Un article de « Causeur « du 28 octobre 2014
Daoud Boughezala : Quand vient la fin de l’été, le journaliste en quête d’une ultime échappatoire au bureau voit arriver comme une bénédiction les universités précisément dites « d’été » organisées par toutes les boutiques politiques dignes de ce nom. Je me décide pour une virée chez les Verts qui organisent leur grand-messe à Bordeaux. Je pourrais y débusquer des décroissants qui m’aideraient à nourrir le dossier sur ce sujet que j’ai vendu au politburo de Causeur – et à préciser mes idées sur le sujet –je suis tenté par certaines propositions des théories de la décroissance. On peut penser qu’une réunion d’EELV n’est pas forcément le meilleur endroit pour rencontrer des gens qui réfléchissent à l’écologie, mais il doit bien s’en trouver quelques-uns.
Mon périple en terre écolo commence dans la petite salle de l’université de Pessac où se tient l’atelier « La démographie, un enjeu pour l’écologie politique ». Ici, on est chez les frondeurs. Ancien ministre de Jospin, Yves Cochet ouvre les hostilités : « Cet atelier a bien failli ne pas se tenir. Tout débat sur la démographie est systématiquement censuré par la direction du parti mais Michel, qui est beaucoup plus opiniâtre et emmerdeur que moi, a finalement obtenu gain de cause ». L’« emmerdeur », c’est Michel Sourrouille, la soixantaine, chauve et barbu en short et t-shirt, directeur d’un essai collectif au titre explicite : Moins nombreux, plus heureux ![1. Editions du sang de La Terre, 2014.] préfacé par Cochet. « Ecolo depuis 1974 et son premier vote pour René Dumont», avec ses faux airs de Philippulus le prophète[2. Personnage des aventures de Tintin (L’étoile mystérieuse) qui annonce la fin du monde, avec son tocsin et sa toge.], Sourrouille déroule un argumentaire mathématiquement imparable : 20% de la population mondiale consomme 86% des ressources de la planète. « Malthusien depuis 1969 et la lecture de La bombe P de Paul R. Ehrlich », il se réfère constamment à son maître Thomas Malthus, célèbre pasteur anglican qui a prophétisé notre sombre avenir dans l’Essai sur le principe de population (1798), dont la thèse explosive tient en deux courbes. Ancien prof de lycée Sourrouille l’expose simplement: la population mondiale progressant beaucoup plus vite que la production alimentaire, on ne pourra bientôt plus nourrir tout le monde. La conclusion s’impose : « puisqu’on ne peut pas accroître la production agricole, il faut maîtriser la natalité » et organiser le rationnement à l’échelle mondiale, sans quoi « c’est la planète qui nous rationnera et ça se passera très mal ». De son siège dans le public, Yves Cochet fait chorus en rappelant sa proposition de réduire les allocations familiales dès le troisième enfant – cette version verte de la politique chinoise de l’enfant unique avait fait scandale chez les Verts. L’arbitre de la conférence, un sympathique militant en sandales, avait prévenu : « C’est un sujet sensible, certains diraient tabou (…) Attention à ne pas provoquer par vos propos ».
Trêve de plaisanterie. À la tribune, Cyrielle Chatelain, jeune militante spécialiste de la protection sociale, émet quelques réserves: « Notre politique d’allocations familiale est très nataliste, et fondée modèle très sexiste : pendant que l’homme travaille, la femme est censée rester au foyer (…) Mais il est préférable de responsabiliser plutôt que de contraindre. En Chine, la politique de l’enfant unique s’est révélée très efficace mais pose un problème de liberté et de responsabilité. Il y a des enfants cachés sous les lits… » Cochet consterné, soupire et regarde ses baskets blanches… avant d’entamer un vibrant plaidoyer pour le troisième âge qui tranche avec le jeunisme, voire l’infantilisme ambiant: « Une société de vieux serait beaucoup plus heureuse que la nôtre. Les vieux rendent beaucoup de services non monétarisés, garantissent par exemple deux tiers des gardes d’enfants (…) De plus, les sociétés de jeunes sont plus guerrières que les pays de vieux. » La vieillesse, c’est la paix ! – voilà un slogan pour l’époque…
Pour convaincre l’auditoire, Michel Sourrouille brandit les Saintes écritures – le rapport Meadows publié par le Club de Rome en 1972, qui annonçait l’épuisement des gisements fossiles à l’horizon 2030. Puis il abat sa dernière carte, René Dumont, candidat écologiste à la présidentielle de 1974, qui préconisait « l’abrogation de toutes les mesures qui visent à maximiser le nombre de Français ». L’évocation du grand ancêtre semble faire mouche.
Questions du public. Un spectateur se proclame malthusien côté cour, et père de deux enfants nés de deux femmes différentes côté jardin. Arrive le tour de Joël, biogénéticien entre deux âges,qui synthétise brillamment l’éternel dilemme des Verts, tiraillés entre écologie et progressisme débridé : « Peu d’entre nous ont compris qu’il y avait des limites dans cette planète. Résultat, nous continuons à soutenir les revendications de libertés individuelles comme le droit à l’enfant. » Avouant ma qualité de journaliste, je descends dans l’arène et demande si le soutien officiel des Verts à la PMA pour tous, voire bientôt à la GPA, ne condamne pas à l’avance toute perspective malthusienne.
À deux doigts de dire son fait à ce malappris, je laisse Michel Sourrouille lui répondre : « Le désir d’enfant à tout prix pose des questions écologiques et démographiques mais cela n’a pas été pensé. EELV envisage la question de façon absolument superficielle, comme d’ailleurs l’immigration. Notre commission immigration se contente d’être une annexe des associations de sans-papiers, elle ne réfléchit pas à la question migratoire. Nous souffrons d’un vide conceptuel. Le social et l’économique ont complètement étouffé notre fibre écologiste. » Je comprends pourquoi ceux-là ne sont pas en odeur de sainteté avec une direction qui considère que « l’enfant pour tous » est la prochaine Bastille à conquérir, même si, comme le rappelle Cyrielle, en bonne apparatchik, EELV est officiellement favorable à l’extension tous azimuts de la PMA…
Personnellement, j’aurais plutôt titré : « Un artiste chez les Comiques ».
N’empêche que j’ai adoré. Connaissant la messe par cœur, je me suis seulement amusé à me plonger dans le tableau. Celui qui nous est offert là par Biosphère n’est qu’une copie, épurée, allégée. L’original (en lien) est bien plus lourd, et vaut son pesant de cacahuètes.
Ce petit chef-d’œuvre très amusant nous est brossé par l’artiste Daoud Boughezala, dans un style qui n’a pas dû laissé indifférent le «politburo de Causeur». Ses premiers coups de crayon nous plongent dans l’ambiance de cette «politique à la plage». Tout y est, les dragueurs, «les chefs en short», les «soirées arrosées» etc.
Être payé (faire son job) tout en s’éclatant, et en même temps, que demander de plus. On comprend vite que Daoud Boughezala puisse être, lui aussi, attiré par ce terrain là. (à suivre)
Trêve de plaisanterie ! Les Verts sont superbement croqués, notamment cette Cyrielle «en bonne apparatchik», avec en arrière plan «la Bastille à conquérir». Petit détail, l’arbitre de la conférence, le «sympathique militant en sandales», l’aurait été encore plus en charentaises. Rouges et vertes ça va de soi. Les rebelles et autres révolutionnaires en charentaises m’ont toujours fait rire. Les curés en short et charentaises ou «baskets blanches…» encore plus. Notamment quand ils se prennent ou se font passer pour des «emmerdeurs». On en voit un ici tout seul dans un coin, «avec son tocsin et sa toge» qui «brandit les Saintes écritures». Et l’autre, en baskets made in China, qui, «de son siège dans le public», semble lui crier «fouette Cochet !» Tout ça nous rappelle «le radicalisme du chanteur Didier Super», pas très politiquement correct. ( ce n’est pas fini )
Trêve de plaisanterie ! «Je comprends pourquoi ceux-là ne sont pas en odeur de sainteté avec la direction qui considère que» la religion n’a pas sa place en politique. Et pour une fois je me range côté Direction, pour dire qu’il ne faut pas tout mélanger. D’un côté les apparatchiks, de l’autre les curés.
Et pour conclure, je dirais qu’avec un peu de recul ce tableau illustre très joliment ce cirque pathétique. Plus exactement, une scène parmi tant d’autres.