement marginalisée. Je rêvais d’un parti social-écologiste, avec fusion avec les Verts, ce n’est encore qu’un rêve. Il n’y a rien à attendre pour le moment des socialistes en matière écologiste, je suis dégoûté : neuf ans d’aller-retour à Paris, des échanges Internet innombrables, mes tentatives de structuration du pôle… rien n’a abouti ! Après mon passage chez les Verts, j’avais opté pour l’entrisme dans le Parti Socialiste : neuf ans d’efforts, bilan globalement négatif. Pourquoi ?

D’abord parce que le social pour le PS étouffe complètement l’écologique. Le pouvoir d’achat est sacralisé, le niveau de vie encensé. Quel socialiste dans son imaginaire partisan pourrait se passer de sa voiture et de sa télé, du nucléaire et de la nourriture importée, de la pub et des inégalités ? Le maintien des inégalités est pourtant une explication centrale de la destruction de la planète par notre consumérisme ; la différence entre riches et pauvres crée un processus d’imitation/ostentation qui est utilisé à fond par la publicité : regarde la belle voiture que j’ai, regarde la belle voiture qu’il te faut acheter ! Le pôle écologique du PS a bien tenté de proposer un Revenu maximum autorisé (RMA) lors d’une convention. Cet amendement a fait long feu, même dans ma section : « Les inégalités motivent », me dit-on ! « Le politique ne peut rien faire contre l’économique », on ajoute ! Désespérant !! Suis-je encore parmi des socialos ? Où est l’esprit d’égalité ? (à suivre, demain)

Si tu ne veux pas attendre la suite, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

2 réflexions sur “Fragments de vie, fragment de Terre (suite)”

  1. La démocratie est une mauvaise farce, la démocratie est un poison ! La démocratie c’est quoi ? Tout simplement une partiocratie, autrement dit une concurrence entre divers partis dont l’objectif est de capter l’argent publique et de refourguer la fiscalité aux membres des partis adverses. Mais tous les membres de chaque parti veulent voir croitre leurs revenus et baisser leurs taxes et impôts. En résumé, le jeu consiste à augmenter les impôts et taxes sur les membres des partis adverses afin de capter l’argent ainsi récolté au profit seul des membres de son propre parti ! Bref, il s’agit véritablement de plumer ses adversaires ! Il n’y a pas d’autres projets dans le fond, même si on les enrobe d’écologie et d’affaires sociétales ou encore de mœurs. Ça fait plus de 40 ans où le seul projet politique consiste à plumer Jacques pour pour pouvoir goinfrer Jean Mouloud.

    1. En outre, pour arroser d’argent publique leurs partisans, les politiciens augmentent les dettes publiques de manière à mettre sur le fait accompli leurs adversaires à accepter les hausses d’impôts et taxes sans rechigner ! Bref, il n’y a plus le choix que d’accepter de payer puisque les politiciens arrosent leurs électeurs à coups de crédits revolving ! Le processus est toujours le même, les politiciens au pouvoir souscrivent à des crédits, arrosent leurs électeurs d’argent publique (hausse du nombre de fonctionnaires, hausse des budgets de la fonction publique, selon la fonction publique rattachée au parti, puisque chaque parti défend des services publiques différents, hausse des subventions et des allocations en faveur des bénéficiaires désignés par le parti, etc) puis augmentation de taxes et impôts sur les adversaires du parti pour financer tout ça ! Chacun veut de la croissance pour soi mais de la décroissance pour les autres !

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