29 juillet 2019, jour du dépassement

Ce jour, jour du dépassement ou « Global Overshoot Day », toutes les ressources renouvelables de la planète pour 2019 ont été épuisées ; pendant 5 mois, l’humanité va vivre à crédit, puisant dans le capital naturel au lieu de vivre des intérêts que la Terre nous offrait. En d’autres termes, il faudrait 1,75 planète pour satisfaire les besoins annuels de la population mondiale, ce qui est impossible dans la durée puisque nous n’avons qu’une seule Terre. Pire, le calcul de l’empreinte écologique est établi au niveau mondial ; il ne dit rien des inégalités des ponctions sur le stock. Si toute la population mondiale vivait comme celle des États-Unis, il faudrait 5 planètes Terre pour une année de consommation, 2,7 planètes pour la France et 2,2 pour la Chine. Heureusement la France veut rendre notre pays écologiquement compatible et va économiser 1,7 planètes. C’est super-Macron qui va réagir. La secrétaire d’État à l’écologie, Brune Poirson, a en effet twitter : « demain, c’est le jour du dépassement. Avec Elisabeth Borne et Emmanuelle Wargon, nous travaillons quotidiennement pour une économie circulaire à la rentrée. » C’est sûr qu’en supprimant les touillettes en plastique et en signant CETA et Mercosur, nous allons changer le cours de l’histoire… Cet échange pour aller plus loin :

Paul Rasmont : Je ne comprends pas cette notion de dépassement. Nous ne consommons pas en 2019 le blé récolté en 2020.

Qqun : Il est question de dépassement de ce que la nature peut renouveler d’elle-même, et pas de ses ressources en « réserve ». Comme quelqu’un qui dépenserait plus qu’il ne gagne et devrait puiser dans son épargne. Sauf que puiser dans l' »épargne » de la nature revient à la dégrader.

Michel Lepesant : S’il faut 30 ans pour qu’un arbre soit exploitable (de façon soutenable), vous pouvez le couper au bout de 20 ans et en replanter un aussitôt : cela s’appelle vivre à crédit sur le stock de ressources. Supposez que vous avez 30 arbres et que vous n’en coupez qu’un tous les ans : alors votre stock se renouvelle. Mais si vous en coupez 2 tous les ans, dans 15 ans vous aurez toujours des arbres (si vous en avez replanté 2 à chaque fois) mais les 2 plus vieux n’auront que 15 ans. Vous pourrez toujours les couper et dire que vous ne voyez pas le problème : vous êtes en train de vivre au crédit de vos enfants. A la place des arbres, prenez le cabillaud : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/07/26/le-cabillaud-au-bord-de-l-effondrement-en-mer-baltique_5493603_3244.html

Mathis Wackernagel, inventeur du concept de dépassement : Après sa thèse à Vancouver, Mathis WACKERNAGEL a commencé à travailler avec William REES sur la notion de capacité de charge d’un écosystème. Au lieu de se demander combien de personnes peuvent vivre sur un territoire, ils ont inversé la question en se demandant combien chaque personne utilise de nature, puis de comparer le résultat avec la disponibilité de la nature. Ils avaient inventé l’empreinte écologique. Pour de plus amples enseignements, lire leur livre « Notre empreinte écologique » (1996)

Sur notre blog biosphere, les article antérieurs :

Le Jour du dépassement, aujourd’hui 1er août 2018

13 août 2015, le jour du dépassement des limites

Le jour du dépassement, 19 août 2014 : tous aux abris !

Aujourd’hui 22 août 2012, le jour du dépassement

le jour du dépassement, 27 septembre 2011

6 réflexions sur “29 juillet 2019, jour du dépassement”

  1. Tous les ans le Global Footprint Network décrète un jour du dépassement (pour l’année 2017, le 1er août, pour le 2 août et pour 2019, le 29 juillet) supposé être celui à dater duquel l’humanité a consommé, depuis le 1er janvier, plus de ressources que la nature n’en produit en un an. Au-delà, nous vivrions donc « à crédit » entamant le capital de notre Terre, une situation bien évidemment non durable.
    Cette réalité est indiscutable : nous consommons les ressources à un rythme plus élevé que la nature ne les renouvelle, mais que penser de ce concept ?
    Si la mise en évidence d’une date particulière se conçoit parce qu’elle est commode pour la médiatisation, présenter de manière discrète un phénomène par essence continu, soulève quelques problèmes. Il est plus exact de dire que nous vivons dans l’ère du dépassement, c’est-à-dire que structurellement et en permanence, nous vivons au-delà des moyens de la planète. C’est chaque jour, chaque heure, chaque instant que nous consommons trop, et surtout la nature ne remet pas chaque premier janvier un stock à notre disposition dans lequel nous pourrions innocemment puiser jusqu’à la prochaine date retenue.
    Déterminer une date et de façon générale, tenter un calcul précis sur le dépassement – même conçu comme continu – suppose de sélectionner certains critères et d’accorder à chacun d’entre eux une pondération particulière pleine d’arbitraire.
    D’ailleurs, bien conscient du phénomène et souhaitant tenir compte de l’évolution de ces critères et de leurs poids respectifs, le Global Footprint Network à l’honnêteté de recalculer a posteriori la date du dépassement telle qu’elle aurait été publiée les années précédentes si l’on avait retenu les critères de l’année en cours.
    La difficulté de la détermination d’une date relève de l’impossibilité d’intégrer objectivement certains phénomènes.
    Soit parce que notre consommation est sans rapport avec le rythme de renouvellement, il est ainsi de l’utilisation d’énergie fossile. Sachant que la Terre n’en produit plus – ou de manière infinitésimale -, c’est dès la première minute de l’année que l’on pourrait considérer le dépassement atteint si l’on ne retenait que cet élément, et du moins dès les mois de janvier ou février en lui accordant une pondération déterminante.
    Soit parce que, plus profondément encore, le concept de renouvellement n’a quasiment aucun sens en certains domaines. C’est le cas par exemple de la disparition des espèces animales ou végétales. Quand une plante ou un animal disparait c’est pour toujours, et le premier janvier suivant, la nature ne remet pas en circulation quelques spécimens pour nous satisfaire et nous donner bonne conscience jusqu’au prochain mois d’août.
    Il en est de même de l’artificialisation des territoires. Quand un mètre carré d’humus se voir couvrir de béton, il est généralement perdu pour des siècles ou des millénaires. Là aussi, il ne se voit pas rendu à la planète à l’occasion du nouveau millésime. Intégrer sa consommation dans un processus d’annualisation relève d’une comptabilité artificielle soulignant plus encore l’inadaptation de la démarche. L’amortissement n’a guère de sens en matière de nature.
    On pourrait évoquer d’autres exemples, ils relèvent tous de la même erreur. Celle de croire en la possibilité d’établir une comptabilité de la nature comme nous le faisons pour nos activités économiques, pour lesquelles la monétarisation nous permet d’établir des passerelles et des comparaisons entre éléments aussi différents que le travail intellectuel, la consommation d’énergie ou la production de biens matériels.
    Enfin, ces réticences mises de côté et ne retenant que la volonté bienvenue de médiatiser la question, il reste qu’en situant le jour du dépassement en août on laisse entendre que l’humanité pourrait vivre de manière durable en consommant un peu plus de la moitié de ce qu’elle consomme aujourd’hui. C’est là une appréciation particulièrement optimiste. Même la démographie et le modèle de consommation des années 1970 – 1980 qui grosso modo conduisaient ensemble à une empreinte largement moitié moindre que celle d’aujourd’hui ne sont pas durables. Ils étaient déjà à des niveaux infiniment supérieurs à ce que l’humanité a connu tout au long de son histoire.
    Du jour du dépassement ne doit donc sans doute être retenue que son avance régulière, c’est-à-dire l’aggravation permanente de notre impact sur le monde, c’est là l’essentiel du message.

    1. Bonjour Didier Barthès.
      Bien sûr je suis d’accord avec tout ce que vous dites là. Mais n’est-il pas pour le moins curieux que ce soit le WWF et le Global Footprint Network, dont nous savons l’opacité et les liens qu’ils entretiennent avec les banques et les multinationales, qui s’occupent particulièrement de diffuser ce genre d’info chaque année ?

      Jetez donc un coup d’œil sur le site WWF (tapez « jour du dépassement ») et voyez ce qu’on nous propose. Tenez-vous bien !
      – « Repoussons la date du jour du dépassement ! […] Des solutions existent et puisque nous les connaissons, passons à l’action ! Chaque geste compte et ça commence par changer de menu. Par exemple, diviser par deux notre consommation de protéines animales nous permettrait de gagner 15 jours par an. Et réduire notre gaspillage alimentaire de moitié repousserait la date du jour du dépassement de 10 jours. »

      10 ou 15 jours … nous voilà bien avancés ! Mais ne faisons pas les fines gueules, 10 ou 15 jours c’est toujours ça. Alors … « A vous de jouer » (c’est le WWF qui le dit). Et pour cela, accrochez-vous ! « Découvrez les recettes durables du chef étoilé Florent Ladeyn » et « téléchargez l’application WAG » !

      Finalement, au lieu de participer à la fameuse prise de conscience salvatrice, je crains que leurs indicateurs et tout leur baratin ne fassent qu’en rajouter à la confusion et à la résignation.

      1. Didier Barthès

        Rien à ajouter Michel C, je suis tout à fait d accord avec votre réponse à mon propre commentaire

  2. Chaque année cette info tombe, comme un marronnier. Chaque année on nous raconte la même chose, que ce jour tombe de plus en plus tôt, le nombre de planètes etc. etc. Chaque me(r)dia y va de la ritournelle, place parfois l’info à la une, disons plutôt là où il a de la place, au milieu de tout le reste, quitte à la mettre entre deux pubs. Bref, personne ne peut louper l’info.
    Et puis le lendemain tout le monde a oublié qu’il « vit à crédit ». Comme a déjà oublié ce qui faisait la une de la veille. C’est comme ça on le sait, une info chasse l’autre, nos cerveaux ne peuvent pas digérer cette avalanche d’infos etc.
    De toute façon on peut nous raconter n’importe quoi, nous imager la situation de n’importe quelle manière, ça n’y change rien. On a toujours de l’eau au robinet, du gazole à la pompe, du pognon au distributeur, du jus pour faire tourner l’ordi et le frigo, le frigo n’est pas vide … bref, jusque là tout va bien.

  3. « L’homme ne peut survivre qu’en symbiose avec l’écosystème terrestre, qui lui fournit les substances dont il se nourrit, qu’il utilise ou qu’il rejette. La modernité a mis en œuvre un projet prométhéen d’artificialisation du monde. La production repose avant tout sur la prédation des biens communs. Dans la société de croissance, l’organisation de la survie n’est plus en symbiose avec la nature ; la production repose avant tout sur la prédation des biens communs. Les économistes ont fait abstraction du fait que la vie concrète des hommes se déroulait dans un écosystème qui obéit aux lois de la thermodynamique et de l’écologie scientifique, et non dans la sphère étoilée de la mathématique. Notre problème est pourtant simple, toutes les espèces vivantes ont su le résoudre : ne pas dégrader notre milieu de vie et équilibrer les ressources naturelles par rapport aux populations. » (l’éthologue Pierre Jouventin et l’économiste Serge Latouche dans une tribune*)
    En clair, le « Global Overshoot Day » mesure notre niveau d’incompétence économique.
    * LE MONDE, 30 juillet 2019, « L’homme peut-il se reconvertir de prédateur en jardinier ? »

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