Pour se remonter le moral, il est essentiel de garder toujours à l’esprit cette parole de Gandhi :
« Ce que tu fais est dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses ».
L’écologie est une approche globale de la réalité, transdisciplinaire, faisant appel aussi bien aux connaissances biologique et chimiques qu’à l’économie, la sociologie, l’ethnologie, la politique, l’histoire, la géographie, etc. Or l’organisation des temps scolaires, avec le modèle « un cours, une matière, un professeur, une classe », laisse peu de place aux croisements de disciplines. Il faudrait s’affranchir du modèle « boîtes à œuf » : une heure, une classe. Comment ?
Lire, Scolarité, l’éducation à l’écologie absente
Anne-Françoise Gibert : L’histoire des textes officiels en dit long sur la difficulté de l’école à enseigner la transition écologique. Apparue en France en 1977, l’éducation à l’environnement y a été reprise sous l’intitulé plus euphémisé d’« éducation au développement durable », qui intègre l’économique et le social. Après une succession de circulaires en 2004, 2007, 2011, 2013 et 2015, la nouvelle phase de généralisation de l’éducation au développement durable a été qualifiée à la rentrée 2019 de « transition écologique ». L’interdisciplinarité pour aborder la question de l’environnement est une modalité constante de ces sept textes. Or, le caractère interdisciplinaire rend compliquée leur mise en œuvre . Les sciences de la vie et de la Terre puis la géographie seront d’abord sollicitées (2004, 2007) avant que toutes les disciplines ne soient convoquées… Sauf que l’école française a une particularité : elle s’inscrit dans une conception de l’enseignement du « vrai », développée par les philosophes des Lumières, donc « de la recherche d’une objectivité scientifique » (selon les termes de la circulaire de 2007), en matière d’environnement comme dans les autres thèmes abordés en cours. Autant dire que cette vision des savoirs scolaires s’accommode difficilement de l’enseignement des questions socialement vives, auxquelles appartient tout un pan de la réflexion sur l’environnement. L’enseignement agricole est confronté à des questions qui engagent scientifiques, usagers, experts et citoyens – comme les OGM, les pesticides, le bien-être animal. En témoigne la réforme de 2014 « Enseigner à produire autrement » qui promeut l’approche agroécologique. Ne pouvant être abordés dans le cadre d’une seule discipline, les « éducation à l’écologie » se déploient avec des acteurs divers de l’environnement. Que reste-t-il donc des ambitions affichées lors de la conférence de Belgrade de 1975 qui appelait à remettre en question, au sein de l’éducation, les politiques de maximisation de la production économique pour prendre en compte leurs conséquences sociétales et environnementales ? Deux chercheurs en éducation ont détecté dans les textes internationaux un affadissement du langage public sur cette question au fil du temps, Ils soulignent qu’au niveau international les textes officiels tendent à privilégier la responsabilité individuelle au détriment d’une conception plus large qui intégrerait les dimensions critiques, éthiques et politiques.
Lire, Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme
Francine Pellaud (2011) : C’est en 1980, dans une publication très intimiste de l’UICN, qu’apparaissent pour la première fois les termes développement durable avec un document titré « la conservation des ressources vivantes au service du développement durable ». La définition du rapport Brundtland de 1987 précise : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations future de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion. Le concept de besoins, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » On ne se pose pas la question de ce que recouvre un besoin essentiel. Le développement ne doit plus apparaître comme une croissance sans fin, mais comme une étape menant à l’âge adulte, passage qui obligatoirement cesse pour décroître si l’on étend la métaphore à la vieillesse. Mieux vaut remplacer « développement » par le terme « épanouissement ». Ainsi détachée de cette vision du toujours plus, nous avons pu envisager la durabilité dans une optique de « toujours mieux ». Subrepticement, nous nous approchons du terme de « décroissance ». La prise de conscience de la finitude de la planète appelle à l’arrêt de la croissance, voire à un retour en arrière en ce qui concerne nos besoins en matières premières et en énergie.
Éducation à l’écologie, éducation à la complexité
La particularité intrinsèque du développement durable vient principalement du fait que les trois domaines que sont l’économie, l’écologie et le développement social, déjà complexe en eux-mêmes, doivent être appréhendés dans une perpétuelle interaction. Une approche globale, systémique, est indispensable. Dans une société où les règles de pensée sont extrêmement binaires (le monde est divisé en bons et méchants, entre pays riches et pays pauvres, etc.), la complexité n’est pas évidente à admettre. L’idée de complexité s’accompagne de la prise de conscience des interactions, des interdépendances, des systèmes ouverts et dynamiques. Même le système économique, qui pendant de nombreuses décennies a fonctionné de manière quasi autonome, doit être pensé en interaction. La gestion des paradoxes et l’idée d’hybridation qui s’en dégage n’est pas confortable. Un grand nombre de militants critiquent le fait qu’Al Gore se montre dans son film se déplaçant avec voiture et avion, tout en nous incitant à opter pour des choix plus écologiques. Comment imaginer une campagne médiatique d’une telle envergure sans moyen de transport rapide permettant à Al Gore de parcourir les continents ? D’autre part, aurions-nous cru à l’image d’un Al Gore ne se déplaçant qu’à cheval et en train ? Si nous refusons les paradoxes des autres, force est de constater que nous fonctionnons sans cesse avec eux dans notre cas personnel.
L’éducation par discipline, une impasse pédagogique
Quelles sont les matières que nous avons apprises à l’école et qui nous servent aujourd’hui pour vivre au quotidien, comprendre le monde dans lequel nous vivons et y participer de manière active et responsable à travers nos choix de vie ? Si j’effectue une introspection personnelle, je risque fort de me retrouver à chanter avec Jean-Pierre Ferland « mais de mes années d’école, je n’ai rien gardé, ce n’étaient que parole pour gâcher l’été ». Il serait temps de remettre en question nos contenus d’enseignement, offrir une école différente qui cesse de se focaliser sur des contenus notionnels. Au XVIIIe siècle, celui qu’on dénommait « savant » était autant naturaliste que biologiste, anthropologue ou botaniste, tout en baignant dans des compétences générales. Il bénéficiait donc d’une vision globale. Néanmoins, son imprégnation culturelle ne lui permettait pas de contextualiser ses approches. Les disciplines, telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui, sont issues d’un découpage artificiel, conséquence de l’explosion des connaissances. Le fonctionnement disciplinaire de l’école est un résidu encore tenace de la fragmentation cartésienne. L’affaiblissement de la perception du global conduit à l’affaiblissement de la responsabilité, chacun tendant à n’être responsable que de sa tâche spécialisée. D’une manière pragmatique, comprendre l’écologie signifie qu’il faut permettre aux élèves de sortir des cadres habituels de la pensée. Cadres disciplinaires, certes, mais également cadres paradigmatique culturels et sociaux, permettant un regard décentré. Né dans un monde séquence, découpé, le développement durable a été inventé pour nous rappeler que rien ni personne ne peut survivre en vase clos. Cette capacité à sortir des cadres ne peut se forger qu’en prenant du recul. Nous touchons là un point crucial, l’importance du développement d’un esprit critique pour dépasser la soumission à la vulgate libérale et permettre à l’individu d’aller de la simple obéissance à la responsabilité.
L’invention de l’éducation à l’environnement
Ce n’est qu’en 1974 que l’Unesco, en liaison avec le PNUE – Programme des Nations unies pour l’environnement) tente d’impulser une éducation relative à l’environnement. Depuis 2002, les Nations unies appellent à une décennie pour l’éducation en vue du développement durable. En avril 2003, une stratégie d’action est proposée au ministre français de l’Education : « L’éducation relative à l’environnement et au DD ». On peut lire que l’EEDD devrait être généralisée, ce qui implique une redéfinition des contenus scolaires ; être transversale et interdisciplinaire ; s’étendre du primaire à l’enseignement secondaire. Avant d’être un spécialiste d’une discipline particulière, l’enseignant doit être capable de visualiser les liens et de mettre le doigt sur les nœuds importants. Peu importe sil connaît ou non le sujet. L’important ne se situe pas dans la maîtrise des savoirs, mais dans celle de leur recherche. Dans le cas du développement durable, les changements auxquels nous sommes confrontés n’ont que faire de la mémorisation. Apprendre devient avant tout une affaire de liens, de mises en relation, de prise de recul, et de remises en question de valeurs et d’habitudes de pensée. Pour survivre dans l’école actuelle, l’envie d’apprendre n’est pas nécessaire, l’envie d’avoir le moins d’ennuis possible suffit. Avec le développement durable, il est important que les élèves éprouvent l’envie – moteur de la motivation – de protéger la nature, la biodiversité, etc. mais également le désir d’éviter les conflits, les injustices, la famine, le chômage, etc. Autant d’éléments qui ne peuvent s’appréhender uniquement en classes ou par les livres. Sortir, apprendre à regarder, à apprécier un arbre, ressentir une compassion sur la misère du monde, autant de portes pour éprouver de l’empathie afin de ne pas être un spectateur passif.
La nécessaire critique du libéralisme
La recherche de la promotion individuelle et du profit personnel que notre société néo-libérale continue d’encourager et qui se traduit, à l’école, par une sélection faite sur la base d’évaluations sommatives, n’est pas compatible avec le principe de solidarité et d’équité qui sous-tend le développement durable. Sous l’influence d’un libéralisme économique à outrance prônant l’accession aux biens matériels pour tous comme preuve d’égalité et le choix individuel comme symbole de la liberté, la pensée est détournée. En donnant à l’individu l’illusion de la liberté, le libre arbitre lui enlève celle qui réside dans la volonté. L’idée de liberté est nuisible si elle ne s’accompagne pas d’une conscience des enjeux futurs et des devoirs qui s’attachent au sentiment d’appartenance à une communauté. La responsabilité citoyenne n’est pas toujours compatible avec la notion de « libre arbitre » que véhicule l’idée de liberté associée aux valeurs vénales. Nous pouvons viser une clarification bénéfique qui offre aux étudiants la possibilité d’identifier les multiples influences qui conditionnent leur vie et leur permettre ainsi de se positionner face à elles. Cette approche peut également permettre à l’école de s’interroger sur la manière dont elle « fabrique » l’individu. Si la manipulation politique est fréquemment récriée de manière exacerbée par les étudiants, celle, beaucoup plus efficace et bien plus pernicieuses et perverse de la publicité, n’est relevée que par quelques individus qui s’affichent eux-mêmes, par quelques attributs vestimentaires ou autre, hors norme. Les publicités ne nous aident pas à atteindre la vraie liberté. Elles suggèrent l’image d’un bonheur conditionné, dépendant de conditions matérielles. Elles privilégient le besoin, accroissent le désir, mais se gardent bien de donner le moyen de le combler. S’il existe bien une ennemie publique n° 1 pour le développement durable, c’est la publicité. Gratuite pour le regard, elle coûte son pesant d’or en conséquences sociales, économiques et écologiques.
Changer notre regard
Les paradigmes constituent les fondements sociaux de la pensée qui caractérisent un groupe humain. Ils interviennent de manière forte dans nos jugements de valeur et l’établissement de nos vérités. Ce n’est que le « choc » des cultures qui permet de les mettre au jour. Pour parvenir à changer de paradigmes, il est nécessaire d’avoir connaissance de l’existence de la différence et de l’accepter en tant que telle. Il est donc nécessaire d’accepter de « changer de lunettes » pour parvenir à percevoir la réalité sous un angle différent du nôtre. L’avènement du concept de développement durable repose sur la question du rapport de l’Homme avec la Nature. Or celui-ci est régi par des paradigmes différents d’une culture à l’autre, et qui ont évolué au cours des siècles. Jusqu’en 1872 en Occident, l’homme vivait en harmonie avec la nature : le rythme de l’exploitation ne dépassait pas celui nécessaire à la régénération des matières premières. Mais l’organisation sociale aujourd’hui n’est plus pensée de manière globale. L’artisan, capable de produire seul un objet fini, fait place à un ouvrier. Chaque individu ne produit plus qu’une pièce, un élément de l’ensemble. La supériorité technologique éloigne de la nature, donnant un sentiment de toute puissance qui se traduit par le fait qu’on extrait les matières premières du sous-sol sans se préoccuper à long terme de leur caractère tarissable. Or la Terre est un espace fini, donc limité. Dès lors, nous ne pouvons continuer à l’exploiter sans prendre en compte cet état de fait. La (re)connaissance de ces limites, c’est aussi le début de la responsabilité. Ce sont les contraintes qui libèrent. Respecter l’autre, c’est aussi respecter les limites. Si le développement durable ne connaît pas de limites disciplinaires ou du moins s’il les transcende, il concerne un espace confiné. Si la nature peut vivre sans l’homme, celui-ci ne peut se passer d’elle. Il ne s’agit plus de réguler la nature, mais bien de contrôler les activités humaines. La transparence croissante de la société renforce l’exigence d’équité dans la répartition des efforts. En clair : « Je fais si tu fais, si nous faisons tous. » Le principe de responsabilité fait que le développement durable dépend d’une société qui produit des individus qui, eux-mêmes, produisent cette société, etc. Et comme disait Gandhi, « ce que tu fais est dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses ».
Pour en savoir plus, lire :
30 mars 2019, L’éducation à l’écologie, déprimante et si nécessaire
extraits :Le temps consacré à l’enseignement en relation avec les deux enjeux vitaux à l’échelle planétaire, l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique, apparaît très insuffisant au collège comme au lycée…
15 avril 2018, SES, l’avenir de l’écologie passera par le baccalauréat
extraits : Le problème de la réforme actuelle du bac n’est pas la suppression des filières L, SES et S**. Le problème de fond, c’est que le tronc commun comporterait les enseignements de français, philosophie, histoire-géographie, enseignement moral et civique, langues vivantes 1 et 2, éducation physique et sportive, humanités scientifiques et numériques. Tout pour les disciplines traditionnelles, rien pour l’écologie alors que cette approche systémique est la seule vraiment transversale, propre à ouvrir nos lycéens à une réflexion approfondie car globale.
1er mars 2016, BIOSPHERE-INFO : spécial « éducation à l’écologie »
extraits : La charte de l’environnement de 2005 a été inclus dans la constitution française. Son article 8 explicite clairement que « L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte. »…
23 mars 2013, L’écologie, axe central de l’éducation scolaire
extraits : Nous sommes tous écolos même si nous n’en avons pas encore conscience. Nous devons en effet apprendre notre dépendance à l’égard des écosystèmes et devenir les sages garants de notre mère Nature. Mais l’école officielle se contente du « lire-écrire-compter » et de l’accumulation des diplômes.
– « J’ai parfois l’impression qu’il ne s’agit plus que d’une camomille mielleuse destinée à nous faire digérer nos excès. Quand j’entends qu’on veut installer un circuit de Formule 1 durable à proximité de Paris, j’ai un peu la nausée. » ( Nicolas Hulot )
Citation issue de la préface du livre de Francine Pellaud de 2011 (Pour une éducation au développement durable) dont Biosphère nous a fait le résumé (en lien).
Nicolas Hulot déplorait donc l’abus qui est fait du terme «développement durable». J’aime bien cette image, «une camomille mielleuse destinée à nous faire digérer nos excès».
Partant de là l’enseignement de cette «écologie» là, à l’école, ne peut donc être lui aussi qu’une sorte de tisane, ou de tambouille, dont la vertu, si on peut dire ça comme ça, est déjà de se donner un semblant de propreté, de verdure, de fraîcheur etc. Exactement comme avec les «chartes écologiques» et autres «chartes éthiques».
Faut déjà comprendre que l’image de soi c’est très important, que ça fait partie de nos besoins, eh oui. Comment pourriez-vous donner une belle image de vous si vous vous trouvez moche ? Et qu’en plus vous sentez pas bon.
D’autre part cet enseignement, ou plutôt ce conditionnement, vise à rassurer les bambins. Une tisane apaisante donc. Et surtout pas laxative, si j’ose dire.
Comment voulez-vous en faire de bons «éco-citoyens» et de formidables «éco-cons-sots-mateurs», si vous leur racontez que c’est foutu, qu’on va tous crever, et qu’en attendant on va en chier grave etc. etc. ?
On l’a déjà dit, l’enseignement de l’écologie à l’école n’est qu’une farce. Une farce, du vent, du pipeau, de l’hypocrisie, tout ce que vous voudrez. Comme le sont ces «chartes écologiques» et autres «chartes éthiques» des entreprises et diverses organisations.
L’enseignement de l’écologie, entendue comme science, ne peut passer que par l’enseignement des bases de la biologie, de la physique et de la chimie. Ce qui fait que l’enseignement de l’écologie est du domaine de l’enseignement supérieur. Mais bien sûr on peut aussi entendre l’écologie dans le sens du souci ou du respect de l’environnement. Mais à ce moment là cet enseignement doit être associé à l’enseignement du RESPECT en général. Ou au sens large. Vaste domaine, qui inclue notamment la Discipline. Qui elle, ne se limite pas au «Tiens-toi droit, écoute ton maître, traverse dans les clous, pense modérément etc.»
En attendant, pour moi le respect de l’environnement ne peut passer que par le respect des Autres. C’est à dire des 8 milliards que nous sommes, des générations futures et même des animaux. Autrefois à l’école on enseignait la MORALE. Les temps changent, aujourd’hui ce mot est devenu un gros mot. Aujourd’hui les leçons de morale sont devenues insupportables. Et pourtant, quand je vois toutes ces baffes qui se perdent. Et puis il y a eu l’éducation ou l’ «instruction civique», et là quand je vois ce qu’est devenu le civisme, misère misère. Finalement l’école n’est pas en difficulté que pour l’enseignement de l’écologie, elle l’est pour TOUT. Pour TOUS les enseignements. Seulement il n’y a pas que l’école, faudrait pas en plus, mettre la décadence sur le dos des enseignants.