Il y a le tri postal et le tri médical, les gares de triage et le tri des élèves, nous sommes dans une société du surnombre démographique et nous sommes obligés de faire des choix. Notez que nous ne sommes plus que des numéros, numéro de carte vitale associé à un numéro d’arrivée dans toutes les attentes aux urgences. Avec le Covid-19, le tri médical est une réalité que le médecin qui s’y trouve contraint doit assumer.
C’est ce que pense Mathieu Acquier* : « Le porte-parole du gouvernement a déclaré le 31 mars 2021: « Le tri des patients n’est pas une option. » Le 13 mars 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) recommandait « que l’exigence de justice, au sens d’égalitarisme, soit pondérée par la nécessité de priorisation des ressources ». Le tri médical en est sa mise en application. Les exemples de priorisation sont nombreux en ce moment accès en réanimation ou à la vaccination. Selon la CCNE, le principe égalitariste du « premier arrivé premier servi » n’est pas acceptable. La priorisation contextuelle a pour objectif de favoriser ceux qui bénéficieront le plus d’une ressource rare. Le tri procède d’un choix complexe qui se doit d’être assumé par le médecin qui y est contraint par les circonstances. Les intérêts du patient sont mis en regard de ceux de la communauté. Une discussion collective sur la question est nécessaire pour que les processus de tri soient perçus comme suffisamment justes pour être acceptés sans soupçon ».
Le tri des patients à l’hôpital, le tri des élèves devant les écoles, le tri des humains face aux ressources alimentaires restent le quotidien des pays sous développés. Les pays riches ont bénéficié de la manne des énergies fossiles pour croître à en perdre la raison. Depuis 20 ans les dépenses publiques hospitalières croissent deux fois plus vite que la population et que le PIB, mais cela ne suffisait pas, la preuve aujourd’hui. Du point de vue écologique, nous sommes arrivés à l’extrême possibilité des ressources de la planète pour satisfaire des besoins humains qui se veulent illimités, conserver la vie à tout prix, prendre des vacances de l’autre côté de la planète, rouler en SUV, procurer à tous le dernier gadget à la mode. Puisse cette période de pandémie nous rappeler que tout n’est pas possible et qu’il faut faire des choix, réduire notre nombre et nos envies, revenir à l’essentiel de ce qu’il nous faut pour concilier notre survie personnelle et l’intérêt collectif. Sans oublier que la sobriété doit être partagée, que ce soit en matière de soins médicaux ou de répartition des richesses financières.
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :
10 décembre 2020, Priorisation, tri médical, des gros mots ?
11 mars 2020, Covid-19, nécessité d’un triage médical
* Mathieu Acquier (Médecin au service de médecine intensive et réanimation au CHU de Bordeaux)
André Comte-Sponville : « Il faudrait relativiser. Il y a eu 100 000 morts du Covid-19 en France en quatorze mois. Dans la même période, 700 000 personnes sont décédées d’autre chose. En outre, 150 000 personnes meurent du cancer chaque année, il y a 225 000 nouveaux cas de malades d’Alzheimer par an. J’ai du mal à me dire qu’une maladie dont le taux de létalité est de 0,5 % et l’âge moyen des décès à 81 ans soit une catastrophe sans précédent.
Je suis surtout effaré que l’on sacrifie en partie l’avenir de nos enfants pour la santé de leurs grands-parents. Pour moi, il s’agit d’une inversion de la solidarité intergénérationnelle. Ceux qui ont le plus à se plaindre de la pandémie, ce ne sont pas les gens de ma génération, ce sont les jeunes. Un pays dont la priorité des priorités serait le sort de ses octogénaires, est-ce cela qu’on veut pour nos enfants ? Je trouve cela tout à fait effrayant. »
André Comte-Sponville : « Ma fille est morte à six semaines d’une méningite foudroyante. J’ai récemment choqué à propos de la pandémie en disant « toutes les morts ne se valent pas ». Evidemment tous les êtres humains sont égaux en droit et en dignité, mais il est plus triste de mourir à 20 ans qu’à 81 ans, ce qui est l’âge moyen des victimes du Covid-19. Ceux que ça choque n’ont pas perdu d’enfant. Ceux qui ont perdu des enfants savent que ce n’est pas du tout la même chose de perdre son enfant ou son grand-père. »
Ella : Ainsi, on pourrait dire que perdre un enfant de douze ans est bien pire que perdre un enfant de six semaines ! Effectivement perdre un enfant est une épreuve pour les parents, mais perdre un parent est souvent la chose la plus cruelle qui puisse arriver à un enfant. Le sentiment face à la mort est relatif à la personne, il n’y a pas de règle.
Propos de Pierre Valette, tirés de l’article «Quand trier, c’est penser» publié le 09 mai 2020 sur philomag.com
– « On a eu un effet de loupe sur un phénomène qui peut ressembler à du tri mais qui relève plus généralement de la pertinence des soins. Même s’il y a eu des situations très difficiles, par exemple dans la région Grand Est et à Mulhouse, parler de guerre est abusif, car la crise épidémique est une situation exceptionnelle mais à cinétique relativement lente. Il ne s’agit pas d’un attentat terroriste avec des dizaines de personnes à sauver dans l’instant, ni d’une catastrophe technologique ou naturelle. […] Il n’y a pas eu, comme cela peut arriver sur un terrain de guerre, de tri binaire entre ceux qui vont survivre et ceux qui vont mourir, plutôt des arbitrages. […] Ce n’est jamais l’éthique qui s’adapte à la médecine, mais toujours les techniques médicales qui s’adaptent pour rester éthiques. »
Pierre Valette est responsable du Samu du Pas-de-Calais, auteur d’une thèse de philosophie sur le tri médical et de l’essai «Éthique de l’urgence, urgence de l’éthique». Ce médecin appelle ici à la prudence.
Non, nous ne sommes pas en guerre ! Et non il n’est pas question ici d’un «tri binaire entre ceux qui vont survivre et ceux qui vont mourir». Encore moins d’un «tri médical face à notre surnombre». Tout est lié certes mais ne perdons pas de vue l’essentiel. Pensons à ces mots de Cédric Enjalbert à la fin de son article :
– «S’il est aujourd’hui si important d’éprouver la robustesse des principes éthiques qui y président, c’est que la crise sanitaire renvoie le scandale du tri à un autre : celui de l’organisation économique et politique de la rareté. Car le manque de test, de masques, de sur-blouses et de personnel a mis l’ensemble des membres de l’hôpital public dans une posture sinon héroïque, du moins dangereuse. »
N’allons pas sur ce sujet nous fourvoyer avec le (sur)nombre, et/ou le niveau de développement du pays. Bien sûr que les ressource sont limitées et que par conséquent il faut faire des choix, des tris. Les personnels soignants n’ont pas attendu le Covid pour être confrontés au «tri médical». Seulement on n’en parlait pas. Faut croire qu’on découvre la lune.
– « l’idée que la santé n’a “pas de prix” est fausse : les ressources sont limitées. De la priorisation, de l’allocation de ressources rares, on en fait tout le temps dans les hôpitaux, sauf qu’habituellement ce n’est pas su, ces choix relevant de politiques de santé publique et d’arbitrages budgétaires peu discutés. Avec l’épidémie […] Le rationnement est devenu une question de vie ou de mort, et ce passage à la puissance tragique du tri dans le débat public, nous n’y étions pas préparés. Sa soudaine visibilité a suscité un effet de sidération et d’horreur morale, comme s’il s’agissait d’un point de rupture civilisationnelle. Mais “trier” ne consiste pas à décider qui doit vivre ! […] » (Frédérique Leichter-Flack, autrice de Qui vivra qui mourra. Quand on ne peut pas sauver tout le monde)
Source : « Quand trier, c’est penser ». Par Cédric Enjalbert publié le 09 mai 2020 sur philomag.com
Trier c’est choisir. Quand en janvier 2018 Pfizer annonçait «mettre fin à ses recherches coûteuses et vaines sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson », quand «Sanofi met fin à ses recherches dans le diabète et vise une marge de 30% d’ici à 2022″ (investir.lesechos.fr 10/12/19)… il s’agit là aussi d’un choix.
On choisit donc la rentabilité financière, l’intérêt des actionnaires, au détriment de l’intérêt des malades, ainsi que de la connaissance de ces maladies jugées non rentables. Il y a quelques années Sanofi était une référence en matière de recherche sur les vaccins, aujourd’hui ce laboratoire est à la ramasse. Et il n’y a pas que dans ce domaine que nous voyons les conséquences du Business as usual.
Faut savoir ce qu’on veut et redéfinir «l’essentiel ». Que la France soit championne de ceci ou de cela, que Pesquet soit le commandant de bord de la station spatiale internationale… personnellement je n’en ai rien à foot !