Comme toutes nos institutions, notre droit n’est pas neutre, il est largement conditionné par une certaine vision du monde. Ainsi de nos rapport à la nature, on fait preuve actuellement d’anthropocentrisme, on pourrait aussi bien un jour faire preuve d’écocentrisme.
Lire, Définir anthropocentrisme, biocentrisme, écocentrisme
Claire Legros : Des fleuves, des montagnes, des forêts se voient progressivement reconnaître comme des personnes juridiques, quand ce n’est pas la nature dans son ensemble – la Pachamama (la Terre Mère) – qui est promue sujet de droit. Cette mutation se heurte toutefois à de fortes oppositions. Si la confrontation semble à ce point radicale, c’est sans doute qu’au-delà de la querelle juridique, les droits de la nature portent en germe une transformation profonde de la pensée, une révolution copernicienne qui bouscule la vision anthropocentrique du monde et ouvre de nouveaux champs de réflexion sur les mutuelles dépendances entre humains et non-humains. C’est aux Etats-Unis que le juriste Christopher Stone élabore, en 1972, la première théorie juridique des droits de la nature, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Les arbres dont il est question sont de vénérables séquoias géants multimillénaires de la Mineral King Valley en Californie, que la compagnie Walt Disney s’apprête alors à supprimer pour construire une station de ski. L’une des principales organisations de défense de l’environnement aux Etats-Unis, le Sierra Club, assigne la firme en justice, mais est déboutée au motif qu’elle ne peut défendre les intérêts des arbres puisque la montagne ne lui appartient pas. Le juriste s’appuie des son côté sur la notion technique de « personnalité morale », créée au XIXe siècle pour les entreprises commerciales. Il suffit de déployer cette « fiction juridique » aux végétaux, aux minéraux ou aux animaux pour ne plus les considérer comme des choses.
Mais il est évident que, à partir du moment où des droits sont reconnus à la nature, la question de leur confrontation par rapport à ceux des humains est posée. Le respect des cycles naturels peut-il prévaloir sur les besoins fondamentaux des populations ? Pour les partisans des droits de la nature, la question relève presque du contresens. Loin de s’opposer aux droits humains, les droits de la nature en conditionnent au contraire l’exercice. Les droits de la nature renforcent au contraire les droits humains fondamentaux tels que le droit à un environnement sain ou à une eau potable. Si donner une personnalité juridique aux entités naturelles semble nécessaire, c’est pour provoquer une rupture symbolique, bousculer les représentations et en finir avec « une vision utilitariste et dominatrice de la nature ».
Le point de vue des écologistes
Guifredo : Merci pour cet article approfondi. L’idée est surprenante mais n’est-il pas aussi étonnant que les marchands de pétrole ou de ciment aient une personnalité morale qui leur donne des droits leur permettant de porter atteinte au climat ?
Lorange : Je ne vois en effet pas en quoi un fleuve aurait moins d’importance pour la planète et l’humanité qu’un cacochyme milliardaire du CAC 40. Limite même on peut aisément se passer du second alors que le premier est vital.
Alain Sager : Précisons. Quand Descartes dit : « comme maîtres et possesseurs de la nature », c’est avant tout pour éloigner l’idée d’un Dieu ou d’entités irrationnelles qui, selon leur bon vouloir ou leur caprice, pourraient influer sur le cours des choses, sans que l’homme ait sur elles aucune prise certaine. Dans l’esprit de Descartes, il restera donc toujours une distance, ou un écart, entre son bon vouloir et les forces naturelles en action. On pourrait même le rapprocher ici de Francis Bacon : « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant ».
Michel SOURROUILLE : L’expression « acteurs absents » mérite considération. Selon la définition du Dictionnaire du développement durable, il s’agit des générations futures et des non-humains, absents de nos délibérations actuelles. Une expression nouvelle permet de rendre visible l’invisible. C’est possible, les religions du livre en témoignent : elles font célébrer un dieu abstrait dont l’existence ne pourra jamais être prouvée. Par contre, les enfants de nos enfants et la biodiversité dans la nature sont une réalité tangible dont l’avenir est compromis. Mais comment faire s’exprimer ces acteurs fantômes, par définition absents de notre présent ? On peut développer cette proposition de Sarah Vanuxem : « Derrière la personnification d’éléments de la nature, il y a la possibilité de les faire bénéficier d’un porte-parole humain. » Un avocat en somme !
Les droits de la nature auraient été un très bon sujet de philo au BAC.
Peut-être certains philosophes en herbe auront-ils réussi à les placer et les défendre dans cet autre sujet proposé :
– Corrigés du bac philo – filière technologique : “La nature est-elle hostile à l’homme ?”
(philomag.com 18 juin 2024)
– « Les droits de la nature sont un concept relativement récent, qui résultent de la conscience des dégâts provoqués par l’homme à la nature. »
(Wikipedia : Droits de la nature)
Relativement récent … pour nous, en effet. « La demande déposée par la Bolivie de mettre la question des Droits de la Terre Mère (Rights of Mother Earth) à l’ordre du jour des Nations unies a été adoptée le 22 décembre 2009 ». Laissons alors le temps au temps.
En espérant qu’un jour l’écocentrisme détrône l’anthropocentrisme. (à suivre)
(suite) En attendant, je ne suis pas contre une cohabitation. Parce que je veux bien accorder des droits aux rivières, aux arbres, aux moustiques… mais je reste con vaincu que de leur côté ils se foutent totalement des nôtres. Sales égoïstes va ! De toute façon ce ne sont pas eux qui les graveront dans nos tables de lois.
Blagues à part, quoique, regardons d’où nous viennent ces nouvelles idées. Nouvelles pour nous, «modernes», occidentaux… évidemment. Parce que chez d’autres, «arriérés», «sous-développés» comme ON dit, elles ont toujours fait partie de leur culture. Ce sont même ces idées qui font leur culture, leur spiritualité, et donc leur morale.
Et comme par hasard c’est Morales… président de la Bolivie de 2006 à 2019, qui en 2009 demande à l’ONU d’élaborer une « Déclaration universelle des Droits de la Terre Mère ».
(à suivre)
(et fin) N’allons surtout pas le con fondre avec ce pauvre soldat Moralès, tombé au Champ d’Honneur, pour défendre les Trois Couleurs (voir Bénureau, prénom Didier). D’origine italienne le prénom Evo vient du latin « evolvere » qui signifie « évoluer » ou « se développer » (nomorigine.com). Celui-là n’est donc pas un demeuré, comme d’autres. Evo Morales donc. Comme par hasard… homme de GAUCHE. Eh oui !
Et voilà donc la Preuve… que la Pachamama est à gauche.
Ne rigolez pas c’est du sérieux, cette réflexion a déjà fait couler beaucoup d’encre. Dieu, Pacha, Allah et tout ce qu’ON voudra est (sont) à gauche.
Comme le sont les rivières, les arbres, les moustiques, les montagnes et j’en passe.
Eh oui ! Et n’en déplaise à certains… «écologistes » de droite.
D’extrême droite n’en parlons pas. 🙂