Extraits du livre de Michel SOURROUILLE, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir ».
Organigramme d’un gouvernement écolo
Un programme de présidentiable se présente le plus souvent aux yeux des électeurs comme un catalogue de bonnes intentions. Il en va ainsi des 110 propositions pour la France de François Mitterrand en 1981 ou des 60 engagements pour la France de François Hollande en 2012. Peu importe que beaucoup de ces orientations politiques n’aient pas été respectées, elle ne remettaient pas fondamentalement en cause la perpétuation du système thermo-industriel et croissanciste. En revanche, au niveau écologique, il s’agit de préparer la rupture, instaurer une nouvelle civilisation de l’après-pétrole. Ne pas le faire, c’est accroître les périls à venir.
Le temps presse. Aujourd’hui la ressource la plus rare n’est pas le pétrole ou l’eau, c’est tout simplement le temps ; nous devons affronter plusieurs obstacles concentrés dans une fenêtre temporelle très proche. Nous avons perdu beaucoup de temps depuis la candidature sans lendemain de l’écologiste René Dumont à la présidentielle 1974. Depuis, rien n’a bougé dans le bon sens. C’est pourquoi la candidature d’un écologiste pour la présidentielle reste absolument nécessaire. Il représentera le poids du peuple écolo contre des décisions qui détériorent notre milieu de vie et handicapent notre avenir. Une rupture totale avec la société croissanciste ne peut être lancée et accompagnée que par un gouvernement pour lequel le principe « l’écologie d’abord » paraîtra incontournable.
Un président pour la France et la stabilité de la planète
Voici nos deux propositions pour donner une orientation résolument écologiste au quinquennat 2027-2031 :
- réforme institutionnelle,
- engagement présidentiel pour la planète,
1) La réforme institutionnelle
La réforme institutionnelle sera placée sous le signe de la transparence démocratique. Elle passera par la suppression du Sénat, l’institutionnalisation des conventions de citoyens et la mise en place de la proportionnelle intégrale pour les législatives. La suppression du Sénat devrait être un des premiers actes de la réforme institutionnelle du quinquennat 2017-2022. Le général de Gaulle avait décidé en 1969 de soumettre à référendum un projet de réforme du Sénat : toute attribution législative lui serait retirée. En cas d’intérim de la présidence de la République, c’est le Premier ministre qui obtiendrait cette responsabilité à la place du président du Sénat. Les Français n’ont pas considéré la validité de la question posée, ils ont dit NON à de Gaulle.
Pourtant, un projet de loi subit un long calvaire, première lecture par les députés, deuxième lecture par les sénateurs, deuxième lecture par les députés, seconde lecture par le Sénat, puis tenue d’une commission mixte paritaire (députés et sénateurs), enfin, en cas de désaccord, un dernier passage devant l’Assemblée nationale… qui aura le dernier mot. Ainsi la loi pour « la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » subit un lent processus de démantèlement début 2016. Il faut simplifier le parcours d’une loi tout en contrôlant à chaque niveau que les députés votent en toute indépendance et réflexion. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a rajouté au Conseil économique et social la compétence environnementale, ce qui est déjà un premier pas pour éclairer les députés.
Il faudrait aussi constitutionnaliser les conférences de citoyens. Une telle conférence répond à une situation où une décision politique est souhaitable mais où elle revêt une complexité inhabituelle et nécessite un consensus de la population. Très souvent c’est le cas des thèmes concernent l’environnement ou les conséquences d’une innovation technologique. Le sujet débattu comporte de lourdes incertitudes qu’il est impossible de lever dans l’immédiat. La conférence qui réunit un panel de la population globale permet l’élaboration collective d’une décision éclairée. Une homogénéisation des pratiques pourrait déboucher sur des conventions de citoyens.
« Un texte en forme de loi organique a été rendu public dès 2007. Cette proposition législative a l’ambition de prendre place dans la Constitution pour lui donner une légitimité institutionnelle (p. 78). Il faut convaincre nos parlementaires que, face à la complexité croissante des évaluations et aux risques inhérents aux puissantes technologies nouvelles, ils ne peuvent se suffire d’expertises incomplètes, souvent tendancieuses et peu conformes aux intérêts de la population (p. 117). Il faudra que soit précisé qu’à l’issue de chaque convention de citoyens une résolution parlementaire sera votée, faisant apparaître la justification de toute divergence des élus avec l’avis des citoyens (p. 87) ».1
« J’introduirai une part de proportionnelle à l’Assemblée nationale », promettait le candidat Hollande dans son engagement numéro 48. Depuis son élection, rien n’a bougé. Pourtant la proportionnelle assure une meilleure représentation de la diversité des opinions politiques et met fin au système bipartisan. La recherche du consensus, ce qui se fait d’ailleurs au niveau du parlement européen, remplace l’affrontement entre blocs. Les écologistes d’EELV plaide en faveur de la proportionnelle intégrale, comme en 1985 lorsque François Mitterrand avait modifié la loi électorale à un an des législatives de 1986. Il ne faut pas simplement craindre que des députés FN fassent leur entrée dans l’hémicycle, cela donne au contraire à ce parti l’occasion de gérer pour de vrai la complexité du monde moderne. On ne gouverne pas un pays avec des slogans.
En juin 2012, une simulation de l’élection des députés à la proportionnelle intégrale avait été réalisée à partir des résultats globaux des législatives. Il y aurait eu 24 EELV sur 577 députés, soit plus que les 18 députés octroyés par l’accord de 2011 avec le PS. On sait ce que l’exercice du pouvoir a entraîné pour le groupe parlementaire EELV : l’éclatement. Quant au risque d’ingouvernabilité du pays, il tient surtout à l’esprit clanique, que ce soit avec deux partis dominants seulement ou avec une multiplicité de partis. Un changement d’état d’esprit doit être opéré. Les députés ont le libre choix de leur vote selon l’article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. » Le statut d’élu est nominatif et ne dépend pas des partis. Car être élu, c’est passer un contrat moral avec l’électeur, ce n’est pas une soumission à l’appareil de parti qui se contente de présélectionner certains candidats. Si chaque député est simplement motivé dans son vote par la recherche du bien commun, alors un consensus peut se dégager entre des personnes qui peuvent relever d’idéologies très différentes.
2) Un engagement présidentiel pour la planète
Le président de la République est en charge du rôle de la France dans la stabilité de la planète, il en a le statut et les moyens. Or les campagnes présidentielles occultent trop souvent cet aspect mondialisé du pouvoir du président. Le réchauffement climatique ne connaît pas les frontières et les approvisionnements en pétrole déterminent le niveau de sécurité énergétique de tous les pays. La problématique écologique n’est pas seulement franco-française, elle est planétaire et le président doit jouer un rôle essentiel en la matière. Un président responsable ne peut pas approuver le discours de George Bush : « Sur le long terme, les nouvelles technologies sont la clé pour répondre au changement climatique. La croissance des émissions de gaz à effet de serre des États-Unis stoppera en 2025 pour diminuer ensuite. » (Le Monde, 19 avril 2008.) C’est là une argumentation destinée à ne rien faire en matière d’environnement. En fait les responsables politiques se trouvent confrontés à quatre grandes options comportementales :
- œuvrer pour qu’une série d’innovations majeures permette de résoudre l’ensemble des problèmes actuels ;
- espérer que dans l’éventualité de bouleversements mondiaux, leur pays serait moins affecté que les autres ;
- attendre que des crises permettent de justifier des mesures impopulaires après des décennies de discours rassurants ;
- appliquer le principe de précaution et reconnaître dès maintenant la gravité de la situation. Cela supposerait que l’idée même de « développement » peut être trompeuse et qu’il faut remettre en question le paradigme socio-économique dominant.
« Les trois premières options parient sur l’avenir, ce n’est pas digne d’un véritable acte politique. D’ailleurs, sauf en cas de révolutions technologiques aussi souhaitables qu’aléatoires, on ne dispose pour l’instant d’aucune solution technique à l’échelle des enjeux. La dernière option exigera de reprendre cette interrogation d’Edgar Morin : « Le monde va-t-il imperturbablement vers le développement et le progrès, ou bien les idées de progrès et de développement nous ont-elles égarées ? ». Le développement (durable ?) a déjà entraîné la déstructuration de nos sociétés qui privilégient dorénavant la production de biens au détriment de la reproduction sociale« .2
Un présidentiable à envergure internationale s’exprimerait comme Nicolas Hulot : « Osons dire que toutes nos crises n’en sont qu’une : une crise de l’excès… Osons dire que la planète peut se passer de nous, mais que nous ne pouvons pas nous passer d’elle… Penser écologique, c’est penser intégral… » Un président de la République ne peut pas faire comme si les conditions de la vie sur Terre étaient les mêmes qu’il y a quelques dizaines d’années. Nous sommes entrée dans l’anthropocène ou « ère de l’homme ». Les activités de notre espèce Homo sapiens changent les conditions climatiques mondiales et chargent l’environnement de substances chimiques de synthèse, détectables des tropiques jusqu’aux glaces de l’Arctique. Elles répandent des microplastiques à la surface de tous les océans du globe, érodent la biodiversité à un rythme sans précédent depuis la dernière des cinq grandes extinctions (il y a 65 millions d’années). Les essais nucléaires atmosphériques ont dispersé tout autour du globe des éléments radioactifs que l’on retrouve dans les sédiments, les tourbes, les sables, et jusque dans les sédiments marins. Le milieu du xxe siècle a marqué le début de la « grande accélération » : de la démographie, de la consommation d’eau et d’énergie, de l’utilisation des intrants agricoles…
C’est pourquoi le président ne peut pas rester simplement un président « pour la France ». Un président de la République digne de ce nom ne s’exprime pas par slogans du type Bush, tels que « le niveau de vie des Américains n’est pas négociable ». Un président écolo aura montré au cours de sa campagne présidentielle que la nature ne négocie pas, nous devons nous adapter à ses contraintes et à ses limites. Ce n’est pas à Nicolas Hulot d’être l’envoyé spécial de François Hollande pour la protection de la planète. C’est bien le président de la République lui-même qui devrait devenir cet envoyé spécial puisqu’il est à même de parler directement d’égal à égal avec tous les autres grands dirigeants des différents États. Ce n’est pas au niveau d’un ministre comme Laurent Fabius ou Ségolène Royal qu’aurait dû échoir le déroulement de la COP21, cela doit se jouer au niveau international, transnational. Cette responsabilité aurait dû être du ressort du chef de l’État en tant que garant de la stabilité de la planète, au côté d’Obama, Poutine, Xi Jinping, etc. C’est pourquoi le président ne peut pas rester simplement un président « pour la France ». Tant que chaque État raisonnera seulement à l’aune de ses intérêts nationaux sans considération du contexte global, alors il n’y aura pas d’issue heureuse.
1. Jacques Testart, L’humanité au pouvoir – Comment les citoyens peuvent décider du bien commun ?; Paris, Seuil, 2015.
2. Voir à ce propos : Frédéric Durand, La décroissance, rejets ou projets ?, Paris, Ellipses, 2008.
Michel Sourrouille propose (je cite) deux propositions pour donner une orientation résolument écologiste au quinquennat 2027-2031 :
1) La réforme institutionnelle (dont la suppression du Sénat, les conférences de citoyens, la proportionnelle intégrale…)
2) Un engagement présidentiel pour la planète .
Regardons de près le programme de Mélenchon, et puis comparons.
Mélenchon souhaite un changement de Constitution, passer à une 6ème république, pour abolir la monarchie présidentielle, et donner plus de pouvoir aux citoyens, plus de proportionnelle pour donner plus de pouvoir au députés (Parlement), supprimer le Sénat, etc. etc.
Sur ce premier point (réforme institutionnelle), j’aimerais donc comprendre ce qui ne va pas dans ce programme. Hors-mis la couleur de la cravate du type ou du messager qui le porte.
Quant à ce point 2) je ne vois pas bien ce que tout ça veut dire. D’après ce que je comprends… un «président responsable» doit avoir une envergure internationale. Et pour cela il devrait parler comme Nicolas Hulot. J’en déduis donc que l’«engagement présidentiel pour la planète» se traduit par de belles paroles, énoncées à l’occasion, aux plus hauts niveaux internationaux, dans le genre :
– « Notre maison brûle [et patati et patata] » (Chichi le 2 septembre 2002)
– « L’Océan a été le berceau de la vie sur terre. Il en constitue toujours aujourd’hui une clé de voûte indispensable, à la croisée des grands équilibres qui nous assurent une planète vivable. C’est pourquoi j’ai souhaité y consacrer cette édition spéciale du One Planet Summit, afin d’embrasser l’Océan dans toute son ampleur. [et blablabla]. » (Manu le 9 février 2022)
– « Les élections de 2017 en France nous donnent le pouvoir de changer l’histoire de notre pays. Mais aussi celle du monde où il prend sa place. prenons nos responsabilités. Qu’ils le veuillent ou non, tous les êtres humains sont confrontés aux mêmes urgences : le changement climatique, la destruction de l’écosystème, la contagion de la misère [….] Nous sommes tous impliqués. Ferons-nous nos choix sous l’emprise de la peur et du chacun pour soi ? Ou bien opterons-nous raisonnablement pour l’intérêt général commun ? [etc. etc.] »
Même s’il aurait pu les très bien les écrire, ces mots ne sont pas de Michel Sourrouille. C’est là un extrait de la présentation du programme « L’avenir en commun » (décembre 2016-éditions du Seuil). Tout le monde se souvient des résultats de 2017.
– « Face aux grands bouleversements du monde, nous ne pouvons plus attendre. Il faut transformer en profondeur la société et construire l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature.
Nous sommes prêts à gouverner pour concrétiser la devise de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité ». L’Union populaire nous donne une force irrésistible. J’ai confiance : en 2027 votre vie aura changé, pour le meilleur. Un autre monde est possible.»
C’est là un extrait du programme 2022, en version courte.
Ce programme, c’est pas moins de 693 propositions et 50 thématiques !
Quel(le) candidat(e) peut se vanter d’avoir un programme aussi bien ficelé ?
Pour en savoir plus il suffit d’aller sur le site du candidat arrivé 3ème avec 21,95%. Espérons qu’en 2027 les zécolos auront enfin compris ce qu’est le vote utile.
Reprenant les écrits de Michel SOURROUILLE avec son autorisation, notre blog biosphere présentera pendant quelques jours des textes préparatoires à la présidentielle 2027. En effet les résultats de l’épisode 2022 montrent que cinquante ans après la publication du rapport Meadows sur les limites à la croissance, en 1972, l’écologie politique stagne électoralement. La simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance économique est restée minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes
Or le dernier rapport du GIEC est plus alarmant que jamais, une guerre en Ukraine fait craindre pour la sûreté des centrales nucléaires, la hausse des prix de l’énergie préfigure un choc pétrolier et gazier…