D’un point de vue éducatif et démographique, faire en sorte de mettre au monde un enfant non désiré est une atteinte aux droits de l’enfant à vivre dans une famille aimante et attentionnée alors que la planète subit une surpopulation humaine impressionnante : 8 milliards d’être humains à l’heure actuelle, soit 8 000 000 000 personnes à comparer à l’unicité de chaque nouvelle naissance supplémentaire. Un humain est devenu un simple pion, qu’est-ce alors qu’un embryon ? Pourtant les natalistes font encore la loi dans trop de pays, voulant restreindre ou même supprimer le droit à l’avortement.
Piotr Smolar : Un projet de décision de la Cour suprême américaine remettrait en question la décision dite Roe v. Wade (1973), pierre angulaire de la liberté des femmes à disposer de leur corps au nom du droit à la vie privé. Roe v. Wade avait été adopté par sept voix sur neuf, dont cinq juges conservateurs. La loi Roe v. Wade avait été consolidée en 1992, lors d’une nouvelle décision, Planned Parenthood v. Casey. Celle-ci a considéré que les lois pénalisant ou limitant l’avortement ne devaient pas créer ou entraîner pour la femme enceinte une « undue burden » (« charge excessive »). Le document de 98 pages condamne sans réserve ni nuance toute l’architecture juridique qui a contribué à faire de l’avortement un droit constitutionnel. Il accuse même la Cour suprême de 1973 d’avoir « court-circuité le processus démocratique », en empêchant « un grand nombre d’Américains » de se prononcer sur cette question, Etat par Etat. Chaque État américain aurait donc la possibilité d’adopter sa propre loi, y compris en supprimant le droit à l’avortement. Seuls les trois membres dits libéraux – Stephen Breyer, Sonia Sotomayor et Elena Kagan – sont clairement opposés à toute révision de Roe v. Wade. La position de John Roberts, président de la Cour suprême et conservateur modéré demeure inconnue. Même s’il se rangeait à l’opinion dissidente de ses trois collègues, cela ne suffirait pas à renverser l’opinion majoritaire. Le refus de la Cour de suspendre une loi très restrictive au Texas, entrée en vigueur le 1er septembre 2021 et interdisant l’avortement au-delà de six semaines, avait été un indice fort. Ce texte s’aventurait en territoires inédits, faisant appel aux dénonciations en justice de simples citoyens contre tous ceux favorisant la procédure médicale. Pour la Cour suprême, les questions de droit ont fait place, au fil des ans, à des considérations plus religieuses et idéologiques chez ses figures les plus conservatrices.
Deux commentaires montrent que l’idée de démocratie peut être mise à toutes les sauces :
Athanagore Porphyrogenete : Où a-t-on vu que sur un sujet si fondamental, l’opinion devait être unanime ? Où est la liberté dans l’écrasement par la masse. En rendant aux états leur libre choix, le gouvernement central va vers plus de démocratie. C’est l’interdiction fédérale qui pose problème. Les super-états sont utiles pour certains aspects mais leurs prérogatives sur les droits individuels devraient être limitées. La vraie démocratie c’est décider soi-même pour soi-même, et chez soi.
GGAD : « La vraie démocratie c’est décider soi même pour soi-même, et chez soi »… La vraie démocratie consiste donc à rendre l’IVG légale et à laisser chaque femme décider en son âme et conscience ce qui va advenir de son intimité et de sa vie. Selon votre définition elle-même, l’État fédéral, par la décision Roe v. Wade, défend « la vraie démocratie », la liberté de choix, contre les état fédérés et leurs tentatives d’interdire tout choix éclairé (subvention de groupes qui font de la propagande anti-IVG), voire la possibilité même du choix. Soyez cohérent avec vous-même, vous ne pouvez pas soutenir « la liberté de choix » et, au nom de cette liberté, défendre le droit des états fédérés de restreindre les libertés individuelles.
Point de vue des écologistes : La démocratie est un système imparfait qui repose trop souvent sur la loi de la majorité au détriment d’une autre partie du peuple. Ce n’est pas le cas de l’autorisation de l’IVG, interruption volontaire de grossesse. Rappelons que le droit à l’avortement n’est pas une obligation d’avorter, celles qui veulent procréer sans limites le peuvent. Mais les « pro-life » n’acceptent pas cette liberté de choix, ils relèvent d’une conception totalitaire de l’existence, mettant d’ailleurs souvent leurs convictions religieuses au premier plan. C’est anti-démocratique et indigne des membres d’un pays qui se devrait de respecter les idéologies de chacun. Maintenant l’exercice de la démocratie n’est pas un exercice intemporel et hors sol, les délibérations doivent tenir compte des acteurs absents, les générations futures et les non-humains (la biodiverstié). Dans un monde déjà surpeuplé, sauf à vouloir toujours plus de chair à canon ou d’intégristes religieux, nos décisions politiques doivent aller dans le sens de la modération de la fécondité, donc donner plus de facilités pour celles qui envisagent d’avorter.
Complément d’enquête
Aux Etats-Unis, l’Oklahoma approuve un texte restreignant fortement l’accès à l’avortement :
Au Sénégal, les ravages de la croisade anti-IVG :
Si le droit à l’avortement (IVG) n’est pas une obligation d’avorter… comme il est rappelé dans ce Point de vue des écologistes… alors comment faut-il entendre ce titre, que je trouve particulièrement osé, « L’IVG est plus qu’un droit, c’est un devoir » ?
On nous répète, par exemple, que voter est un devoir. Un devoir civique, la démocratie etc. Et c’est ainsi qu’on peut réfléchir à rendre le vote obligatoire. Dans certains pays, dits démocratiques, le vote est obligatoire. Et des sanctions sont prévues. Autre exemple, si vous êtes retenu pour siéger lors d’une session d’assises, vous êtes obligé de le faire. Sauf s’il y a un motif grave qui vous en empêche. Autrement dit, ne pas vouloir ne vous empêche pas.
Sans parler des pressions sociales (morales, modes etc.) qui peuvent fausser ce fameux volontariat (?)… pour moi du devoir à l’obligation il n’y a qu’un pas.
C’est pour ça que je refuse catégoriquement de voir l’IVG comme un devoir.
Pour moi l’ IVG est un droit, un point c’est tout !
Michel C., droit et devoir sont indissociablement liés mais on on les sépare artificiellement, droits de l’Homme et de la femme d’un côté, devoir envers la planète et les générations futures de l’autre, etc. Le doit à l’avortement est récent, auparavant on avait le devoir d’accoucher quelles que soient les circonstances, même après un viol, et cela reste encore légalement une obligation dans maints pays aujourd’hui. Les femmes ont le droit de disposer de son corps dans le monde évolué, ce qui est une bonne chose, mais les femmes en mettant au monde une personne supplémentaire ont aussi une lourde responsabilité, assurer vraiment l’avenir de cet enfant et pas seulement suivre son état d’esprit personnel. C’est en ce sens que l’IVG et certes un droit, mais qui doit s’accompagner de toute une réflexion d’ensemble en terme de devoirs dont le père d’ailleurs ne doit pas à être exclu.
@ Biosphère. Ce devoir d’accoucher quelles que soient les circonstances, même après un viol, va dans le sens de ce que je dis. Un devoir donc, et encore une obligation dans maints pays aujourd’hui. Ce qui, de notre point de vue, n’est pas une bonne chose. Nous sommes donc d’accord.
Droit et devoir sont certes liés, mais ! Ces deux mots traduisent deux concepts (ou idées) différents. Faisons en sorte que la novlangue n’en fasse pas des synonymes. Nos ancêtres pensaient sans doute, et sans forcément y avoir bien réfléchi, qu’ils avaient le DROIT de prélever dans la nature tout ce dont ils avaient besoin, ou envie (gibiers, fruits, bois, silex). Pour eux c’était naturel… Mais pour ce qui est du DEVOIR d’en laisser suffisamment pour les autres, pour les générations futures, pour les équilibres des écosystèmes etc. là j’en doute. Et pour cause, quand il n’y en avait plus il leur suffisait d’aller se servir un peu plus loin.
(Suite) Ce ne sont pas les limites physiques qui imposent les devoirs, mais seulement les pressions sociales (morales, modes etc.) Le devoir est une contrainte, une obligation, qui peut être dictée (imposée) par la Loi ou par sa propre conscience. Et cette conscience est évidemment guidée, voire formatée, par le lieu et l’époque.
Un exemple : En certains endroits (rivières, lacs) la pêche est réglementée en no-kill. Le pêcheur (de truites, de carpes etc.) est alors obligé de remettre les poissons à l’eau, les amendes sont dissuasives. La pêche en no-kill se pratique aussi, et de plus en plus, là où le droit autorise à garder le poisson.
Et c’est comme ça qu’un jour prochain on ne mangera plus que du poisson d’élevage. Si on a toujours le droit de manger du poisson …
Et que je ne pourrais plus me cuisiner une friture de goujons ou une truite de montagne. Non pas parce que ces poissons auront disparus, mais parce que je serais obligé de remettre le peu que j’attrape à l’eau. Si j’ai toujours le droit d’aller à la pêche. Et ceci en vertu de je ne sais quelle mode.
La volonté de la droite américaine de livrer bataille sur le terrain des valeurs, quel qu’en soit le prix pour la cohésion du pays, a été également illustrée par les étapes de la composition de cette majorité de juges investie d’une mission politique supérieure à celle de dire le droit.
Il est encore trop tôt pour embrasser l’ensemble des effets potentiels du projet d’arrêt publié par Politico, mais ils promettent d’être dévastateurs, pour la vie des femmes concernées, pour l’unité du pays comme pour le prestige de sa clef de voûte judiciaire.
éditorial du MONDE (4 mai 2022) : Le projet de revenir totalement sur la légalisation de l’avortement dont l’appréciation redeviendrait du ressort des Etats est une atteinte à la liberté des femmes et portera préjudice aux plus pauvres, aux plus marginalisées. Ces dernières ne pourront pas disposer des ressources financières, juridiques et morales pour contourner la prohibition qui sera rapidement mise en place dans les Etats les plus conservateurs…
Ce projet va surtout creuser plus encore les divisions d’un pays livré à une véritable guerre froide intestine.
Cette décision de la Cour suprême est une bombe à fragmentation. Elle ne concerne pas seulement l’avortement, ou les droits des femmes, ou l’équilibre entre les prérogatives de l’Etat fédéral et ceux des états. Cette décision met en jeu l’identité fracturée de l’Amérique, ses tensions les plus sensibles, le fonctionnement de ses institutions, la question des droits individuels et la place de la religion dans le débat public. Cette question est juridique, mais pas seulement. Elle est intime et collective. Elle est médicale et elle est politique. Elle renvoie chaque citoyen à ses convictions et à sa conscience, et chaque parti à ses priorités.