Acteurs absents de nos délibérations présentes

Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée et ce livre avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant le mois de juillet. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…

Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence

Après une première tentative avortée en 1793, la France a été le premier pays du monde à adopter le suffrage universel et direct en 1848… pour les hommes ! Ma mère, née en 1925, avait 19 ans quand les femmes ont obtenu le droit de vote, la majorité civique n’était qu’à 21 ans ! Né en 1947, je ne pouvais voter qu’à partir de 1968, la majorité à 18 ans, il faudra attendre Giscard. Le suffrage universel est une conquête récente qui s’est progressivement élargi à des acteurs de plus en plus nombreux, ce qui a permis un certain approfondissement de la démocratie. Ce serait élargir l’universalité bien plus fondamentalement que le droit de vote aux femmes et aux adulescents si on pouvait inclure dans la participation électorale les êtres vivants non humains, le milieu naturel et les générations futures. Ce n’est pas une procédure véritablement démocratique que de décider sans eux, les acteurs absents ou tiers-absents, de ce qui les intéresse au premier chef. Une telle délibération sans participation vraiment universelle ne peut qu’entraîner de mauvaises décisions : on s’immerge dans la défense d’un groupe particulier et/ou on ignore le long terme. Mais comment inclure dans la participation électorale des acteurs absents qui, par définition, ne peuvent être présents ? C’est simple.

Partout ou presque, on trouve des qualifications doctrinales à propos des « droits » des riverains à un cours d’eau non pollué. Ce qui ne pèse pas dans la balance, c’est le dommage subi par le cours d’eau, ses poissons et ses formes de vie « inférieures ». Tant que l’environnement lui-même est dépourvu de droits, ces questions ne relèvent pas de la compétence d’un tribunal. S’il revient moins cher au pollueur de verser une amende plutôt que d’opérer les changements techniques nécessaires, il pourra préférer payer les dommages-intérêts et continuer à polluer. Il n’est ni inévitable ni bon que les objets naturels n’aient aucun droit qui leur permette de demander réparation pour leur propre compte. Il ne suffit pas de dire que les cours d’eau devraient en être privés faute de pouvoir parler. Les entreprises n’ont plus ne peuvent pas parler, pas plus que les Etats, les nourrissons et les personnes frappées d’incapacité. Mais je suis sûr de pouvoir juger avec davantage de certitude quand ma pelouse a besoin d’eau qu’un procureur ne pourra estimer si les Etats-Unis ont le besoin de faire appel d’un jugement défavorable. La pelouse me dit qu’elle veut de l’eau par son jaunissement, son manque d’élasticité ; comment « les Etats-Unis » communiquent-ils avec le procureur général ? Nous prenons chaque jour des décisions pour le compte d’autrui et dans ce qui est censé être son intérêt ; or autrui est bien souvent une créature dont les souhaits sont bien moins vérifiables que ceux des rivières ou des arbres. » [Christopher D.Stone, « Should Trees Have Standing? Toward Legal Rights for Natural Objects” 1ère édition 1972 (Les arbres doivent-ils pouvoir ester en justice ? Vers des droits de la nature) in les Grands Textes fondateurs de l’écologie, présentés par Ariane Debourdeau (Flammarion, 2013)]

Le passage du statut d’objet naturel à celui de sujet de droit s’inscrit dans la continuité du processus historique d’extension des droits légaux : après les étrangers, les femmes, les Noirs… les arbres. Notons qu’un avocat représente un client, absent ou non. Un député vote au nom d’un pays, entité abstraite. Des chefs d’État réunis pour traiter du réchauffement climatique ou de l’extinction des espèces ont pour rôle de penser à la place des générations futures et des non-humains. Chacun d’entre nous a un système de représentation qui nous incite à devenir personnellement le représentant de causes les plus diverses, les intérêts de la famille, les intérêts de « notre » entreprise, les intérêts des Français, les intérêts des peuples indigènes, les intérêts des grands singes, les intérêts de la Terre-mère et même notre propre intérêt.

Notons qu’en mars 2017 un fleuve considéré comme sacré par les Maoris a été reconnu par le Parlement néo-zélandais comme une entité vivante. Le Whanganui, troisième plus long cours d’eau du pays, s’est vu doter du statut de personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants. Une première mondiale ! Ce statut aura pour traduction concrète que les intérêts du Whanganui seront défendus dans les procédures judiciaires par un avocat représentant la tribu et un autre le gouvernement. On nous donne une identité sociale à la naissance, nous pouvons nous identifier autrement, nous ressentir comme partie prenante de l’ensemble de la planète et de ces éléments présents et futurs. L’écologiste, élu ou non, devrait toujours personnifier un humanisme élargi dans le temps et dans l’espace. J’avoue que je n’arrive pas tous les jours à ce résultat, représenter les acteurs absents, ça on ne l’apprend pas (encore) à l’école.

(à suivre… demain sur ce blog biosphere)

Déjà paru :

On ne naît pas écolo, on le devient, introduction

Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver

Abeille, qui ne pique que si on l’embête

Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après

Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable

8 réflexions sur “Acteurs absents de nos délibérations présentes”

  1. Esprit critique

    Pour une rivière, une forêt, une prairie, ou autre… en quoi le passage du statut d’objet naturel à celui de sujet de droit… pourrait-il changer les choses ?
    On pense de suite au regard nouveau qui serait alors porté sur la chose. En effet, c’est ce qui s’est passé avec les esclaves, et les femmes, à partir du moment où on leur reconnu les mêmes droits que les hommes, ou encore avec les animaux à partir du moment où on a reconnu qu’ils étaient des êtres sensibles, etc. etc. Très bien.
    Hélas, ce n’est pas pour autant que la ségrégation, l’exploitation, le racisme, le sexisme, la violence envers les êtes humains et les animaux etc. etc. ont disparu. En effet, il faut un certain temps pour que les mentalités changent vraiment. Et encore plus pour qu’elles changent dans le bon sens.
    Et si en plus on rajoute le problème de désorientation, de perte de la Boussole… là c’est loin d’être gagné. Misère misère !

  2. Pour moi on peut étendre le droit de vote aux animaux, aux fleuves, aux forêts, aux pelouses, aux montagnes, aux étoiles, et à tout ce qu’on voudra !
    Le droit de vote, la démocratie … la belle affaire !
    – « Surtout n’ayez pas peur du peuple, il est plus conservateur que vous. » ( Louis-Napoléon Bonaparte )

    1. Conservateurs en France ? Ou Progressistes UmPs ? Progrès des dettes ? Progrès de la criminalité ? Progrès de l’immigration, Progrès de chômage, Progrès de délinquances et incivilités ? Progrès de précarité ? Progrès de violences ? Progrès de wokisme ? Progrès de drogues ? Bref, avec les progressistes démocrates UmPs, ce sont pourtant les seules courbes que j’ai vu progresser en 40 ans !! Alors oui mieux vaut être conservateur et revenir aux fondamentaux !

      1. N’essaierais-tu pas de nous vendre un cercle pour un carré ? Je sais bien qu’aujourd’hui il n’y a plus de vérité (ou d’absolu, voir Biosphère 7 juillet 2022), mais en attendant, le conservatisme c’est une chose et le progressisme en est une autre. Quant aux fondamentaux, ils renvoient au fondamentalisme. Qui lui renvoie à l’intégrisme, au fanatisme, au radicalisme etc.

      2. – « ce sont pourtant les seules courbes que j’ai vu progresser en 40 ans !! »
        Ce n’est pas étonnant, puisque tu ne regardes que ça !
        Or, des courbes qui progressent depuis 40 ans, ce n’est pas ça qui manque.

      3. C’est bien ça le pire, je n’ai pas besoin de chercher pour regarder, car ces courbes se reflètent très bien dans le réel, au point que même lorsque je détourne le regard, les constats sont là et bien présents ! Tous ces chômeurs, toxicos, migrants, précaires, bandits et criminels ainsi que toutes ces pollutions on les perçoit de manière évidente sans avoir à chercher du regard !

      4. « Quant aux fondamentaux, ils renvoient au fondamentalisme. Qui lui renvoie à l’intégrisme, au fanatisme, au radicalisme etc. »

        Tu décris plutôt l’islam que le conservatisme européen !

      5. Deux conseils : Enlève tes œillères et tu verras mieux le monde. Reviens aux fondamentaux … au sens de mots … et tu seras un peu moins perdu.
        Pour ta gouverne, le fondamentalisme, comme l’intégrisme, n’est pas la chasse gardée des islamistes.

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