Voici quelques extraits de la pensée de Nicolas Hulot :
En 2005, j’écrivais que cela n’a jamais fait partie de mes fantasmes d’endosser l’habit ministériel. D’autant plus que ça aurait été un véritable sacrifice par rapport à mon mode de vie. Ma force, elle était à l’extérieur, parce que je pouvais mobiliser l’opinion, parce que je pouvais éventuellement dialoguer avec les politiques et les mettre face à leurs contradictions. Mais si j’avais eu le moindre espoir que ma présence puisse faire bouger la situation utilement, et non symboliquement, je pouvais donner deux ans de ma vie à mon pays, mettre une veste et faire fi de ma vie privées pour habiter Paris. Mais tant qu’on ne lui donne pas une lisibilité politique et économique réelle, un ministre de l’Environnement est condamné à prendre des coups et à mécontenter les écologistes comme les capitalistes. Les politiques me trouvent très sympathique à l’extérieur, mais si je m’aventurais sur leurs terres, les pitbulls seraient immédiatement lâchés.
Ce qui pouvait être la force de ce ministère, à savoir sa transversalité, est devenu sa plus grande faiblesse. Un sujet est rarement de sa compétence exclusive ; il est souvent du ressort de l’Economie, des Finances, de l’industrie, de l’Agriculture, de la Santé, de la Recherche, des Affaires étrangères, etc. J’avais proposé en 2006 le moyen d’éliminer cette infériorisation systématique. J’écartais la voie, séduisante en apparence, d’un grand ministère de l’écologie qui regrouperait l’environnement, l’aménagement du territoire, l’équipement et les transports. Cette solution risquait de diluer encore davantage l’impératif écologique dans un conglomérat d’intérêts contradictoires. Je voulais que soit créé un nouveau poste au plus haut niveau de l’action gouvernementale, celui de vice-Premier ministre responsable de l’impératif écologique dans l’ensemble des politiques de l’Etat. Autrement dit il superviserait la feuille de route de tout ministère dont l’action relève de l’impératif écologique. L’écologie ayant pour objet, par nature, de préparer l’avenir et d’anticiper les défis, l’ensemble des instruments de prospective de l’Etat serait rattaché à ce vice-Premier ministre : le Centre d’analyse stratégique (ex-commissariat général au Plan), la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires), la MIES (Mission interministérielle de l’effet de serre). Ces trois entités pourraient d’ailleurs être rassemblées au lieu de fonctionner en parallèle. Emmanuel Macron avait bien étudié la possibilité de me nommer vice-premier ministre, mais cette option inédite se heurtait au cadre constitutionnel.
Finalement, j’hérite le 17 mai 2017 d’un « ministère de la transition écologique et solidaire » élargi. M. Macron a conscience que l’environnement est un sujet transversal et décisif pour le XXIe siècle, mais il n’a pas toute la connaissance, c’est pourquoi il a fait appel à moi. C’est l’Elysée qui m’a proposé le rang de ministre d’Etat. Numéro 3 du gouvernement, je garde la politique de l’énergie, notamment le nucléaire et sa sécurité, les transports et leurs infrastructures (aviation civile, ferroviaire, routier, fluvial), la météorologie, la politique d’intermodalité, les risques technologiques. En outre Richard Ferrand, ministre de la cohésion des territoires, partagera ses prérogatives sur « la performance énergétique des bâtiments » avec moi. Le décret sur mes attributions précise qu’« il (Nicolas Hulot) est chargé des relations internationales sur le climat », et qu’il mènera cette politique « en concertation avec le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ». Fallait-il m’opposer par avance à des décisions qui ne sont pas encore prises ou agir pour réorienter la politique dans le bon sens ? Ni le président ni le premier ministre Edouard Philippe ne m’ont demandé de renier mes positions ou de renoncer à ma critique des stratégies court-termistes et du modèle productiviste dominant. De mon côté je n’ai pas tenté d’imposer un rapport de force, c’est l’Elysée qui m’a proposé ce rang de ministre d’Etat. La pédagogie que j’ai longtemps déployée dans la société civile, je vais la déployer à l’intérieur du gouvernement… Est-ce que j’arrive dans un milieu sensible à l’écologie ? Il y a un premier ministre ancien lobbyiste d’Areva qui a voté contre toutes les lois environnementales du dernier quinquennat, un ministre de l’économie qui souhaitait supprimer le principe de précaution de la Constitution pour relancer la croissance, un ministre de l’agriculture qui n’a pas voté l’interdiction des pesticides « tueurs d’abeilles » et un ministre de l’action et des comptes publics qui, à l’automne 2016, justifiait les sorties climatosceptiques de son mentor Nicolas Sarkozy.
Dès ma nomination, j’ai déclaré ma volonté d’inscrire ma tâche de ministre dans le temps long : « Le climat sera l’une des priorités de mon nouveau job, qui j’espère ne sera pas simplement un job d’été… Si l’on doit tout piloter dans l’urgence, ce n’est pas de la politique, c’est de la gestion quotidienne, et l’on n’a pas besoin de moi pour ça ». Je pense avoir été compris. En concluant les travaux de la conférence sur « le pacte mondial pour l’environnement » le samedi 24 juin 2017, Emmanuel Macron a affirmé la nécessité « d’une forte volonté politique relayée par l’ensemble du gouvernement … Nous allons décarboner la production d’énergie, soutenir le prix du carbone, développer la finance verte, mobiliser les financements publics et privés, intégrer le changement climatique dans le commerce international et dans nos modes de production, maintenir les énergies fossiles dans le sous-sol... Tout cela, ce sera la feuille de route que la France annoncera avant la fin du mois de juillet pour sa politique nationale et européenne. » J’ai donc remis cette feuille de route au premier ministre le 15 juin 2017. Je voulais que l’écologie aille au-delà de son ministère et devienne une orientation globale pour l’ensemble du gouvernement. Pas moins de dix priorités, de l’énergie à l’économie circulaire, des océans et la biodiversité jusqu’à l’agriculture, sans oublier la finance verte ou l’innovation sociale et solidaire : « viser la neutralité carbone à l’horizon 2050. » ; « l’interdiction de tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures » ; « planification d’une trajectoire de diminution de la part du nucléaire ambitieuse et pragmatique » ; « atteindre les objectifs internationaux de la Convention sur la diversité biologique (Aichi, 2010) d’ici 2020 » ; « intégrer dans les lois de finances les conséquences des mesures nécessaires à la transition écologique et énergétique » Etc. Notons que les mesures d’interdiction des substances dangereuses (pesticides, perturbateurs endocriniens, nanomatériaux) dépendront de la réglementation européenne.
Être ministre, c’est la médiation permanente, essayer de concilier des enjeux incompatibles. C’est jongler éperdument entre le court terme et le long terme sur des sujets très complexes, trop techniques, trop politiques. Chaque jour c’était un marathon qui n’en finissait pas. Vous passez une épreuve, vous n’avez pas le temps de souffler, il y en en déjà une autre qui se présente aussitôt. Moi qui ait au cœur le sentiment d’urgence écologique, je suis obligé de faire preuve de patience, tenir compte de l’état actuel du droit et des arcanes législatives. La démocratie, c’est une course d’obstacles, des pouvoirs, des contre-pouvoirs, des pouvoirs occultes, des négociations dans les couloirs. On perd un temps fou, je suis à bout. Désespérant, chaque jour où l’on patine nous rapproche de l’irréversible. C’est chiant du matin au soir d’être ministre, ça n’a d’intérêt que si vous avez le sentiment de faire avancer les choses. C’était mon cri du cœur sur France Inter le 1er décembre 2017. Mais je ne suis plus seul. Le 21 juin 2017 après le second tour des législatives, on m’avait adjoint deux secrétaire d’État, Sébastien Lecornu, plus jeune membre du gouvernement à 31 ans et Brune Poirson. Ce ne sont pas des écologistes, juste des politiques. Manière pour Macron de me contrôler ? Ou de me fournir des moyens humains supplémentaires pour une tâche écrasante ? Sébastien Lecornu militait à l’UMP dès l’âge de 16 ans et en 2005 il était assistant parlementaire. Puis il a enchaîné les postes politiques, en particulier auprès de Bruno Le Maire. Brune Poirson est un symbole de la vague LREM aux législatives. Elue députée du Vaucluse, elle avait aussi débuté sa carrière professionnelle en tant qu’attachée parlementaire et deviendra « chercheuse sur l’innovation sociale et la responsabilité sociale des entreprises ». Elle correspond au niveau « social » de ce ministère à l’écologie « solidaire ». En 2009, elle avait en effet rejoint l’Agence Française de Développement au poste de coordonnatrice de développement à New-Delhi, en Inde, sur un projet de distribution d’eau potable dans les bidonvilles. L’écologie « en marche » va-t-elle dissoudre l’écologique dans le politicien, le social ou l’économique ? La question reste ouverte !
A la veille du premier anniversaire de ma nomination le 16 Mai 2018, je manifeste ma lassitude et veut faire le point cet été. « Ça voulait dire en clair : arrêtez de m’emmerder ! », résume, crûment, l’un de mes proches. Ce qui m’épuise, ce sont les mini-batailles et les réformes minuscules sur lesquelles il faut se battre en interministériel. Je perds quasiment tous mes arbitrages, certains ministres et conseillers ont encore la grille de lecture de l’ancien monde. Et la majorité des problèmes viennent de Bercy. La menace de mon départ a été suffisamment prise au sérieux pour qu’Édouard Philippe demande à me voir en tête-à-tête. D’ici fin juin seront tranchés le plan sur la protection de la biodiversité, celui sur la déforestation et, surtout, le plan pluriannuel qui décidera de la politique énergétique du pays pour les cinq prochaines années, notamment sur le nucléaire. On verra alors ce qu’il en est vraiment des arbitrages. Des noms pour mon remplacement circulent déjà, comme celui de Pascal Canfin.
NB : ces extraits ont été publiés dans le livre de Michel Sourrouille paru en octobre 2018, « Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir ». Mieux vaut rendre la pensée de Nicolas Hulot publique, la libre circulation des idées écolos contribue à la formation de notre intelligence collective… Chaque jour vous aurez un nouvel extrait sur ce blog biosphere jusqu’à parution intégrale d’un livre qui a été écrit en prévision de la démission de Nicolas de son poste de ministre de l’écologie. On ne pouvait avoir durablement un ministre voué à l’urgence écologique dans un gouvernement qui en restait au business as usual…
Convaincu que ce n’est pas ça qui le faisait rêver, je me suis toujours demandé ce qu’il lui est passé dans la tête le jour où il a accepté ce poste. Je crois finalement que notre brave Nicolas a eu besoin d’y aller, juste pour se convaincre que ce n’était pas pour lui. Certains ont besoin de se foutre un méchant coup de marteau sur les doigts pour mesurer à quel point ça fait mal.