Le terme « réalo » vient d’une controverse qui a agité les Grünen allemands à la fin des années 1980 où les Realos (réalistes), partisans d’une alliance électorale avec les sociaux-démocrates, s’opposaient aux « Fundis » (fondamentalistes) qui ne souhaitaient pas de compromissions avec le SPD (centre gauche). Les Verts allemands se définissent aujourd’hui comme écologistes à part entière, ce qui rend possible la négociation avec tous les partis démocratiques. Les Verts français ont choisi le contraire et EELV perpétue cet héritage. En 1986, Antoine Waechter fixait ainsi la ligne politique des Verts : « l’écologie politique n’est pas à marier. » Le ni-ni (ni droite, ni gauche) domine, les Verts considèrent que l’écologie est un nouveau courant de pensée politique différent des partis productivistes. Mais lors de l’Assemblée générale des Verts à Lille en 1994, l’alliance à gauche de l’écologie politique est devenue la norme. Du point de vue des écologistes, tout cela n’est que cuisine électorale et petites tactiques d’alliance à géométrie variable. Le véritable débat qui traverse l’écologie oppose fondamentalement les tenants d’une transition écologique sans douleur et les partisans d’une écologie de rupture avec le système croissanciste.
François de Rugy est un exemple parfait de l’écolo anti-écolo. Membre éminent des Verts, il est devenu ministre macrorniste. Son parcours montre qu’à force de faire du pragmatisme, l’écologie politique devient une course aux postes en laissant ses convictions au vestiaire. En 2015, François de Rugy écrivait : Ecologie ou gauchisme, il faut choisir ! Le choix des adjectifs accolé par François de Rugy au mot écologie tout au cours de son livre est significatif : elle devrait être réformiste, républicaine, positive, responsable, libérale et humaniste. Rien de bien révolutionnaire en somme. Il en arrivait même à écrire :
« Ce sont les initiatives privées, la liberté d’entreprendre, la créativité et l’innovation qui construisent une économie. Notre raison d’être est de démontrer que l’intérêt de tous les acteurs économiques, entreprises au premier rang, est de saisir les opportunités de développement liées à la lutte pour l’environnement… Il existe de bonnes initiatives dans le secteur agroalimentaire. Il ne s’agit pas de se demander comment rebâtir un modèle agricole idéal… La promesse consistant à changer le mode de production et de consommation pour sortir de la crise relève du prêchi-prêcha vert… On entend certains prôner le « small is beautiful », il ne faut pas élaborer de principes à ce sujet. Il y a de grandes entreprises qui consacrent beaucoup de leur activité à la recherche et à l’innovation… Il ne faut pas condamner Total. Il vaut souvent mieux être salarié d’un grand groupe que d’une petite entreprise… Il ne faut pas entretenir des querelles sans fin sur les aéroports alors que l’objectif, à savoir l’accessibilité internationale du territoire, n’est jamais atteint… »
Du point de vue des écologistes, l’état pitoyables de nos dernières ressources et l’amoncellement de nos déchets toxiques posent des problèmes que le « pragmatisme » actuel de nos dirigeants n’arrive pas à résoudre. Le manque de réalisme ne se trouve pas dans l’idée de rupture, il règne parmi les partisans de la croissance quel qu’en soit le coût . La société thermo-industrielle est devenue obèse, l’avenir des générations future est fortement compromis. Toutes les études scientifiques montrent en effet que nous avons dépassé toutes les limites bio-physiques, ne pas modifier drastiquement notre trajectoire nous mène donc droit dans le mur. C’est ce que nous essayons de montrer constamment sur ce blog biosphere, extraits :
19 mai 2015, Une écologie de rupture contre la société croissanciste
… L’idée-clé de l’écologie politique, c’est la conscience aiguë que nous avons déjà dépassé les limites de la biosphère. Il faudra donc faire des efforts dans tous les domaines. Il ne s’agit pas d’écologie punitive, mais de soutenir une écologie de rupture. A ceux qui lui demandaient comment sortir de la crise, l’écologiste Teddy Goldsmith répondait en souriant : « Faire l’exact contraire de ce que nous faisons aujourd’hui, et ce en tous les domaines. »…
25 juillet 2016, pour une écologie de rupture avec le système
… Notre civilisation a établi une séparation originelle et essentielle entre l’homme et la nature. Ce paradigme a contribué à légitimer tous les abus dénoncés par les écologistes : épuisement des sous-sols, destruction de la biodiversité, marchandisation d’une nature soumise à la spéculation et au profit… Face à l’anthropocentrisme structurel de toutes les forces politiques, la remise en question de cette externalisation de la nature est un donné majeur de l’écologie…
19 avril 2020, post-covid, pour une écologie de rupture
… On annonce officiellement des milliards et des milliards pour sauver les entreprises, « quoi qu’il en coûte » . Autant dire sauver le système : celui qui détruit les écosystèmes, bousille notre climat, détruit la vie sur terre, fait exploser les maladies chroniques, et mène l’humanité au désastre. A moins qu’après la pandémie, une rupture écologique s’amorce ! On ne peut que constater : les militants de la décroissance l’ont rêvé, le coronavirus l’a fait. L’activité productive est à l’arrêt, le krach boursier est arrivé, les perspectives de croissance sont en berne, les déplacements sont réduits au strict minimum, les voyages par avion sont supprimés, les enfants restent en famille chez eux, le foot-spectacle se joue à huis clos et la plupart des gouvernances sont remises en question. Les politiques commencent alors à réfléchir aux fondamentaux…
L’écologisme est d’abord une idéologie (système d’idées). Pour peu qu’elle soit structurée une idéologie devient une doctrine. Qui risque alors de basculer en dogmatisme, si ce n’est en religion. Qui se caractérise alors par le sacré et le profane, ses textes fondateurs et sacrés, ses saints, ses idoles, ses martyrs… ses dogmes (la Vérité), ses dogmatiques et ses extrémistes (fondamentalistes)… ses schismes (ruptures), ses sceptiques, ses gnostiques, agnostiques, hérétiques etc.
Pour moi tout ce «joli» monde se complète. Les «fondamentalistes» permettent (ou devraient permettre) aux «réalistes» («pragmatiques» de ne pas perdre le Nord. Et de leur côté les «réalistes» permettent (ou devraient permettre) aux «fondamentalistes» de garder les pieds sur terre.